vendredi 28 octobre 2005

Le vingt-neuvième saut de crapaud



Le dernier matin de la saison des touristes fut aussi le dernier matin de Francis. Il quitterait la région pour retourner vers la ville et sa grande école. Comme à l’accoutumée, il passa une partir de sa journée sur son rocher face à la mer, donnant l’impression de s’emplir d’embrun et des odeurs du varech. Son baluchon devait déborder. La mer, ailleurs où il sera, malgré qu’elle soit présente à ses yeux, n’avait pas cette plénitude, celle qui meublait son cœur et son âme, ici dans les anses et sur la grave de Cap-des-Rosiers.

Les touristes vinrent en nombre impressionnant cet été, saison courte entre juin et le mois d’août, durant laquelle Forillon n’était plus le symbole des luttes de 1970 mais le lieu des regards. Dirigés vers la mer et la montagne. Le temps pour ramasser à pleine barge des couleurs océanes et des odeurs rafraîchissantes. Les touristes partiraient, laissant derrière eux un peuple qui frileusement allait s’installer dans l’automne mauve et l’hiver de blizzard.

Francis souhaitait que grand-père vint arpenter la grave. Il aimerait le saluer et lui remettre quelques bijoux de poésie. On ne force pas les rencontres, elles s’installent entre nous et le temps façonnant à leur manière des espaces de vie qui meubleront nos souvenirs mais surtout permettront de mesurer notre présence dans le monde. Il n’y a pas de solitude qui ne puisse éclater de son isolement sans le passage de quelqu’un, marcheur éloigné d’abord, puis devenu cet alibi à l’ermite nous habitant. L’autre est toujours celui qui nous révèle à nous-même.

Mais grand-père ne se présenta pas. Voilà pourquoi, au pied de son rocher adoptif, le poète rêveur Synnett laissa à son intention, comme des agates oubliées, quelques petites feuilles de papier sur lesquelles se trouvaient des poèmes emplis de mer. Il savait que la mer entre dans les poèmes par la porte de l’imaginaire des poètes. Qu’elle y imprime des mouvements immenses de joie, d’amour, de bonheur et de crainte. Les sentiments ont la faculté toute personnelle de réagir différemment à la même nourriture.



TREIZAIN
Mellin de Saint-Gelais (1491-1558)

Par l’ample mer, loin des ports et des arènes
S’en vont nageant les lascives sirènes
En déployant leurs chevelures blondes,
Et de leurs voix plaisantes et sereines,
Les plus hauts mâts et plus basses carènes
Font arrêter aux plus mobiles ondes
Et souvent perdre en tempêtes profondes;
Ainsi la vie à nous si délectable,
Comme sirène affectée et muable,
En ses douceurs nous enveloppe et plonge,
Tant que la Mort rompe aviron et câble,
Et puis de nous ne reste qu’une fable,
Un moins que vent, ombre, fumée et songe.


Et cet autre.


IL Y A DES HOMMES OCÉANS
Victor Hugo (1802-1885)

Il y a des hommes océans, en effet.
Ces ondes, ce flux et ce reflux, ce va-et-vient terrible, ce bruit de tous les souffles, ces noirceurs et ces transparences, ces végétations propres au gouffre, cette démagogie des nuées en plein ouragan, ces aigles dans l’écume, ces merveilleux levers d’astres répercutés dans on ne sait quel mystérieux tumulte par des millions de cimes lumineuses, têtes confuses de l’innombrable, ces grandes foudres errantes qui semblent guetter, ces sanglots énormes, ces monstres entrevus, ces nuits de ténèbres coupées de rugissements, ces furies, ces frénésies, ces tourmentes, ces roches, ces naufrages, ces flottes qui se heurtent, ces tonnerres humains mêlés aux tonnerres divins, ce sang dans l’abîme; puis ces grâces, ces douceurs, ces fêtes, ces gaies voiles blanches, ces bateaux de pêche, ces chants dans le fracas, ces ports splendides, ces fumées de la terre, ces villes à l’horizon, ce bleu profond de l’eau et du ciel, cette âcreté utile, cette amertume qui fait l’assainissement de l’univers, cet âpre sel sans lequel tout pourrirait; ces colères et ces apaisements, ce Tout dans Un, cet inattendu dans l’immuable, ce vaste prodige de la monotonie inépuisablement variée, ce niveau après ce bouleversement, ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue, cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s’appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange, vous avez Shakespeare, et c’est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l’océan.


Lorsque le lendemain, grand-père trouva les palimpsestes gauchement abandonnés par Francis, il les lut et les relut à forte voix, face au large. Il sut que les hommes océans voyagent sur l’ample mer, pleins de vie et lucidement conscients de la mort.

jeudi 27 octobre 2005

Le vingt-huitième saut de crapaud

Notre grand-père ne pouvait encore dire si la poésie avait d’autres résonnances que celle des images que le poème de Francis avait déposées en lui. Mais, et au-delà de cela, la poésie, les poèmes et les poètes ont-ils leur utilité? Il en avait parlé à Francis quelques jours plus tard et celui-ci lui répondit que si grand-père revenait sur la grave le lendemain, il pourrait sans doute le surprendre.

Les êtres humains ont un penchant quasi naturel pour la surprise en autant qu’elle ne les surprenne pas trop, en autant que ce qu’ils apprennent, nettoie en eux des grands murs d’insécurité et de mystère.

Grand-père n’avait plus jamais entendu parler de l’histoire entourant la venue de Philip, son court séjour dans le périmètre le plus éloigné du village, de son départ ainsi que de la disparition de Clémence. Comme le temps s’était replacé, personne n’osait revenir sur ces faits. Quelle ne fut pas son étonnement d’entendre ces paroles de Francis!

- Vous vous demandez si la poésie est utile.
- C’est bien beau des mots qui dessinent des images mais je ne suis pas certain que cela puisse faire vivre son homme.
- Vous parlez d’utilité dans le sens de productif, d’efficace et de nécessaire. Pour moi, la poésie est utile parce qu’elle est précieuse et tournée vers les autres. Gratuitement.
- Pour surprendre, comme tu me le disais hier?

Francis fit une pause et sortit de sa poche un vieux livre. Tellement vieux que les pages jaunies ne semblaient tenir que par habitude.

- Vous vous souvenez de l’histoire du temps qui bouleversa toute la population?
- Oui, mais quel lien y a-t-il avec la poésie?
- Écoutez bien.

Francis s’arrêta sur un feuillet de son livre ancien et lut.

L’été sera l’hiver et le printemps l’automne.
L’air deviendra pesant, le plomb sera léger :
On verra les poissons dedans l’air voyager
Et de muets qu’ils sont avoir la voix fort bonne.
L’eau deviendra le feu, le feu deviendra l’eau
Plutôt que je sois pris d’un autre amour nouveau.

Le mal donnera joie, et l’aise des tristesses!
La neige sera noire et le lièvre hardi,
Le lion deviendra du sang acouardi,
La terre n’aura point d’herbes ni de richesses;
Les rochers de soi-même auront un mouvement
Plutôt qu’en mon amour il y ait changement.

Le loup et la brebis seront en même étable
Enfermés sans soupçon d’aucune intimité;
L’aigle avec la colombe aura de l’amitié
Et le caméléon ne sera point muable :
Nul oiseau ne fera son nid au renouveau
Plutôt que je sois pris d’un autre amour nouveau.


La lune qui parfait en un mois sa carrière
Le fera en trente ans au lieu de trente jours;
Saturne qui achève avec trente ans son cours
Se verra plus léger que la lune légère :
Le jour sera la nuit, la nuit sera le jour
Plutôt que je m’enflamme au feu d’un autre amour.

Les ans ne changeront le poil ni la coutume,
Les sens et la raison demeureront en paix,
Et plus plaisants seront les malheureux succès
Que les plaisirs du monde au cœur qui s’en allume,
On haïra la vie, aimant mieux le mourir
Plutôt que l’on me voie à autre amour courir.


On ne verra loger au monde l’espérance;
Le faux d’avec le vrai ne se discernera,
La fortune en ses dons changeante ne sera,
Tous les effets de mars seront sans violence,
Le soleil sera noir, visible sera Dieu
Plutôt que je sois vu captif en autre lieu.

Grand-père en resta muet. Francis lui dit que ce poème fut écrit par un certain Amadis Jamyn qui vécut entre 1538 et 1592. Il portait le titre de Stances de l’impossible.

- Et si la poésie n'était autre chose qu’un ustensile pour nourrir l’âme? acheva Francis avant de partir vers son rocher.

mardi 25 octobre 2005

Le vingt-septième saut de crapaud

Notre grand-père fit la rencontre de Francis, le fils Synnett, celui qui étudiait dans les grandes écoles comme tout le monde se plaisait à le dire dans le village, lors d’une de ses promenades sur la grave. C’était un rêveur. Il portait avec lui un carnet de notes qu’il remplissait de poèmes, écrivant assis sur le même rocher. Son travail d’été, car il revenait dans la région y passer la période des vacances universitaires, se résumait à quelques lignes envoyées au journal de Gaspé portant sur la région gaspésienne. Très peu influencées par les événements quotidiens, elles décrivaient plutôt, avec beaucoup d’amour et de respect, la géographie, la flore et la faune de ce coin de pays dont l’attrait touristique représentait la raison première de la venue des gens. Au fil des jours, lentement, il avait ramassé toute une série d’images et de métaphores (il appelait cela ses métaphares) sur la mer, la montagne et le ciel. Grand-père se souvint qu’un matin, Francis, laissant porter très loin son regard, lui avait dit être à la recherche de la nature intérieure en scrutant la nature extérieure.

- Et un jour on pourra lire ce que tu écris? demanda grand-père.
- L’essentiel n’est pas que l’on soit lu mais d’écrire. On n’écrit pas assez. Pour apprendre à lire, il faut déjà la présence l’écriture.
- Et tu lis quoi à part les vagues et les nuages?
- Des poètes, lui répondit un Francis dont le goût pour la solitude et le contact avec les grands éléments de la vie exhalaient de lui comme l’odeur du goémon.
- Ça ressemble à quoi un poète?

Francis ne répondit pas mais dans ses yeux surgit une lueur éclatante.

- À rien et à tout à la fois.
- Je peux lire un de tes poètes?
- Depuis le jour où on m’a montré les mots et leur sens, j’ai compris qu’ils cachent en eux des trésors inouïs. Un trésor, c’est facile à apprécier. Il rapporte. Il ne peut offrir autre chose que ce qu’il est ou ce qu’il a. Ça se décompose et perd la magie pour laquelle on le recherchait. Une fois qu’on l’a trouvé, il a tout perdu. Un trésor, on doit le garder, le conserver. Ce n’est pas ce que l’on fait. On le dépouille de ce qu’il est. Avec les mots, c’est complètement autre chose. Ils sont un trésor parce qu’une fois découverts, on les recouvre de nous-mêmes, on les ressent à notre propre manière et on se les protège. Le merveilleux des mots c’est qu’ils se glissent dans plusieurs langues différentes mais sous le même regard du langage.

Grand-père n’était pas tout à fait certain de saisir ce que Francis racontait . Il se demanda si le fait de recevoir les poètes n’était que l’apanage des gens instruits ou des gens s’instruisant. Francis lui rappela combien il était important pour les plus vieux du village de protéger les mots venus de loin, ceux de la mer, de la terre et de nommer le plus précisément possible les choses, les êtres ou encore des situations.

Et il lui confia, secrètement, le poème qu’il venait tout juste d’écrire.



fleuve

mû par le clapotis muet des marées
tu coules loin
fleuve
nous déportant, nous, ne sachant nager,
confluant vers de myopes continents


dans ta brouette liquide
tu bourlingues l’écho de nos peurs
les distribues
ne les ayant pas encore complètement échappées


ainsi qu’un cheval épuisé en course au bout de son trajet
tu circules par de longs couloirs noirs
étouffé par tes aphtes héréditaires
appelant au repos


par-delà tes pupilles, aux portes closes du Japon,
tu largues plus loin vers les terres
toutes nos odeurs folkloriques qu’habillaient les murs des paddocks
les transportant avec toi jusqu’aux bras des dockers


de nous,
de nos apnées informes fléchissant du côté voilé de l’azur,
de nos éternellement tristes issues insoumises, éternellement ouvertes
là où croissaient les fœtus étiquetés du même nom
que nos sans nom donnaient,
tu leur parleras


nos angoisses, marées égarées dans la nuit,
circuleront entre les grèves
comme des flaques insanes


fleuve
corridor sans pont
affréteur portuaire
tu divagues sur nos imaginaires
liquides espérances glissant autour de ces icebergs grignotés
comme des bouées en déroute vers une source



Grand-père remit à Francis la feuille arrachée de son cahier de notes. Reprit sa route. La poésie lui était venue par la vague d’un fleuve…

jeudi 20 octobre 2005

Le vingt-sixième saut de crapaud

… la suite, et fin…

Il sembla à Clémence que les propos qu’allait tenir Philip se situeraient dans une autre dimension que celle où elle vivait il y a à peine quelques heures, juste avant d’entrer ici et d’y prendre une tasse de thé. Un grand pan de son âme s’ouvrait alors qu’un autre s’était envolé, la libérant profondément. Permettre à la parole de venir, lui laisser toute la place afin qu’elle éveille en soi d’immenses fraîcheurs puis s’envoler là où elle seule le souhaite, voilà l’état dans lequel voyageait son esprit et son écoute prenait racine.

- Clémence, est-ce que tu as remarqué quelque chose d’autre dans le goût du thé?
- Seulement que tu le faisais comme moi mais avec plus d’attention pour l’eau et les feuilles.
- C’est tout?
- Que le thé m’a permis de parler avec plus d’assurance et d’être en mesure de mettre des mots sur les idées qui circulaient dans ma tête jadis retenues par de solides barrières.
- Es-tu prête à dire que tout est dans le thé?
- Autour, répondit Clémence saisissant mieux vers quoi le géant la conduisait.
- Voilà. Tout est dans tout et tout est autour de tout.

Avant de s’avancer davantage dans ses explications, Philip se leva et resservit la fille aux petits fruits un thé qui doucement tiédissait.

- L’essentiel de ce qui arrive dans la région se cache dans le vent. Vous avez nommé celui du sud ainsi que celui du nord. Vous les reconnaissez de cette façon. D’où je viens, on l’appelle différemment mais c’est toujours le vent. Il n’a pas de frontières et si vraiment il en existait, le vent ne les respecterait pas. Non pas par sauvagerie mais parce qu’il communie avec la nature où qu’elle soit selon sa propre loi. Et sa loi, il la respecte totalement. Le vent n’a pas de maître. Il est son propre maître. Il agit à un rythme qu’il s’insuffle lui-même. As-tu remarqué que personne ne le voit?
- Oui, mais on l’entend.
- On n’entend pas le vent, on entend le cri des obstacles qu’il touche. Ce sont les mers, les arbres, les nuages qui nous apprennent sa force, sa puissance et surtout sa présence. Lui, il est là. En contact, je dirais en communion continuelle avec les éléments de la nature qui nous semblent plus réels parce qu’on est plus sensible à eux, pouvant les voir, les sentir, les goûter, les entendre et les toucher. Et selon les fantaisies du vent, car voici certainement la plus capricieuse des existences, nous, les humains, d’abord le nommons pour ensuite le consulter, lui faire dire ce que nous voulons bien qu’il nous raconte. Nous voulons qu’il nous rassure. Tel n’est pas son rôle. Il n’a pas de fonction autre que celle d’être ce qu’il est : l’espace entre le visible et l’invisible.
- Je vois.
- Un peu comme ce pathétique instant où la rencontre de l’eau bouillante et des feuilles de thé résulte en un liquide imprégné des deux.
- Et alors, les tracasseries du temps?
- Elles vivent dans la tête des gens. On résiste à ce qui se passe, alors que c’est le vent qui se permet, dans sa si longue course venue du nord et venue du sud pour se rejoindre ici, signalant l’essentiel de la vie.
- Quel est l’essentiel de la vie?

Philip s’arrêta. Clémence perçut dans cet instant ce qu’on lui racontait depuis sa tendre enfance et qu’elle devait reconnaître en des moments extraordinaires: la grâce.

- Pour toi, c’est la parole. Pour d’autres, c’est le silence. Pour certains, le bonheur. Pour la vie, c’est le vent venu du nord et du sud, portant tel ou tel nom, n’annonçant rien d’autre que sa présence et son influence sur la nature. Lui laissant le choix par la suite d’agir à sa guise. L’essentiel de la vie, c’est le vent dans toute sa liberté.

S’installa un long moment au cours duquel, et la fille et le géant comprirent que les choses ne se cachent pas dans nos mots, mais acquièrent une force de possibles lorsque nous nous ouvrons à chacune d’elles. On les transforme afin qu’elles puissent nous rassurer alors qu'il faut les laisser éclater, jaillir en soi et autour de soi. Recevoir la nature, la laisser nous pénétrer et nous permettre de l’aimer dans sa toute entière liberté. Une fois la nature reçue, se recevoir soi-même, se laisser habiter par une liberté sans frontières.

- Le temps est ce qu’il est. Nous sommes ce que nous sommes. Et si, comme pour le thé, nous écoutons le vent sans nom, celui qui vient d’ici et d’ailleurs, nous pourrons sans doute arriver à devenir libres. À aimer entièrement.

Clémence quitta le géant. Elle ne le revit jamais plus. Le village non plus. Grand-père ne se souvient pas si son départ coïncida avec le retour des grandes marées, de la politesse du suroît envers le nordoît, de la morue et d’un automne fort tardif, mais dans le village, on fit rapidement cette équation et pendant plusieurs saisons encore, chacun se demanda ce qui arriva à Clémence, la fille Guillemette, la fille aux petits fruits. Car elle disparût. Sans autre message qu’un bocal vide sur le balcon d’une maison couleur framboise saumonée dans lequel, offrait au vent une odeur de feuilles de petit thé.

FIN

mercredi 19 octobre 2005

Le vingt-cinquième saut de crapaud

… la suite…

Clémence buvait doucement le thé, comme s’il s’agissait d’une première fois. Elle fut extrêmement attentive à sa fabrication, semblable à la sienne, sauf que Philip y avait mis un soin et une précaution tels que le goût en paraissait modifié. Un silence énergique s’installa entre eux.

- Dis-moi, Philip, ce que tu penses exactement de tout ce qui arrive.
- Tu veux m’entendre, je comprends, mais d’abord j’aimerais savoir ce que toi, tu en dis.

La fille aux petits fruits n’attendait pas une telle réponse et fronça les sourcils. Pouvait-elle se permettre d’avoir une idée personnelle sur les événements, différente de tout ce que depuis la fin abrupte du printemps et l’arrivée en force de l’été, continuellement, elle avait entendu répéter? Avait-elle acquis un degré d’écoute suffisant chez les gens pour oser énoncer quoi que ce soit qui fut le fruit de sa propre pensée? Était-elle assez sûre d’elle-même pour avancer des opinions qui ne fussent pas autre chose que le dire collectif? Qui était-elle pour s’exprimer sur une situation défiant même les mieux aguerris?

- Peut-être que ton point de vue est-il celui qui apaiserait les craintes, continua Philip laissant la tasse de thé lui réchauffer les mains.
- Je ne crois pas.
- Je comprends donc que tu en as un.
- Il est trop ridicule pour être dit, osa Clémence, étonnée et ravie que quelqu’un sonde un peu son esprit.
- Le plus ridicule serait encore de ne rien dire.

L’après-midi passait dans une atmosphère faisant oublier à Clémence la raison de son arrivée dans la maison du géant Philip et la centrait sur une indicible impression de bien-être profond et réconfortant. Elle recevait les paroles de Philip comme une libération, une permission à délier de son âme les fils tordus depuis longtemps et qui formaient un nœud l’étouffant. Se voir autorisée à penser et présenter les résultats de sa réflexion à quelqu’un qui l’écoutait, qui voulait l’entendre, cela était de l’inédit pour elle.

- Tu sais, dans notre village, l’habituel c’est que tout soit comme ça doit être. Les journées, les semaines, les mois, les saisons et les années si elles ne suivent pas leur route qu’hier, avant-hier, la semaine dernière, le mois passé, la saison avant celle-ci et les années avant toutes les années nous ont accoutumés, eh! bien on ne comprend plus rien. Les bouleversements sont des mauvaises choses. On ne parle jamais de progrès. Quand l’électricité fut installée dans chacune des maisons du village, plusieurs craignaient que ça explose. Tout est correct quand rien ne bouge, ne change. Alors tu peux comprendre que depuis la fin du printemps, c’est la convulsion générale. Personne ne cherche à savoir, tout le monde souhaite un retour à la normale.
- Ça ne me dit pas ce que toi, tu en penses.
- Je crois qu’il ne se passe rien d’autre que des mouvements naturels du temps. Comme s’il voulait se rafraîchir. Se donner une nouvelle allure. Mettre de l’ordre dans des affaires anciennes qui auraient trop durées. Chasser l’ancien pour installer du nouveau.
- Et qu’est-ce qui t’a amené à penser cela?

Clémence regardait la mer par la grande fenêtre et reporta ses yeux vers celui qui l’incitait à pousser plus loin sa réflexion. Elle n’était pas habituée à le faire.

- La mer est toujours à la même place. Tout comme le jour et la nuit, ils suivent le même rythme qu’auparavant, il y a seulement leur contenu qui est perturbé. Les nuages courent, c’est vrai, mais ils sont dans le ciel. Les étoiles s’éteignent et dansent, mais ce sont encore des étoiles. Les animaux ont des comportements bizarres mais ils se nourrissent de la même manière. Les oiseaux ne font pas de nids et s’attardent, perchés sur les piquets des clôtures, après avoir voltigé en huit, très bas, mais ce sont les oiseaux que l’on connaît. C’est comme si les mouvements naturels du temps changeaient de linge parce que l’ancien ne fait plus.
- Et pourquoi les autres ne te croiraient-ils pas si tu leur disais ce que tu viens de me dire?
- Parce que ma réponse n’est pas une réponse.
- C’est une réponse pour toi et c’en est pas une pour les autres, voilà ce que tu me dis?
- Oui. Si je disais cela, on me croirait folle ou encore on me dirait que je ne connais rien à rien, que je devrais juste me taire.
- Et c’est ce que tu fais.

La fille Guillemette, la fille aux petits fruits, celle qui achevait de boire une tasse de thé chez l’étranger, venait de laisser fuir de son esprit les pensées qui y trottaient depuis le début des bouleversements affectant son village. Elle eut la vague impression qu’en les laissant sortir d’elle-même, une profonde délivrance y prenait place, la réconfortant. Ne plus ressentir le besoin de comprendre par les autres alors qu’elle achevait de s’écouter et d’être écoutée, lui fit un bien énorme.

Philip la regardait, un sourire complice et combien généreux aux lèvres. Il but sa dernière gorgée de thé avant de lui dire :

- Je vais te dire maintenant ce que moi j’en pense.
... à suivre...

mardi 18 octobre 2005

Le vingt-quatrième saut de crapaud

… la suite…

La cuisine de Philip donnait sur une immense fenêtre béatement ouverte vers la mer que l’on apercevait dans toute sa majesté. Aussi rapprochée que lointaine et fuyante. L’orientation de la maison était telle que debout au centre de la pièce et regardant vers la mer, l’impression qu’elle se collait à la fenêtre la rapprochait tellement qu’une main tendue la rejoindrait. Une entière nudité caractérisait cette cuisine. Les murs, maintenant quatre, ne semblaient exister que pour soutenir les fenêtres. Le plafond se perdait à ne rien faire d’autre qu’être là, au-dessus de la cuisine, au-dessous de l’étage que l’on rejoignait sans doute par un escalier taillé dans un bois qui respirait encore. Une table, deux chaises et un petit poêle à bois. C’est tout. Mais ce tout, c’était vraiment la fenêtre qui le meublait. Clémence pensa que si quelqu’un ne prenait garde en se dirigeant vers elle, s’en approchant, il risquait de la percuter et de la fracasser tellement son aspect irréel dominait. Elle était l’intérieur et l’extérieur à la fois.

Une gêne s’empara de Clémence, prenant conscience tout à coup de la situation insolite dans laquelle elle se retrouvait : seule dans la maison d’un homme que trois seulement elle avait rencontré. Cela ne se faisait pas. Pourtant, c’était. Ça se faisait car elle le faisait. En toute impunité. Pour une rare fois dans sa vie, elle ressentait que l’on pouvait transgresser des règles établies par on ne sait trop qui et trop pourquoi. Elle savait très bien qu’il avait fallu cet inhabituel du temps pour modifier un habituel enraciné depuis des générations. Son esprit savoura, l’espace d’instant, une douce consolation.

- Le thé sera fort.
- Je l’aime fort, reprit Clémence qui hésitait sans doute à prendre place sur une des deux chaises entourant la petite table, encore sous le charme de cette impressionnante toile que la mer par la fenêtre offrait à ses yeux.

Philip sortit d’une boîte en métal quelques feuilles d’un thé noir ébène, les frotta entre ses mains puis les laissa tomber dans une vieille théière bleu à pois blancs. Alors que Clémence, silencieuse devant la fenêtre, admirait la surface infinie de la mer comme s’il s’agissait de la première fois de sa vie, le géant Philip était sorti pour rapporter de l’eau du puits qu’il mit à bouillir sur le poêle.

- Le problème des gens, Clémence, c’est de voir des problèmes partout.
- Le jour et la nuit, depuis près de trois mois, s’amusent à nous envoyer des affaires bizarres comme des nuages qui courent dans le ciel puis qui éclatent à gros bouillons pour ensuite s’en aller on ne sait où laissant la place à un soleil ardent comme on l’a jamais vu. Les étoiles qui dansent la nuit, s’éteignent et semblent se courir après en laissant des cicatrices derrière elles. Les oiseaux qui ne font pas leur nid. Un printemps tellement court que l’été est apparu pas prêt du tout. Des grands moments sans vent ou encore le nordoît qui s’emmêle dans le suroît. Les poissons qui tournent en rond sans trop savoir pourquoi. Ces tonnerres effrayants, tellement effrayants que les éclairs se cachent. Tout ça et puis bien d’autres choses que tu as vues comme moi, tout ça c’est pas un problème?
- Les gens voient des problèmes partout et cherchent des prophètes pour leur expliquer ce qui se passe. C’est pas ça que tu es venue faire ici aujourd’hui, à la demande des villageois?
- Je ne te prends pas pour un prophète.
- Sans doute, mais les autres peut-être.

Philip se leva, prit la bouilloire et tout juste avant de verser une eau si bouillante qu’elle se pressait d’en sortir l’écume au bec, regarda Clémence comme s’il avait compris que le rituel du thé en plus d’être important pour elle, lui serait porteur d’une réponse à quelque chose.

- Est-ce que tu te demandes d’où vient mon thé? Est-ce que tu t’es déjà posé la question à savoir ce qui se passe vraiment lorsque tu laisses couler l’eau sur les feuilles de thé?
- Tu m’as déjà dit que c’est une communion.
- Ce n’est ni l’eau, ni le thé l’important, c’est leur rencontre. Il faut permettre à chaque chose d’être ce qu’elle est exactement. Il y a entre les choses une espèce de mouvement que l’on ne voit pas mais qui les transforme. L’eau, à la rencontre des feuilles de thé, n’est plus de l’eau. C’est la même chose pour les feuilles de thé. Il existe, l’espace d’un court instant, une volonté silencieuse chez chacun de se donner et d’accepter l’autre pour qu’autre chose jaillisse. Ce n’est pas de la magie, c’est une communion.

Clémence fixait les gestes de Philip avec une telle attention qu’un moment, elle se crut hypnotisée. Elle savait que ce n’était pas un miracle ou un enchantement mais plutôt une découverte. Il y avait entre les éléments une reconnaissance telle que la surprise du résultat n’en faisait pas partie. Comme si une énergie s’installait entre deux réalités distinctes.

- La communion n’a rien à voir avec les miracles. Les miracles sont l’œuvre d’imaginations ayant perdu le sens de la réalité. Ils sont très utiles pour donner du sens à des signes que l’on ne comprend pas.
- Que veux-tu dire, Philip?
- Simplement que la nature, actuellement, est porteuse de signes et que tout le monde cherche à les saisir avec des réponses toutes faites. On n’arrivera à rien comme ça.

Le géant servit à Clémence une tasse d’un thé bouillant. Le breuvage goûtait nouveau. Une invitation à autre chose.

… à suivre…

lundi 17 octobre 2005

Le vingt-troisième saut de crapaud


… la suite…

- Tu ne m’as pas encore dit ton nom. Le mien, tout le village le connaît.
- Clémence.
- C’est joli. Il rejoint tout à fait ce qui se passe actuellement sur la mer et dans le ciel.
- Que veux-tu dire Philip?
- Que le temps est clément depuis la fin de l’hiver. Tu ne trouves pas?
- C’est tout le contraire que le monde pense. Et le monde, il est très inquiet.
- Inquiet ou incapable d’accepter que le ciel et la mer sont des forces supérieures à la leur?

La vieille fille Guillemette, telle était la façon dont les habitants de ce bout de côte gaspésienne la surnommaient, n’avait pas tardé à répondre à la demande des émissaires et à l’autorisation de ses parents d’aller enquêter chez Philip afin de tenter d’apporter des explications sur la situation du temps prévalant encore à la mi-juillet. Elle croyait qu’il ne s’avèrerait pas nécessaire de mettre des gants blancs et de passer par quatre chemins. Clémence irait directement chez le géant et au but.

- On m’a demandé de venir afin de savoir si tu as des explications aux phénomènes météorologiques. Dans le coin c’est la première fois que tout cela se produit et certains imaginent qu’il pourrait y avoir un lien entre cela et ton arrivée.
- On me donne bien du pouvoir, dit-il, un peu d’ironie dans la voix.
- On ne te donne pas du pouvoir, ils veulent simplement ton idée.
- Et pourquoi ne pas exiger l’opinion des plus âgés, ceux qui en connaissent plus que moi sur les vents et les pluies, les silences et les échos d’ici, ceux qui savent déchiffrer mieux que moi ce grand livre?
- Ils ne disent rien qui explique.

Philip, depuis l’arrivée impromptue de Clémence, était demeuré debout, le regard ancré dans celui de la fille, ses mains et ses bras d’une surprenante immobilité. Dans le vert de ses yeux se dessinait des horizons inconnus pour elle, laissant dégager de cet homme une telle sécurité comme si un jour on avait arraché de son âme tous les tourments, les déchirements ou les égratignures d’un passé drapé de mystère.

Le jour ressemblait aux autres : indescriptible. Même Francis, le plus jeune des Synnett, celui qui revenait l’été après de grandes études à l’université de Québec, et qui écrivait des nouvelles pour le journal régional en plus, du moins on le disait, passait ses journées près de la mer en remplissant de poèmes un carnet dont il ne se séparait jamais. Ça donne quoi au juste de payer pour la grande ville et les grandes écoles, si on ne fait que rêvasser sur le bord de la grave et écrire des insignifiances pour le journal, voilà ce qui se répandait à son sujet. Car ici, on ne pouvait pas vivre sans avoir pour chacun et chacune une idée précise sur ce qu’il faisait et une opinion arrêtée sur les actions ou les inactions individuelles. Personne ne tenait rigueur à personne d’une telle indiscrétion mais, afin d’éviter que les racontars et les cancans se ramassent dans le vent de la médisance et soient balayés sur tous les perrons, un à un et par groupe de familles, on taisait tout. On avait même développé avec les années des secrets de famille se transmettant d’une génération à l’autre par une loi du cadenas tellement rigide que des légendes naissaient faisant office de vérités. On voulait tout savoir des autres sans rien dire de soi. Tout cela tricoté serré.

- Est-ce que l’on croit que mon opinion pourrait changer quelque chose à l’état des faits? reprit Philip.
- Aucune idée mais ça calmerait une partie de la population qui commence à voir sortir tout doucement, sans jamais le mentionner, les griffes du démon.
- Je ne suis pas surpris.
- Qu’on parle du démon?
- Tu sais, lorsque quelque chose dépasse ce que l’on connaît ou ce que l’on imagine, qu’on est incapable de lui trouver une explication ou encore une ressemblance avec du déjà connu ou du déjà imaginé, on invoque le bon Dieu ou on évoque le démon. C’est comme si ce qui bouge dans notre tête ne rejoignait pas ce qu’il y a sous nos pieds.
- Je ne te comprends pas, Philip.
- Regarde comme il faut ce qui se passe autour de toi. Il y a des choses qui sont toujours les mêmes. Le soleil reste le soleil. La lune est encore la lune. Les nuages ressemblent encore à des nuages. Mais une chose a changé. Le vent.
- Ici le vent est toujours le même. Présent et puissant. Du nordoît ou du suroît.
- Si tu crois cela, si tu t’arrêtes à ne voir que cela, alors, comme les autres tu verras des mystères dans le temps.

Il y eut un énorme coup de tonnerre qui fit se courber Clémence. Elle savait que les éclairs ne viendraient pas. Elles ne venaient plus malgré les gris menaçants des nuages mêlés aux roulements en staccato du tonnerre. Parfois, une pluie diluvienne s’écrasait comme si on versait de l’eau à la chaudière ou encore, une bruine si légère qu’elle ressemblait à des morceaux de brouillard que l’on détacherait l’un après l’autre pour les lancer dans un vent sans force.

Philip examina le ciel et dit :

- Si je t’offrais une tasse de thé.

… à suivre…

samedi 15 octobre 2005

Le vingt-deuxième saut de crapaud

…la suite…

Clémence achevait de mettre en pot les petits champignons cueillis ce matin derrière la remise au bout du terrain de ses parents. Elle vit venir par la route le trio d’hommes dont les pas saccadés imprimaient dans cette absence de vent, inhabituelle comme s’il fallait le rajouter, des bruits sourds. Se doutant fort bien de l’objet de leur visite, Clémence tout en essuyant ses mains sur un tablier à carreaux blancs et rouges, jeta un coup d’œil vers sa mère, puis son père. Tous les deux fixèrent sur leur fille un regard empreint d’appréhension.

Le père ouvrit la porte, invitant trois hommes investis d’une mission dont eux-mêmes ne savaient complètement mesurer la portée mais dont l’étendue leur échappait. L’ayant d’abord acceptée pour eux-mêmes, ils furent rapidement motivés à chercher une façon de débarrasser le village, le territoire et la population de ce manteau d’incertitude qui les enveloppait. On en parlait à mots couverts. Les silences ont parfois de telles résonnances!

- Vous prendrez bien une tasse de thé? lança monsieur Guillemette, comme pour mettre la table, préparer la scène et réchauffer l’atmosphère.

Grand-père se souvient très bien de la suite. La rencontre ne dura que l’espace d’une tasse de thé. Émile, Arthur et le vieux Aldège reprirent chacun leur casquette qu’ils avaient accrochées à la patère et refirent, silencieux, les pas les ramenant au cœur du village. Leur ambassade était maintenant complétée. La balle se retrouvait alors dans la cour de Clémence qui avait assisté aux palabres des hommes, assise sur son lit, à l’étage. Son cœur battait la chamade.

- Tu as entendu ce qu’ils sont venus te demander? s’informa le père.
- Tout à fait, papa.
- Et tu comptes faire quoi avec cela?
- Je me demande seulement pour quelle raison croit-on que l’opinion de l’étranger puisse changer quelque chose à ce qui nous arrive.
- Parce que rien ne tombe sur le sens et dans ce temps-là, il faut ou bien prier encore plus fort ou bien tenter des affaires hors de l’ordinaire, ajouta le père de Clémence cherchant l’approbation de sa femme. De toute manière, moi personnellement ça fait longtemps que je ne comprends plus et je me demande même si je veux avoir des explications. Peut-être que comprendre pourrait encore pire que ce qui se passe. Qu’en penses-tu sa mère?

Madame Guillemette ne craignait qu’une chose, celle qui s’était logée dans son âme et dont elle avait choisi de ne pas parler de peur que la quiétude de sa maison soit à tout jamais chamboulée. Elle connaissait sa fille par cœur. Elle lui pardonnait son indépendance et cette volonté de tout faire comme bon lui semble. Depuis longtemps avait-elle tiré un trait sur la possibilité de la voir rencontrer un jeune homme qui la fréquenterait avant de la demander en mariage. Sa fille ne serait jamais mère, elle, grand-mère. Le temps avait aussi répandu dans le village cet état de fait. Clémence demeurerait chez ses parents jusqu’à leur mort, en prenant soin et finirait ses jours dans la maison paternelle. Le destin était tracé. Elle s’en faisait une raison. Sauf que depuis l’arrivée de l’étranger venu du nord, sa fille n’était plus la même. Toujours aussi secrète, elle laissait tout de même transparaître un intérêt nouveau : le géant semblait lui être entré dans la peau.

- Je pense comme tout le monde. La bizarrerie de ce que l’on voit cache sans doute une bizarrerie encore plus grande et personne n’est en mesure de nous dire quoi exactement. Pas certaine qu’un étranger puisse changer quelque chose à cela. De toute manière, il fait son affaire sans déranger personne. Qu’il agisse autrement que de coutume n’est pas une raison pour penser qu’il a des explications.

Elle fit une longue pause qui lui permit de fouiller dans les gestes de sa fille un indice lui permettant de mieux saisir si elle était déjà envoûtée par ce Philip que tous et chacun craignaient sans jamais ne lui avoir adressé la parole.

- Moi, je pense qu’il faut laisser au temps le temps de se replacer. On n’est pas assez gréé pour l’influencer, encore moins pour le changer. Les forces surnaturelles sont plus fortes de nous autres. Même le curé ne sait plus quoi faire. Puis on pense qu’un étranger, venu du nord par-dessus le marché, va pouvoir régler les affaires? Sauf que, si des hommes du village, qui en ont certainement placoté un bon moment, croient que quelqu’un aille le rencontrer pour avoir son opinion, si on pense que c’est la chose à faire, ça me va. Mais je ne suis pas bien avec le fait que l’élue soit Clémence. Voilà ce que j’en pense mon vieux.

Clémence écouta. Ne dit rien. Elle devenait maintenant certaine que la démarche qu’elle aurait à faire, en plus de répondre à la volonté du groupe dont elle doutait qu’il puisse représenter l’opinion générale, eh! bien elle allait la faire avec un seul et unique but : comprendre pourquoi lorsque l’eau bouillante se mêle aux feuilles de thé, une sorte de communion s’établissait. Dans sa tête, ça mijotait dans ce sens-là alors que dans celles des villageois, elle y percevait comme une volonté de rédemption. La culpabilité, même si elle n’a pas de racines, réussit toujours à faire germer des fleurs…

… à suivre…

vendredi 14 octobre 2005

Le vingt et unième saut de crapaud



... la suite...

Grand-père se doutait bien que si les phénomènes que connurent son village et ses habitants eussent eu lieu maintenant, aujourd’hui dans ce monde où les médias, pour un rien et parfois moins encore, déplacent mer et monde, parcourant par monts et par vaux le proche et lointain afin de triturer les entrailles des événements et ceux des gens. Ils auraient projeté des images tellement fausses de la réalité afin de rendre tout ce que vivaient les villageois au rang du fait divers de la journée, pour ensuite le ficher dans la colonne des affaires classées. Mais telle n’était pas la situation. Nous sommes à mille années-lumière de ce genre de couverture, la seule fut un entrefilet perdu dans l’hebdomadaire de Rimouski, rien dans celui de Gaspé. Et pour les villageois, c’était mieux ainsi. On préférait, à l’époque, s’organiser avec ses problèmes, éviter de les répandre un peu partout et un peu plus loin. Nous assistions à une forme de repli sur eux-mêmes. Comme si face à une catastrophe incompréhensible on se serait appliqué à lui faire traverser le couloir de nos connaissances et nos savoirs s’apercevant qu’elle demeurait toujours mystérieuse.

Depuis la valse des étoiles, la nuit imitait le jour s’amusant à jouer les imprévisibles. La torpeur envahit les quelques kilomètres carrés où vivait un peuple de plus en plus irritable. Chacun croyait maintenant que la nature étant affectée par une espèce de virus, il allait désormais s’attaquer aux gens. Ils se mirent alors à se suspecter, fouillant les comportements de tout un chacun à la recherche de modifications qui pouvaient les rendre méconnaissables, scrutant les paroles jusqu’à la pensée. Une sorte de paranoïa s’empara du curé le faisant craindre l’arrivée d’un nouveau faiseur de conscience qui lui déroberait sournoisement le pouvoir qu’il entretenait auprès de ses ouailles. Ses appels aux neuvaines commençaient à ne plus résonner ainsi que ses messages à s’en remettre à la grâce de Dieu et au saint patron de la paroisse.

Pendant ce temps-là, Philip n’en finissait plus de rafistoler son coin de terre, le rendant méconnaissable. Ce que l’on observait, de loin bien sûr et sans jamais en parler, son nom même devenu tabou, c’est tout ce qu’il plantait, semait ou orientait, tout cela ne ressemblait en rien aux coutumes et usages de la région. Des arbres différents et qui répondaient à des noms empruntés du latin; des légumes dont les experts maraîchers du coin n’avaient jamais entendu parler; sa persistance à construire tout en direction du nord. Mais principalement sa volonté de demeurer à l’écart. Tous savaient que Clémence lui avait rendu visite, peut-être même plus d’une fois et qu’elle n’en soufflait mot à personne, pas même à sa mère. Que jamais il n’avait manifesté le désir ou l’intention de descendre au village pour le nécessaire ou la messe. Un étrange étranger que les plus vieux, adorant conserver des mots qui avaient tendance à sécher dans l’oubli, attachaient à leurs phrases pour les retenir, appelaient l’horsain. Philip l’horsain…

Grand-père n’arrivait pas, même en forant creux dans ses souvenirs les mieux enfouis dans une mémoire de plus en plus fragile, à situer dans cette saison peu ordinaire, le moment précis où il fut décidé, suite à une rencontre improvisée chez Émile, le marchand général, de mandater quelqu’un afin de voir comment lui, le géant Philip jaugeait la situation. Dire combien les hommes du village refrénèrent leur hostilité face à ce venu de loin pour finalement se résigner à une action que plusieurs, par la suite, qualifièrent de faiblesse incroyable. C’était admettre leur impuissance.

Lorsque le curé eut vent d’une telle initiative, il fit venir au presbytère le maire du village, un dénommée Léo. On l’élisait de terme en terme comme on le dit par ici, tout simplement parce que personne d’autre ne convoitait le poste et surtout, il savait lire et écrire. Mais comme orateur, on avait vu mieux. Le curé s’indigna qu’on ne l’ait pas consulté. Le maire répondit que lui non plus n’avait pas été mis au courant. Le curé cria des bêtises à la bêtise d’un maire incapable de prendre ses responsabilités. Le maire reçut les insultes, les rangea parmi toutes les autres reçues garnissant un florilège qui s’épaississait de jour en jour. Le curé donna ordre au magistrat de boycotter cette intervention, lui rappelant son droit de veto. Le maire sortit du bureau de monsieur le curé, avec l’odeur de soutane plein le nez et au cœur, une sorte de haine qu’il chercha à réprimer. Il décida de se rendre chez Émile.

- Comment ça se fait qu’on prend des décisions sans consulter le maire de la paroisse?
- Parce que le maire de la paroisse ne prend pas de décisions.

Léo venait de se faire clouer le bec et les clous que le marchand général avait utilisés, le crucifièrent sur place. Le maire se rappelait qu’un témoin oculaire gagne en crédibilité. Lui, il n’avait rien vu de la valse des étoiles, seulement entendu parler. Le maire ne pouvait contester les faits et depuis, aucune réunion du conseil municipal ne s’était tenue. Il entendait bien les reproches dirigés vers son inactivité et son silence. Que l’on soit à la recherche de réponses pouvant adoucir le climat dans la population ne le surprenait pas, mais se sentir coincer entre le curé et eux le rendait mal à l’aise. N’ayant aucune suggestion à apporter, il se résigna, quitte à se faire savonner par le curé.

- Avez-vous quelqu’un en tête pour agir comme émissaire?
- On n’a pas pensé à toi, mon Léo.
- Qui alors?

La journée n’avait pas encore fait sa pause entre le dîner et le souper qu’une délégation composée d’Émile, Arthur ainsi que le vieux Aldège se présenta chez les parents de Clémence.

... à suivre...

jeudi 13 octobre 2005

Le vingtième saut de crapaud

... la suite ...

Dans tout le village, un seul sujet de conversation : l’étrangeté du temps. Il apparaissait évident pour plusieurs que l’on faisait face à une saison inhabituelle mais aucune réponse satisfaisante à tous les comment que la situation amenait avec elle, ne surgissait. Fallait-il attendre? Fallait-il, pour la pêche, se gréer selon la lune du printemps, d’été ou d’automne? Quels filets utiliser? Les potagers? Tout exigeait que l’on redéfinisse les actions et les attitudes, alors que personne, même parmi les plus instruits, n’avançait d'hypothèses.

Grand-père se souvint des nombreux palabres tenus sur le perron de l’église ou sur le quai de l’Anse-au-Griffon. Il se rappelait que les réponses étaient moins nombreuses que les questions. Même Alfred, celui qui avait réponse à tout mais dont parfois l’imagination surpassait beaucoup la réalité, même lui s’était résigné à se taire. Les mots lui manquaient ne pouvant pas expliquer clairement la situation. Grand-père, et ce souvenir remontait en lui aussi limpide qu’une eau de source, sentait s’installer dans la communauté une profonde et inquiétante insécurité. Surtout lors de ce qu’encore maintenant, et à travers toute la côte, il est convenu d’appeler la nuit où les étoiles dansèrent.

Nous étions en juin. Début juin. Dans la région, cette époque est celle de l’annonce des mariages. En effet, on publiait les bans. Les vieux utilisaient une fort belle expression : finies les blandices, passons aux bans. Cela signifiait que le temps pour les amoureux de faire leur cour était achevé et qu’on devait se transporter à la chapelle. Monsieur le curé se faisait un point d’honneur, lors de son homélie du premier dimanche de juin, d’annoncer les unions de ceux-ci avec celles-là. Doux moment pour les commères qui, du moins c’est ce qu’elles disaient, avaient bien vu le plus jeune chez Pitt ravauder du côté de la belle Blanche ou encore la charmante Victoire, fraîchement revenue d’un long voyage à Montréal, donner sa main à Hector que personne ne croyait qu’il allait se marier un jour. Et encore et encore… Mais là, rien. Le néant.

La nuit suivant l’homélie du curé qui ne commenta pas l’absence de noces, dansèrent les étoiles. C’est du moins ce que l’on raconte. Les habitants du village crurent que les perséides devançaient. Mais à bien écouter tous ceux qui furent les témoins privilégiés de l'étrange nuit, la racontant avec beaucoup d’émotion dans la voix, cela n’avait rien à voir avec les étoiles filantes du mois d’août. Grand-père en avait entendu parler de la bouche même d’Émile, le marchand général reconnu pour échanger quatre trente sous pour une piastre et qui arrondissait les chiffres à son avantage.

- Il devait être autour de minuit quand j’ai fini par tout décharger les marchandises en provenance de Gaspé. Je m’en retournais vers la maison quand, tout à coup, la nuit s’est éteinte. Pas longtemps mais juste assez pour que je le remarque et que mes yeux grimpent vers le ciel. Il y avait autant d’étoiles qu’à l’accoutumée. Du moins il me semble. Je me rappelle aussi que les nuages de la journée avaient pris la route de la mer. J’entendais les hiboux et les chouettes jaser entre eux. Puis, vous me croirez pas mais demandez-le à Arthur, lui aussi a vu la même affaire que moi, j’ai eu l’impression puis la certitude que les étoiles dansaient. Piquées dans le firmament, on aurait cru qu’une main immense les décrochait pour les lancer partout. Elles filaient si vite qu’en chemin elles s’arrêtaient de luire. Une fois parties comme un cheval fou, toute de suite elles perdaient leur luisant, le feu en elles disparaissait. Et tout entrait dans un trou profond. C’est alors qu’il se mit à faire si noir que je ne voyais plus où mes pieds se posaient. Ensuite, au loin, elles se rallumaient et partaient de plus belle. Puis encore leur brillant s’affaiblissait. C’était comme des clins d’œil provenant de paupières géantes. Jamais de ma vie je n’ai vu plus noir tellement que je me suis senti devenir aveugle. Les bruits de la nuit avaient disparu. Cela a duré quelques minutes, les plus longues de ma vie.

Arthur, que tout le monde se pressa d’aller consulter, allait confirmer les dires du marchand général en ajoutant comme si ce n’était pas assez :

- Moi aussi j’ai vu danser les étoiles. Passant de leur clarté habituelle à un noir de poêle. Le plus bizarre c’était le silence. Un silence creux comme un trou de puits. C’était comme si la mer n’était plus là. Je dirais qu’elle s’était transformée en linceul pour inviter le ciel à s’y coucher. Pas de vent, pas de cris, pas de chauves-souris même que j’ai pensé que tous les arbres avaient disparu. Jamais vu cela. Avec tout ce qu’on remarque depuis le printemps et qui arrive le jour, c’est épeurant de constater que la nuit maintenant en rajoute. Il y a vraiment du pas normal dans les airs. Je dirais même que je pense que le diable s’en mêle. Va falloir que quelqu’un nous dise ce qui se passe sinon on va devenir fous. Moi le premier. J’avais jamais entendu mon chien hurler, mais après tout ça, et l’histoire a duré pas plus de dix minutes, il a braillé jusqu’au matin. Même si je n’ai pas dormi de toute la nuit, de bonne heure à matin je me suis dépêché d’aller voir comment c’était. Je suis sorti. Le chien me fixait comme s’il avait rencontré une bête effrayante. Le temps était calme. Plus calme que de coutume. La mer était là. Les arbres aussi. La seule chose que j’ai remarquée c’est une espèce de ligne dans le ciel qui partait du fond de l’horizon faisant comme une cicatrice entre les nuages.

L’histoire de la nuit durant laquelle les étoiles dansèrent tout en s’éteignant alimenta la jasette des villageois. Comme un léger bruit de fond, d’abord, devenue par la suite une lame de fond, on se dit que tout ce qui s’abattait jour et nuit sur le village, devait avoir un lien avec l’arrivée et l’installation du gars du nord. Du géant Philip.
... à suivre...

mercredi 12 octobre 2005

Le dix-neuvième saut de crapaud


…la suite…

Des nuages, Clémence n’aurait pas su dire de quelle couleur ils étaient. De formes aussi différentes qu’il y avait de place dans un ciel les accueillant froidement, tout comme si après avoir été invités, on les laissait sur le balcon. S’étirant, s’entrechoquant, partant avec furie se cacher derrière les montagnes, ils revenaient penauds s’excuser puis fuyaient maladroitement vers la mer semblable à un étang duquel les crapauds en sortiraient épuisés. Les oiseaux traçaient des huit dans l’air. Tous avaient remarqué qu’ils ne faisaient pas de nid. Sur des piquets de clôtures devenus leurs perchoirs, dans une immobilité incertaine ils attendaient une pluie qui n’arrivait pas à tomber. Le temps pesant écrasait les heures lentes à transpercer le jour.

Clémence traversa la route qui allait la mener vers le petit bois. Son pas a l’allure de ceux qui hésitent à se faire voir mais souhaitent qu’on les interpelle. C’est calme autour de chez Philip. Est-il là? La verra-t-il dans sa démarche ralentie? Et que lui dira-t-elle si jamais il sortait de cette maison silencieuse? Son cœur oubliait les alentours, se concentrant sur les fenêtres de la framboise saumonée.

- T’es revenue chercher ton bocal? retentit derrière Clémence une voix douce et puissante.
- Mon petit thé doit être flétri maintenant, répondit-elle, retenant maladroitement une nervosité emmêlée dans la gêne.
- Tout se fane tellement vite.

Philip apparut, grand comme à l’habitude, moins que dans ses rêves. Elle ne pouvait rien contre ses rêvasseries devenues songes habitant ses nuits depuis le premier jour de leur première rencontre. Elle le dévisageait comme pour imprimer en elle les réels pourtours de sa tête fière et impassible. Le vert de ses yeux lui revenait maintenant. Les mains et les bras, comme des épinettes. Et surtout, cette impression que rien ne l’affectait, le rejoignait. Comme s’il savait que la peur, la crainte jamais ne pourraient prendre racine en lui. Autant de sérénité installée chez une même personne, était-ce possible?

- Tu l’as bu? osa-t-elle afin de briser un tant soit peu la distance entre eux.
- Comment le prépares-tu?
- En infusion, avec une eau bouillante. C’est tout.
- C’est tout?
- Oui, répondit-elle, certaine que voilà la bonne manière de faire, que de toute façon il ne pouvait y en avoir d’autres.
- Préparer du thé, celui que tu cueilles, commande un grand respect. Celui que tu dois à la nature. On l’oublie parfois.
- Que veux-tu dire?

Philip la regardait avec des yeux tristes, sembla-t-il à Clémence qui n’avait jamais pris le temps de s’interroger sur la façon de faire le thé. Que ce soit celui acheté par sa mère chez le marchand provenant de pays étrangers et chauds ou encore le petit thé qu’elle allait cueillir dans les boisés de la région, cela restait du thé.

- Quelle merveille lorsque l’eau qui bout rencontre les feuilles de thé! Il y a là une communion. On doit se préparer. L’accueillir car on assiste à la création de quelque chose de nouveau. Ce n’est plus de l’eau, ce n’est plus un végétal qui craque dans nos doigts, c’est autre chose. Entre les deux, par les deux.

Clémence, toute sa vie, sans jamais avoir tout à fait réfléchi à la transformation des feuilles de thé au contact d’une eau bouillante, préparait le thé tout en faisant autre chose. Comme on le lui avait enseigné. Pas de miracle ou d’alchimie, un thé reste un thé. Allait-il lui dire qu’en plus il ne faut pas jeter les feuilles qui stagnent dans la tasse une fois qu’on l’ait bu? Y lire quelque chose? Comme ces charlatans dont on se moque mais que l’on écoute d’une oreille attentive. Philip serait-il un hâbleur bourré d’orviétan cherchant quelques incrédules afin de leur emplir la tête d’idées folles?

- Un thé ça ne sera toujours qu’un thé, enchaîna-t-elle, comme pour l’assurer qu’elle suivait la conversation.
- Tu as raison. On a raison, toujours, quand les choses sont comme nous les voyons. Mais on interroge notre raison quand on s’aperçoit qu’elles ne sont plus comme nous les voyons. Alors on essaie de se les expliquer avec nos vieux mots, nos vieilles pensées, nos histoires reçues. Parfois ça marche. Parfois ça ne fonctionne pas.
- Veux-tu me dire qu’ailleurs, dans ton pays du nord par exemple, on fait le thé différemment?
- Ailleurs c’est ici pour ceux qui n’y sont pas. Il n’y a pas d’ailleurs. Il n’y a que des ici qu’on ne connaît pas encore. C’est comme pour tes feuilles de thé. Elles étaient ailleurs et là elles sont ici. Elles ont fait du chemin. C’est le chemin qui est important.

Clémence ne savait plus trop que penser. Elle recevait les paroles du géant Philip comme une gorgée d’un liquide dont elle ne connaissait pas le goût, mais qu’elle aimait. Elle buvait ce qu’il disait, doucement, respirant légèrement la petite fumée qui s’en dégageait pour s’enfuir au contact de son souffle.

- Merci pour mon bocal. Je dois rentrer maintenant.

Elle reprit le chemin, la route ne sachant trop si entre ici et l’ailleurs qui l’attendait, ils seraient les mêmes.

…à suivre…

mardi 11 octobre 2005

Le dix-huitième saut de crapaud

… la suite…

Clémence réalisa avoir oublié son bocal plein de feuilles de petit thé alors qu’elle rentrait chez elle. Sa mère remarqua les pommettes rouges de sa fille ainsi que son oubli. Elle n’en souffla mot mais ne se gêna pas pour lui rappeler qu’elle avait mis du temps. Le cœur de Clémence n’était convoité par aucun garçon du village en raison principalement de sa forte indépendance d’esprit. En effet, à ce que l’on racontait et qui souvent provenait de racontars, de je-le-sais-il-me-l’a-dit, de c’est-toujours-comme-ça-que-ça-se-passe, de puisque-le-curé-en-parle-ça-doit-être-vrai, elle fronçait les yeux ou encore esquissait un sourire narquois. Son père disait d’elle que sa tête ne suivait pas son cœur. Sans friser l’âge où on devient vieille fille, tout le village enviait les parents de Clémence car ils auraient l’avantage de pouvoir compter sur elle pour leurs vieux jours. On l’avait classée dans la catégorie des pas mariables, des servantes de maison. Aucun prétendant ne s’aventurait vers elle, tout étant perdu à l’avance. Mais Clémence savait que tout ce qui se disait, n’était que répétitions écholaliques et vieilles rengaines. À l’inverse de toute bonne fille de l’époque, son sourire ironique la rendait… suspecte.


Au départ de Clémence, le grand Philip acheva de planter son pieu, mesura ce qui lui restait à faire et récupéra le bocal de petit thé oublié par celle que désormais il allait appeler la fille aux petits fruits. Le travail effectué à ses bâtiments (la maison aux trois murs et une petite dépendance sise tout près de la falaise) faisait jaser les gens du village. Quelle idée que de construire à l’envers des habitudes! La maison doit donner sur la route. Les bâtiments construits derrière. La maison, peinte en blanc ou en bleu, pas de cette couleur framboise saumonée comme Philip l’avait fait. Sa dépendance était demeurée sur le bois. De l’épinette. Celle qu’il arrachait à la forêt et transportait à bras.


Grand-père se souvint de cette fameuse saison où le temps prit des habits hors de l’ordinaire. Le grand Philip, arrivé l’automne précédent passa l’hiver hibernant loin du village et de ses habitants. Au printemps, plus court qu'à l'ordinaire, laissa brutalement la place à un drôle d’été. Avril de grands vents, à cela on s'y attend, les vieux répétant continuellement que les vents d’avril sont là pour le ménage : transporter les feuilles mortes vers la forêt, sécher la neige et fouetter les arbres afin qu’ils bourgeonnent dru. Quelques jours à peine avaient-ils grugé le mois de mai que la mer s’amusa à faire éclater des vagues gigantesques sur la grave, le lendemain devenant inerte, sans vie et sans couleur. Une espèce de canicule inhabituelle pour l’époque. Tous les gens en parlaient, allant de leurs hypothèses aussi saugrenues qu’invraisemblables. Certains disaient que la mer muait. D’autres que de malins présages s’annonçaient par les alternances de la mer. Plusieurs avaient remarqué que le nordoît et le suroît s'échangaient leur journée. Les animaux sommeillaient en plein après-midi, gambadaient la nuit. Tout semblait tellement sens dessus dessous que le curé proposa une neuvaine éternelle, jusqu’à ce que le temps retombe sur ses pattes. On ne prononçait pas le nom du diable mais chacun y songeait. Les soirées de danse et de boisson furent immédiatement stoppées. La dîme augmentée. Les politiciens en profitèrent pour faire oublier leurs promesses de routes à asphalter et d’aqueduc qu’il faudrait bien construire. Les plus vieux, n'ayant aucune souvenance d’une telle situation, n’osaient plus rien avancer pour expliquer ce phénomène surnaturel... On se croyait face à un inconnu replié sur lui-même, muet et avare d’indices. Tous les repères disparaissaient.


Un matin de la fin du mois de mai, au lendemain d’une interminable soirée de chapelet offerte à la Sainte Vierge avec la commande précise de ramener le temps dans des allures traditionnelles, Clémence partit vers la forêt, celle située tout juste derrière le repaire du géant Philip.
...à suivre...

dimanche 9 octobre 2005

Le dix-septième saut de crapaud



Le gâteau aux pommes, sur la table, fit se rappeller à notre grand-père combien il est sensible aux odeurs. Juste ce qu'il faut de cannelle pour chatouiller le fruit. Il se surprit à voir les oiseaux plus capricieux ce matin, rechignant devant les morceaux de pain trempés dans un peu de graisse afin de les rendre plus consistants à l'arrivée de ce vent, celui qui ne dément pas, celui de l'automne. Sans doute ne sont-ils pas encore prêts, ne veulent-ils pas que la douce vie de l'aurore, alors que le soleil déjà faisait suer, se change en vent! Car c'est le vent qui annonce les grands changements. Ne dit-on pas qu'un vent de changement souffle sur... Mais le changement pour des oiseaux, pour un grand-père ce n'est parfois que le vent. Cela lui fit souvenance de ce fort étrange personnage apparu dans leur village, en coup de vent.
Tout jeune encore, grand-père avait appris à se fier aux dires des plus vieux. Ils répétaient que la mer, le ciel et la terre prédisaient le temps qu'il ferait sur la nature et sur les gens. Et rarement se trompaient-ils. On prévoyait le beau comme le mauvais. Un nuage, selon sa forme, parlait de pluie ou de neige en orage, de soleil ou de chaleur s'installant à demeure, de moment propice pour planter les oignons. Et on en remettait. La nature, voilà l'universelle référence . Jusqu'à l'arrivée de ce grand bonhomme, plus grand que nature, de la stature des géants, des Beaupré. Il allait changer en l'espace de quelques années combien de croyances ancrées dans cette population qu'à la limite il devint un être inquiétant.
Il avait pris racine sur les restes d'une vieille maison dévastée par un incendie, il y a de cela plus de cinquante ans et qui, jamais, ne fut ni reconstruite ni même entièrement jetée par terre. On s'y était habitué, trois murs bloquant la vue sauf du côté nord. Du côté où le vent est plus fort. Ici, le suroît et le nordoît sont de sombres messagers. Ils font de la mer deux entités aussi différentes que le sont le jour et la nuit. Donc, le grand Philip arriva sans tambour ni trompette, un matin d'automne alors que les oiseaux commençaient à rechigner sur le pain trempé dans la graisse. Il ne portait avec lui que ses bras et ses jambes.
Dans le village on se surprit d'entendre revivre, oh! combien doucement au début, puis rapidement par la suite, cette délabrure aux trois murs chambranlants. Personne, du moins c'est que l'histoire raconte, ne se présenta à lui. Lui aussi d'ailleurs ne s'avança pas vers les habitants de ce coin de mer où la méfiance prend des années à se transfigurer en bonjour-bonsoir lorsque l'on se croise sur la route. Il eût donc tout l'automne pour fermer le mur absent, rafistoler le toit, découvrir le puits, colmater les fenêtres et revenir de longues promenades dans la forêt et d'excursions sur la mer. Sur la mer, il ne s'aventurait jamais très loin. Longtemps après on sut qu'il n'avait pas le pied marin. Le plus bizarre dans cette affaire, ce que tous les villageois se rappellent en ayant tellement jaser, à quel point la solitude, quasi l'isolement, ne semblait pas lui peser.
Venir du nord pour des gens de l'est, c'est un peu comme venir de nulle part. Une espèce de Survenant avant le temps. Sauf qu'il paraissait vouloir ni partir ni s'intégrer. Les gens du nord, du moins c'est que les plus memères du village colportaient, ne pouvaient pas avoir de racines, le froid les empêchant de bien prendre dans le sol qui de toute façon est perpétuellement gelé. Ici, les saisons se coupent au couteau de pêche. La mer se donne des couleurs si différentes, que cela a le mérite d'être clair et net. Pas pour les gens du nord qui de toute évidence ne manifestent aucun intérêt apparent à partager leur sens de l'orientation avec les autres.
Philip, de saison en saison, finit pas faire partie du décor, en fait on finit par l'oublier. Jusqu'au jour où une jeune fille, à la fin du printemps et aux portes de l'été, le croisa, elle s'engouffrant dans le boisée pour y cueillir du petit thé et lui, en sortant, un billot d'épinette à l'épaule. Le sourire dans les yeux du géant rassura Clémence. Ils se toisèrent l'intervalle de deux mots, peut-être moins. Le jour était bleu. Les joues de Clémence devinrent rouges. Les bras de Philip, mauves. Il la salua d'une voix d'écorce. Elle baissa les yeux, passa son chemin.
Quelle ne fût pas sa surprise, alors que revenant sur ses pas, quelques heures plus tard, son bocal (gentiment appelé ici boucot, comme la crevette grise) rempli de feuilles de thé dont l'odeur traçait un sentier devant elle, de voir le géant Philip accoudé à un pieu de clôture qu'il achevait de planter!
- Le vent est bon. L'été sera long et chaud. Tu pourras ramasser des petits fruits en grande quantité.
Elle ne savait trop que dire.
- Tu connais le temps? dit-elle.
- Je le connais par le vent. Il ne se trompe jamais. Surtout lorsqu'il nous amène par les chemins du nord tous les messages qui s'y cachent. Et c'est si loin le nord. Le vent du nord file droit. Ne change pas de direction. Ne prend pas de pauses. Il est trop pressé de dire ce qui s'en vient.
Clémence écoutait Philip et ne reconnaissait rien en lui qui ressembla à ce dont elle avait accoutumance d'entendre dans son patelin de l'est. La mer parle plus que le vent, savait-elle. Et lui, il disait que le vent jamais ne se trompe. Était-ce son regard vert, sa voix éteinte ou encore sa carrure d'homme d'ailleurs qui lui firent chavirer le coeur ainsi qu'un nordoît osant s'infiltrer dans une baie solitaire sous des caps et des falaises plus solides encore que le temps. Elle partit, oubliant son bocal de feuilles de petit thé renversé aux pieds de Philip.
D'un solide coup de masse sur le pieu d'épinette il fit éclabousser le sol.
...à suivre

jeudi 6 octobre 2005

Le seizième saut de crapaud

Lettre à Lionel Bernier

Lionel,


Je souhaiterais, d'entrée de jeu, citer ces paroles combien senties et tellement appropriées; elles sont de Simone Weil:
C'est un devoir pour chaque homme de se déraciner (pour accéder à l'universel), mais c'est toujours un crime de déraciner l'autre.
LA BATAILLE DE FORILLON, roman publié chez Fides en 2001, vous l'avez écrit afin que jamais cette chronologie faite d'événements macabres ne puisse, d'abord être oubliée et sans doute afin que chaque être humain sache et comprenne combien l'homme peut devenir machiavélique lorsque la servilité le guide.
Mon cher Lionel, je ne vous connais pas, mais que je vous ai suivi à travers ce jeune avocat prénommé Archange. Votre roman m'a rejoint, beaucoup à cause de mon été gaspésien, des quelques remarques grapillées autant à Cap-des-Rosiers qu'à l'Anse-au-Griffon ou encore à Percé, que par cette extraordinaire force d'écriture. Vous savez passer du juridique au poétique, du descriptif au pamphlétaire, de la passion à la raison. Vous êtes Gaspésie! Dans tout ce qu'elle a de terre, de mer et de montagne. Vous êtes Gaspésie! Dans l'avant et dans l'après Forillon. Vous n'êtes pas monté aux barrières, vous avez refusé la barrière, celle qui obligerait les habitants de cette terre arrachée de manière si brutale et si injuste, à franchir tête basse et mots muselés. Vous démontrez avec une clarté digne des soleils du matin et du soir sur la côte gaspésienne, appuyé au phare de Cap-des-Rosiers que sur cette terre, la vôtre pour toujours, on ne capitulerait pas. Jamais. Avant comme après.
Vous nous présentez des personnages attachants (Philip-John, Mme Albina, Tenfan, Félix et combien d'autres), aux prises avec une machine de guerre huilée à même les fonds incommensurables de deux gouvernements, l'un capitulant et l'autre triomphant. Ces hommes et ces femmes profondément ancrés dans ce coin de pays, si éloigné que toute cette bataille aura presque passée inaperçue, n'eût été cette tenacité à voir la justice éclater, ces hommes et ces femmes auront vécu des années d'un supplice insupportable. Mais ils croyaient que cette grande opération d'épuration, comme vous le dites et qu'aujourd'hui se comparerait à certains génocides tristement célèbres, ils ont cru que jour après jour, ils se devaient de sauvegarder un patrimoine si riche, issu de tant et tant d'influences qui tissèrent l'originalité que vous réussissez tellement bien à nous partager.
Les grands débats ont lieu dans les grands lieux. Grave erreur de logique car vous avez vécu un immense débat sur un immense territoire avec, pour écho, que quelques bribes d'information s'échappant lorsque du juteux en sortait. Imaginons un tel nettoyage à Québec ou encore à Montréal. C'est le conflit. Pensons à tout ce qui s'est dit d'acerbe lors des débats entourant les fusions obligées. Ne l'oublions pas, vous fûtes les premiers à être obligatoirement fusionnés. Tout cela de nuit. Sans bruit. Pas de bruit pas d'écho. De toute façon, les centaines et les centaines de kilomètres séparant Gaspé de Montréal auraient facilement dévoré les restes d'un écho venu de votre patrie de mer. Je ne me trompe pas en disant que la Gaspésie, voilà une patrie. Votre roman nous la fait si bien sentir, si bien vivre.
Lionel, je laisse LE BATAILLE DE FORILLON avec, dans le fond de la gorge, un dégoût répugnant. Comment ai-je pu de pas être au courant de vos luttes alors qu'elles se déroulaient? Facile aujourd'hui de dire que les journaux ne couvraient pas les événements, que l'automne 1970 approchait, que d'autres dossiers plus importants sollicitaient mon attention. Facile. Alors que vous étiez les deux pieds dedans. Jusqu'au cou.
Aujourd'hui, 35 ans après, je me permets de croire que vous y pensez encore. Toujours. Une telle cicatrice ne peut pas, quotidiennement, apparaître à vos yeux sans le coeur défaille un peu. Le vertige sur le haut d'une falaise. Même désensibilisé, il est là, installé à demeure comme la marée.
On dira que les magnifiques paysages de Forillon sont la propriété de tous les Canadiens, de toutes les Canadiennes maintenant qu'ils sont parc national fédéral. Il n'en reste pas moins qu'ils cacheront dans les grands bruissements du vent, dans les amples mouvements des arbres et la régularité de la mer, ils cacheront des odeurs de maisons brûlées, de terres violées et principalement, la déprime de gens intensément debouts malgré la courbure de leur dos.
Je terminerai cette lettre en citant les vers de Victor Hugo tirés de La Légende des siècles que vous avez vous-même utilisés:
Oh! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus!
Salut Gaspésie.
LA BATAILLE DE FORILLON, Lionel Bernier, Fides 2001

lundi 3 octobre 2005

Le quinzième saut de crapaud

Quand cette vague parviendra-t-elle à Cap-des-Rosiers? Qu’aura-t-elle ramassé sur son chemin d’eau et laissera filer dans le golfe, dans la mer? En ce dimanche d’octobre aussi beau que ceux de l’été, il fait bon, en promenade dans le parc Jean-Drapeau, flâner en regardant l’eau. Comme ces personnes dorées, un céleri à la bouche, assis sur leurs petites chaises pliantes, se partageant des sourires camouflés. Ce cycliste qui donne un rythme endiablé à son vélo sur une piste qu’auront tracée au fil des ans des piétons qui doivent maintenant se projeter sur le côté à son passage. À ces asiatiques qui prennent une posture d’occasion pour la photo, même posture reprise mais dans l’ordre inverse un peu plus loin, avec le même sourire de circonstance. Cette dame au regard qui n’en a plus l’air, marchant tête basse, pas ralentis et que je retrouverai sous le dôme de la biosphère, mangeant des croustilles, le même hagard dans les yeux. Ce père, cette mère, cette jeune fille, ce chien, dont l’activité dominicale semble davantage obligée que souhaitée. Le vert sous les arbres. Le bleu dans le ciel. Les ors qui se répandent généreusement sur le fleuve. Et Montréal, en face, feint de dormir pour ne rien changer aux délices d’une île. Île qui me rappelle, presque déjà quarante ans, qu’elle et ses deux sœurs Notre-Dame et La Ronde, l’espace d’un printemps, d’un été et d’un quasi automne, soutenait la Terre des Hommes.





Est-ce que les cormorans partiront eux aussi comme ces bernaches qui, avec leurs ahans saccadés, glissent dans le ciel? Une longue flèche pointant le sud. Des mouettes, ces hirondelles de mer, ainsi que des points blancs de domino, accompagnent ces grands oiseaux dont les cous fouineurs fixent la rive où des pêcheurs alignent des cannes en leur direction. Ils font spectacle, le savent et en profitent pour offrir des poses immobiles parfois ou des battements d’ailes retenus. Alors que les oiseaux de mon jardinet, c’est sur un lit d’herbe qu’ils picorent, eux, c’est sur un plancher de roches qu’ils trônent. Spectateurs immobiles de ces bateaux bigarrés sous le bleu-firmament d’une rare pureté, au vert accroché sous les arbres et aux ors chatoyants qui s’étendent sur le fleuve. Dimanche magnifique!




La nature ne requiert que très peu d’espace pour s’épanouir. Une île, un fleuve et des arbres. C’est tout. Et tellement à la fois. Si près, si à côté de la ville que l’on arrive presque à se dire qu’elle fait partie de soi. Un pont à franchir et ça y est. Ma crainte naturelle des eaux, lorsque celles-ci se surplombent d'un pont, devient phobique. Comme si hauteur, profondeur et longueur se confondaient au point où j'en arrive à figer sur place. Mais cette fois-ci, j'allais le traverser, en route vers une victoire personnelle rudement acquise par une foulée de pas incertains. Il faut regarder au loin si l'on veut chasser le vertige. Ne jamais suivre le courant d'eau qui lui sait tout à fait où il s'en va. Je m'avançais, à la limite d'un courage que les autres piétons et cyclistes ne semblaient même pas utiliser tellement traverser un pont leur est naturel. On perd ses repères lorsqu'une force supérieure à soi nous envahit en y déposant ses énergies négatives. C'est la sueur. La suée. Le plus savoir. Se laisser commander par autre chose. Mais Je traverserais. Traversé. Tout de travers. Lorsque le pied se pose sur la terre ferme, ce qui nous envahit, est une espèce de sentiment d'avoir perdu un temps fou à ne pas avoir pris, une fois, le temps d'affronter ces éléments qui nous paralysent.

Comme l'eau du fleuve en partance vers Cap-des-Rosiers, le pont m'a fait avancer d'un côté à l'autre en me faisant comprendre que souvent c'est l'entre-deux qui nous engourdit.



Si Nathan avait su (12)

Émile NELLIGAN La grossesse de Jésabelle, débutée en juin, lui permettra de mieux se centrer sur elle-même. Fin août, Daniel conduira Benjam...