... la suite ...
Dans tout le village, un seul sujet de conversation : l’étrangeté du temps. Il apparaissait évident pour plusieurs que l’on faisait face à une saison inhabituelle mais aucune réponse satisfaisante à tous les comment que la situation amenait avec elle, ne surgissait. Fallait-il attendre? Fallait-il, pour la pêche, se gréer selon la lune du printemps, d’été ou d’automne? Quels filets utiliser? Les potagers? Tout exigeait que l’on redéfinisse les actions et les attitudes, alors que personne, même parmi les plus instruits, n’avançait d'hypothèses.
Grand-père se souvint des nombreux palabres tenus sur le perron de l’église ou sur le quai de l’Anse-au-Griffon. Il se rappelait que les réponses étaient moins nombreuses que les questions. Même Alfred, celui qui avait réponse à tout mais dont parfois l’imagination surpassait beaucoup la réalité, même lui s’était résigné à se taire. Les mots lui manquaient ne pouvant pas expliquer clairement la situation. Grand-père, et ce souvenir remontait en lui aussi limpide qu’une eau de source, sentait s’installer dans la communauté une profonde et inquiétante insécurité. Surtout lors de ce qu’encore maintenant, et à travers toute la côte, il est convenu d’appeler la nuit où les étoiles dansèrent.
Nous étions en juin. Début juin. Dans la région, cette époque est celle de l’annonce des mariages. En effet, on publiait les bans. Les vieux utilisaient une fort belle expression : finies les blandices, passons aux bans. Cela signifiait que le temps pour les amoureux de faire leur cour était achevé et qu’on devait se transporter à la chapelle. Monsieur le curé se faisait un point d’honneur, lors de son homélie du premier dimanche de juin, d’annoncer les unions de ceux-ci avec celles-là. Doux moment pour les commères qui, du moins c’est ce qu’elles disaient, avaient bien vu le plus jeune chez Pitt ravauder du côté de la belle Blanche ou encore la charmante Victoire, fraîchement revenue d’un long voyage à Montréal, donner sa main à Hector que personne ne croyait qu’il allait se marier un jour. Et encore et encore… Mais là, rien. Le néant.
La nuit suivant l’homélie du curé qui ne commenta pas l’absence de noces, dansèrent les étoiles. C’est du moins ce que l’on raconte. Les habitants du village crurent que les perséides devançaient. Mais à bien écouter tous ceux qui furent les témoins privilégiés de l'étrange nuit, la racontant avec beaucoup d’émotion dans la voix, cela n’avait rien à voir avec les étoiles filantes du mois d’août. Grand-père en avait entendu parler de la bouche même d’Émile, le marchand général reconnu pour échanger quatre trente sous pour une piastre et qui arrondissait les chiffres à son avantage.
- Il devait être autour de minuit quand j’ai fini par tout décharger les marchandises en provenance de Gaspé. Je m’en retournais vers la maison quand, tout à coup, la nuit s’est éteinte. Pas longtemps mais juste assez pour que je le remarque et que mes yeux grimpent vers le ciel. Il y avait autant d’étoiles qu’à l’accoutumée. Du moins il me semble. Je me rappelle aussi que les nuages de la journée avaient pris la route de la mer. J’entendais les hiboux et les chouettes jaser entre eux. Puis, vous me croirez pas mais demandez-le à Arthur, lui aussi a vu la même affaire que moi, j’ai eu l’impression puis la certitude que les étoiles dansaient. Piquées dans le firmament, on aurait cru qu’une main immense les décrochait pour les lancer partout. Elles filaient si vite qu’en chemin elles s’arrêtaient de luire. Une fois parties comme un cheval fou, toute de suite elles perdaient leur luisant, le feu en elles disparaissait. Et tout entrait dans un trou profond. C’est alors qu’il se mit à faire si noir que je ne voyais plus où mes pieds se posaient. Ensuite, au loin, elles se rallumaient et partaient de plus belle. Puis encore leur brillant s’affaiblissait. C’était comme des clins d’œil provenant de paupières géantes. Jamais de ma vie je n’ai vu plus noir tellement que je me suis senti devenir aveugle. Les bruits de la nuit avaient disparu. Cela a duré quelques minutes, les plus longues de ma vie.
Arthur, que tout le monde se pressa d’aller consulter, allait confirmer les dires du marchand général en ajoutant comme si ce n’était pas assez :
- Moi aussi j’ai vu danser les étoiles. Passant de leur clarté habituelle à un noir de poêle. Le plus bizarre c’était le silence. Un silence creux comme un trou de puits. C’était comme si la mer n’était plus là. Je dirais qu’elle s’était transformée en linceul pour inviter le ciel à s’y coucher. Pas de vent, pas de cris, pas de chauves-souris même que j’ai pensé que tous les arbres avaient disparu. Jamais vu cela. Avec tout ce qu’on remarque depuis le printemps et qui arrive le jour, c’est épeurant de constater que la nuit maintenant en rajoute. Il y a vraiment du pas normal dans les airs. Je dirais même que je pense que le diable s’en mêle. Va falloir que quelqu’un nous dise ce qui se passe sinon on va devenir fous. Moi le premier. J’avais jamais entendu mon chien hurler, mais après tout ça, et l’histoire a duré pas plus de dix minutes, il a braillé jusqu’au matin. Même si je n’ai pas dormi de toute la nuit, de bonne heure à matin je me suis dépêché d’aller voir comment c’était. Je suis sorti. Le chien me fixait comme s’il avait rencontré une bête effrayante. Le temps était calme. Plus calme que de coutume. La mer était là. Les arbres aussi. La seule chose que j’ai remarquée c’est une espèce de ligne dans le ciel qui partait du fond de l’horizon faisant comme une cicatrice entre les nuages.
L’histoire de la nuit durant laquelle les étoiles dansèrent tout en s’éteignant alimenta la jasette des villageois. Comme un léger bruit de fond, d’abord, devenue par la suite une lame de fond, on se dit que tout ce qui s’abattait jour et nuit sur le village, devait avoir un lien avec l’arrivée et l’installation du gars du nord. Du géant Philip.
Grand-père se souvint des nombreux palabres tenus sur le perron de l’église ou sur le quai de l’Anse-au-Griffon. Il se rappelait que les réponses étaient moins nombreuses que les questions. Même Alfred, celui qui avait réponse à tout mais dont parfois l’imagination surpassait beaucoup la réalité, même lui s’était résigné à se taire. Les mots lui manquaient ne pouvant pas expliquer clairement la situation. Grand-père, et ce souvenir remontait en lui aussi limpide qu’une eau de source, sentait s’installer dans la communauté une profonde et inquiétante insécurité. Surtout lors de ce qu’encore maintenant, et à travers toute la côte, il est convenu d’appeler la nuit où les étoiles dansèrent.
Nous étions en juin. Début juin. Dans la région, cette époque est celle de l’annonce des mariages. En effet, on publiait les bans. Les vieux utilisaient une fort belle expression : finies les blandices, passons aux bans. Cela signifiait que le temps pour les amoureux de faire leur cour était achevé et qu’on devait se transporter à la chapelle. Monsieur le curé se faisait un point d’honneur, lors de son homélie du premier dimanche de juin, d’annoncer les unions de ceux-ci avec celles-là. Doux moment pour les commères qui, du moins c’est ce qu’elles disaient, avaient bien vu le plus jeune chez Pitt ravauder du côté de la belle Blanche ou encore la charmante Victoire, fraîchement revenue d’un long voyage à Montréal, donner sa main à Hector que personne ne croyait qu’il allait se marier un jour. Et encore et encore… Mais là, rien. Le néant.
La nuit suivant l’homélie du curé qui ne commenta pas l’absence de noces, dansèrent les étoiles. C’est du moins ce que l’on raconte. Les habitants du village crurent que les perséides devançaient. Mais à bien écouter tous ceux qui furent les témoins privilégiés de l'étrange nuit, la racontant avec beaucoup d’émotion dans la voix, cela n’avait rien à voir avec les étoiles filantes du mois d’août. Grand-père en avait entendu parler de la bouche même d’Émile, le marchand général reconnu pour échanger quatre trente sous pour une piastre et qui arrondissait les chiffres à son avantage.
- Il devait être autour de minuit quand j’ai fini par tout décharger les marchandises en provenance de Gaspé. Je m’en retournais vers la maison quand, tout à coup, la nuit s’est éteinte. Pas longtemps mais juste assez pour que je le remarque et que mes yeux grimpent vers le ciel. Il y avait autant d’étoiles qu’à l’accoutumée. Du moins il me semble. Je me rappelle aussi que les nuages de la journée avaient pris la route de la mer. J’entendais les hiboux et les chouettes jaser entre eux. Puis, vous me croirez pas mais demandez-le à Arthur, lui aussi a vu la même affaire que moi, j’ai eu l’impression puis la certitude que les étoiles dansaient. Piquées dans le firmament, on aurait cru qu’une main immense les décrochait pour les lancer partout. Elles filaient si vite qu’en chemin elles s’arrêtaient de luire. Une fois parties comme un cheval fou, toute de suite elles perdaient leur luisant, le feu en elles disparaissait. Et tout entrait dans un trou profond. C’est alors qu’il se mit à faire si noir que je ne voyais plus où mes pieds se posaient. Ensuite, au loin, elles se rallumaient et partaient de plus belle. Puis encore leur brillant s’affaiblissait. C’était comme des clins d’œil provenant de paupières géantes. Jamais de ma vie je n’ai vu plus noir tellement que je me suis senti devenir aveugle. Les bruits de la nuit avaient disparu. Cela a duré quelques minutes, les plus longues de ma vie.
Arthur, que tout le monde se pressa d’aller consulter, allait confirmer les dires du marchand général en ajoutant comme si ce n’était pas assez :
- Moi aussi j’ai vu danser les étoiles. Passant de leur clarté habituelle à un noir de poêle. Le plus bizarre c’était le silence. Un silence creux comme un trou de puits. C’était comme si la mer n’était plus là. Je dirais qu’elle s’était transformée en linceul pour inviter le ciel à s’y coucher. Pas de vent, pas de cris, pas de chauves-souris même que j’ai pensé que tous les arbres avaient disparu. Jamais vu cela. Avec tout ce qu’on remarque depuis le printemps et qui arrive le jour, c’est épeurant de constater que la nuit maintenant en rajoute. Il y a vraiment du pas normal dans les airs. Je dirais même que je pense que le diable s’en mêle. Va falloir que quelqu’un nous dise ce qui se passe sinon on va devenir fous. Moi le premier. J’avais jamais entendu mon chien hurler, mais après tout ça, et l’histoire a duré pas plus de dix minutes, il a braillé jusqu’au matin. Même si je n’ai pas dormi de toute la nuit, de bonne heure à matin je me suis dépêché d’aller voir comment c’était. Je suis sorti. Le chien me fixait comme s’il avait rencontré une bête effrayante. Le temps était calme. Plus calme que de coutume. La mer était là. Les arbres aussi. La seule chose que j’ai remarquée c’est une espèce de ligne dans le ciel qui partait du fond de l’horizon faisant comme une cicatrice entre les nuages.
L’histoire de la nuit durant laquelle les étoiles dansèrent tout en s’éteignant alimenta la jasette des villageois. Comme un léger bruit de fond, d’abord, devenue par la suite une lame de fond, on se dit que tout ce qui s’abattait jour et nuit sur le village, devait avoir un lien avec l’arrivée et l’installation du gars du nord. Du géant Philip.
... à suivre...
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