Photo prise à Bali par mon ami Olivier Faure
 
 
 
     À la minute même où mes yeux ont croisé cette photo, défilèrent toutes ces années - 35 au bout du compte - que j'ai consacrées à l'enseignement, à l'instruction, à l'éducation. Olivier, cet ami photographe qui sait capter puis immortaliser des instants fugaces les rendant criant de vérité, de beauté et d'originalité, me racontait l'historiette de cette image. Bali, une cour d'école dans laquelle des enfants, bruyants et indisciplinés, s'amusent et crient; Bali, quelques secondes plus tard, à l'appel de l'enseignant, les voici ces mêmes enfants, dans la classe, calmement installés derrière un bureau puis ces yeux, ces regards d'une intelligence que, parfois, seuls les enfants savent conserver, ces yeux, ces regards fixés sur l'enseignement, sur l'enseignant, sur ce qu'ils voient de grand devant eux, plus grand qu'eux encore. Olivier a su magnifiquement par cette photo nous en révéler toute leur intensité. 
  
Cette photo a fait naître en moi ce poème.  Il y est question d'un sapin, esseulé, à la limite isolé qui se voudrait pin ou baobab. Tout enfant, de sapin qu'il est, rêve devenir plus... devenir un pin, à la limite, baobab. Sa réalité, celle que décrit, qu'illustre Olivier par les ocres magnifiques de cette photo, l'enfant la découvre dans l'immobilité de ses racines qui plongent, invisibles, vers le sol mais aussi par la majesté de ses branches qui contre-plongent vers le firmament.  
  
Et l'éducation demeure cette nourriture qui permet à un rêve qui n'est pas, qui ne sera pas, peut-être, permet à la conscience de réaliser et prendre sa place dans l'univers, le remplir par toute sa stature, de croire que des racines esseulées voire isolées peuvent en rejoindre d'autres; à des branches, peu importe leur étendue, de signaler sa présence au monde. 
  
Merci Olivier pour cette photo.  
  
  
  
sapin 
  
  
il vivait seul, ce sapin, 
au coeur d’une plaine plus
étendue encore que l’horizon qu’il coupait en son centre,  
ombrageant le sol de sa forme triangulaire
et imparfaite 
il piquait le ciel en étendant
ses longs doigts d’épines 
il se voyait à travers son regard résineux 
gigantesque pin, baobab colossal  
abandonnant, enfouis à ses
pieds, mille éperons aiguisés que charriait le vent rougissant 
parmi le silence alentour, seul, bras écartés comme
crucifiés, porteur de nids d’oiseaux de proie,  
le sapin au tronc enceint de
ravins sauvages fixait en permanence les destinés coriaces  
arbre aux ramures solides, fluides, des vagues sur
l’écorce du temps  
il redoute la solitude, celle
des attentes rabâchées, des mots ensevelis dans les trous du vent, ce briseur d’immobilité,  
celle qui cravache, qui éteint les
espoirs funèbres d’un sapin 
rêvant du baobab qu’il aurait pu être 
 
du pin qu’il ne sera jamais, peut-être...  
 
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