Nous voici en avril. Début avril.
1976…
… à quelques jours de l’accouchement de Jésabelle ainsi que celui de Aanzhini, l’épouse de Don.
Celui-ci confortablement installé sur son balcon, Ojibwée à ses pieds qui renifle l’air printanier, fume la cigarette qu’il s’est paresseusement roulée et dont les volutes s’évadent vers le boisé-cimetière où reposent les restes de son père Gordon et dans lequel, maintenant, l’esprit de Taïma réside depuis la mort du coyote.
Il se remémore la route du retour, celle de janvier dernier, route du retour qui nous semble toujours plus courte que celle qui nous a menés là d'où nous revenons. À rebours, elle s’avère différente, à tout le moins contrastée. Parti dans un but précis, revenu avec davantage de questions à élucider que lors de son départ il revoit les images des événements qui se sont développés depuis ce temps jusqu’à maintenant dans ce vernal avril.
De l’hiver au printemps en quelques semaines... de la neige de février, celle de mars propice à l’entaillage des érables. Aux Saints-Innocents Don applique le même protocole, le même rite qu’à Sault-Sainte-Marie. Lui, dans ce Québec qui prend de plus en plus l’odeur des élections, alors qu'en Ontario, personne de la famille de Gordon ne s’affaire à cette tâche ancestrale.
Il aura roulé sur cette interminable route, la 17, pour, dès son arrivée, pourchasser les braconniers dans la forêt autour du village et s’entretenir le plus rapidement possible avec son responsable au Ministère du Tourisme, de la chasse et de la Pêche afin de clarifier l’affaire de l’ours.
S'ajoute à ce plan d'action le fait de se concentrer entièrement sur les préparatifs entourant la naissance de sa deuxième fille bien qu'encore sidéré par les révélations que Daniel et Jésabelle lui ont transmises à son retour de l'Ontario, lui révélant cette étrange histoire.
Sur son balcon, l'odeur du soleil avive l'environnement, il est distrait par l’arrivée du bus scolaire déposant Chelle qui court bras ouverts en direction de son père talonnée par sa chienne Ojibwée.
- C’est bientôt le bébé, dit-elle encore essoufflée. À chaque jour je pense que c’est aujourd’hui que maman nous apportera ma soeur.
- Très bientôt, ma fille. J'aime bien que tu m'en parles tous les jours. Une soeur tout comme un frère c'est important dans notre vie.
- Benjamin, lui, aura un frère.
- Vous êtes si l’un près de l’autre qu’on vous croirait sœur et frère.
- Non papa, Benjamin sera mon mari. On se l’ait promis. Juré pour la vie.
Don la prit dans ses bras, l’embrassa et ne put s’empêcher de lui demander si elle s’ennuyait de sa grand-mère.
- Non. Des fois je pense à elle, surtout quand je reviens de l’école et qu'elle m'obligeait à aller dans le boisé, tout près de la tombe de grand-papa Gordon. Est-ce que je la reverrai un jour ?
- Je ne crois pas qu’elle songe à revenir chez nous. Tu sais, elle a beaucoup souffert lorsque nous avons quitté l’Île Whiteship avec Gordon. Ça lui a été très difficile d’apprécier la vie par ici. Trop différent de ce à quoi elle était habituée.
- Je ne comprenais pas tout ce qu’elle racontait, je faisais semblant pour ne pas la chagriner.
- Il y a des choses qu’on comprend seulement quand on est plus vieux.
- Toi aussi c’est comme ça ?
- Oh! Oui. J’en apprends tous les jours et souvent ce me surprend comme tu ne peux pas l’imaginer.
- Mademoiselle Abigaelle dit des choses qui ressemblent à ce que tu viens de dire.
- Tu l’aimes beaucoup cette Abigaelle.
- C’est la meilleure personne au monde après maman et toi, Benjamin et ses parents.
- Profite bien de tout ce qu’elle t’enseigne.
- Là c’est le printemps et bientôt, lorsque l’été va arriver, l’école sera terminée. Je serai ensuite en première année. Je souhaite que l’institutrice que j’aurai soit aussi gentille que Abigaelle. Aussi, que Benjamin et moi nous soyons dans la même classe.
- Il y a de fortes chances, vous n’êtes pas très nombreux à passer en première année.
- Patrick, tu sais le fils de Monsieur le maire, a dit qu’on pourrait changer d’école, aller dans une autre paroisse parce que nous ne sommes pas assez nombreux.
- On attendra les événements avant de nous énerver.
- Mais Monsieur le maire, c’est encore Patrick qui l’a dit, eh bien il doit devenir le député après les élections.
- Tu en sais des choses.
Courant vers la route, Ojibwée mit fin à la sérieuse conversation père-fille. Une camionnette stationnait dans la cour. Bleue sur une couche de neige fondante.