dimanche 21 septembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 10


Nous voici en avril. Début avril.

1976…

 … à quelques jours de l’accouchement de Jésabelle ainsi que celui de Aanzhini, l’épouse de Don. 

Celui-ci confortablement installé sur son balcon, Ojibwée à ses pieds qui renifle l’air printanier, fume la cigarette qu’il s’est paresseusement roulée et dont les volutes s’évadent vers le boisé-cimetière où reposent les restes de son père Gordon et dans lequel, maintenant, l’esprit de Taïma réside depuis la mort du coyote.

Il se remémore la route du retour, celle de janvier dernier, route du retour qui nous semble toujours plus courte que celle qui nous a menés là d'où nous revenons. À rebours, elle s’avère différente, à tout le moins contrastée. Parti dans un but précis, revenu avec davantage de questions à élucider que lors de son  départ il revoit les images des événements qui se sont développés depuis ce temps jusqu’à maintenant dans ce vernal avril. 

De l’hiver au printemps en quelques semaines... de la neige de février, celle de mars propice à l’entaillage des érables. Aux Saints-Innocents Don applique le même protocole, le même rite qu’à Sault-Sainte-Marie. Lui, dans ce Québec qui prend de plus en plus l’odeur des élections, alors qu'en Ontario, personne de la famille de Gordon ne s’affaire à cette tâche ancestrale. 

Il avait quitté sa femme enceinte et sa fille, les ayant confiées aux bons soins de Daniel et Jésabelle enceinte elle aussi, pour les y retrouver, ayant beaucoup à raconter sur ces trois jours passés en compagnie de son frère Gord et sa femme Mae, de sa tante «la sœur de Taïma» et Taïma qu’il a larguée sur l’Île Whiteship pour y achever sa vie dans une chambre-cellule au rez-de-chaussée de la maison familiale.
 
Il aura roulé sur cette interminable route, la 17, pour, dès son arrivée, pourchasser les braconniers dans la forêt autour du village et s’entretenir le plus rapidement possible avec son responsable au Ministère du Tourisme, de la chasse et de la Pêche afin de clarifier l’affaire de l’ours. 

En avril, son vade-mecum de garde-forestier est moins chargé qu'à automne, il peut ainsi consacrer plus de temps à mettre de l'ordre dans sa tête, revoir certaines positions vissées comme des intouchables depuis longtemps, dont son implication dans la société des Saints-Innocents qu'il juge être une responsabilité prioritaire. 

Puis...

... éclaircir les dessous de la mort du curé-chanoine de la paroisse décédé lors de la tragédie de l’ours ; s'empresser de mieux connaître l'enseignante de Chelle qui revêt une importance capitale pour sa fille ; fréquenter Daniel et Jésabelle de façon plus régulière ; finalement, à la suite de la recommandation de son frère Gord, entrer en contact puis établir une relation solide avec Herman Delage qui servirait de pont entre son frère et lui.

S'ajoute à ce plan d'action le fait de se concentrer entièrement sur les préparatifs entourant la naissance de sa deuxième fille bien qu'encore sidéré par les révélations que Daniel et Jésabelle lui ont transmises à son retour de l'Ontario, lui révélant cette étrange histoire. 

La femme qui aura bientôt son propre nom, celui qu’elle a déjà choisi et que Don a accepté, Aanzhini, aurait proposé un échange, à la naissance de leurs nouveaux-nés, ce qui permettrait ainsi aux deux couples de se retrouver avec une fille et un garçon. Cette nouvelle pour le moins stupéfiante l’a littéralement assommé. Médusé, il reçut de sa femme cette explication qui déchirait à nouveau et de manière violente une plaie non cicatrisée. Elle voulait offrir un garçon à son mari dans le but, précisa-t-elle, que sa belle-mère, enfin, puisse se taire, cesser de l’accuser de ne pas participer à la descendance mâle des ojis-cris. 

Il y songeait encore en cet après-midi ensolleillé de printemps, y décelant toutefois une preuve d'amour de la part d'une Aanzhini troublée par les manoeuvres cruelles de Taïma.
 

Sa mémoire roule entre janvier et avril ; y revient ce  pacte scellé, fondé sur la maturation de la fraternité avec Gord qui lui annoncera que son épouse Mae, libérée des maléfices de sa belle-mère, est enceinte.
 
Sur son balcon, l'odeur du soleil avive l'environnement, il est distrait par l’arrivée du bus scolaire déposant Chelle qui court bras ouverts en direction de son père talonnée par sa chienne Ojibwée.
 
- C’est bientôt le bébé, dit-elle encore essoufflée. À chaque jour je pense que c’est aujourd’hui que maman nous apportera ma soeur.
- Très bientôt, ma fille. J'aime bien que tu m'en parles tous les jours. Une soeur tout comme un frère c'est  important dans notre vie.
- Benjamin, lui, aura un frère.
- Vous êtes si l’un près de l’autre qu’on vous croirait sœur et frère.
- Non papa, Benjamin sera mon mari. On se l’ait promis. Juré pour la vie.
 
Don la prit dans ses bras, l’embrassa et ne put s’empêcher de lui demander si elle s’ennuyait de sa grand-mère.
 
- Non. Des fois je pense à elle, surtout quand je reviens de l’école et qu'elle m'obligeait à aller dans le boisé, tout près de la tombe de grand-papa Gordon. Est-ce que je la reverrai un jour ?
- Je ne crois pas qu’elle songe à revenir chez nous. Tu sais, elle a beaucoup souffert lorsque nous avons quitté l’Île Whiteship avec Gordon. Ça lui a été très difficile d’apprécier la vie par ici. Trop différent de ce à quoi elle était habituée.
- Je ne comprenais pas tout ce qu’elle racontait, je faisais semblant pour ne pas la chagriner.
- Il y a des choses qu’on comprend seulement quand on est plus vieux.
- Toi aussi c’est comme ça ?
- Oh! Oui. J’en apprends tous les jours et souvent ce me surprend comme tu ne peux pas l’imaginer.
- Mademoiselle Abigaelle dit des choses qui ressemblent à ce que tu viens de dire.
- Tu l’aimes beaucoup cette Abigaelle.
- C’est la meilleure personne au monde après maman et toi, Benjamin et ses parents.
- Profite bien de tout ce qu’elle t’enseigne.
- Là c’est le printemps et bientôt, lorsque l’été va arriver, l’école sera terminée. Je serai ensuite en première année. Je souhaite que l’institutrice que j’aurai soit aussi gentille que Abigaelle. Aussi, que Benjamin et moi nous soyons dans la même classe.
- Il y a de fortes chances, vous n’êtes pas très nombreux à passer en première année.
- Patrick, tu sais le fils de Monsieur le maire, a dit qu’on pourrait changer d’école, aller dans une autre paroisse parce que nous ne sommes pas assez nombreux.
- On attendra les événements avant de nous énerver.
- Mais Monsieur le maire, c’est encore Patrick qui l’a dit, eh bien il doit devenir le député après les élections.
- Tu en sais des choses.
 
Courant vers la route, Ojibwée mit fin à la sérieuse conversation père-fille. Une camionnette stationnait dans la cour. Bleue sur une couche de neige fondante.






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Si Nathan avait su... (Partie 2) - 11

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