Deux frères que tout éloignait, que tout rassemble maintenant, marchent sur la terre natale. Direction, ce pont surplombant la rivière Sainte-Marie, lieu d'une partie de leur jeunesse. Durant les mois d'été, revenus sur l'île, ces rapprochements furent sans doute les seules véritables occasions pour eux deux de vivre côte à côte dans le nid douillet que leur tante aux multiples talents bichonnait.
Deux frères qui furent à même de constater à quel point cette femme se distinguait de Taïma, leur mère naturelle, autant par la démonstration toujours humble de ses talents - tout ce qu’elle touche se transforme en beauté - que ce soit dans le potager, son jardin de fleurs bigarrées, ses créations vestimentaires pour les femmes de la réserve et plusieurs autres de tout horizon qui venaient profiter de sa grande habileté, son bon goût ainsi que ses conseils teintés de sagesse, d'une bonté légendaire, et au-dessus de tout, cette ouverture à l'écoute afin de bien comprendre, silencieusement toujours, le contenu de l’âme de chacun et chacune. Pour ses neveux, si différents l'un de l'autre, elle choisissait les mots justes, les leur servait autour de sa table garnie de plats inoubliables. Jamais elle n’aura insisté pour qu’ils lui confient ce dont ils ne voulaient pas partager, mais l’empathie naturelle qui est sienne lui permet de décoder les non-dits enclavés autour de leurs parcimonieuses paroles.
Elle avait refusé de se nommer, respectant à la lettre la tradition ojibwée, passant sa vie sous le patronyme de la «sœur de Taïma». Du décès de son amoureux parti à la guerre dès le début de celle-ci, en 1939, alors même que le Canada n'y était pas encore engagé, lui, jugeant que sa présence dans les forces armées canadiennes représentait une occasion d’en revenir plus tôt, la tante en aura cruellement souffert, ensevelissant son chagrin pour éviter le déluge de paroles hargneuses d'une sœur accusant le soldat volontaire de violer la tradition ojie-crie, celle de ne jamais s’intégrer à la civilisation blanche que les ancêtres jugeaient néfastes à leur autonomie, dangereuses pour leur survie comme groupe autochtone ayant racine sur les terres canadiennes.
Deux frères qui s’arrêtent sur le pont, roulent une cigarette, décidés à ce qu'éclatent les secrets sapant leur fraternité, que soient éclaircis les récents événements pour lesquels Don s’est déplacé du village des Saints-Innocents à l’Île Whiteship.
- Tu repars ce soir, demanda Gord.
- Cette nuit, après avoir nettoyé mon esprit des troubles qui y ont pris place dans et autour de l’autre maison familiale, celle du Québec.
- Tu repartiras la conscience en paix, tout comme moi je resterai ici l’âme soulagée. Écoute bien ce que j’ai à dire, c'est la suite de mes révélations au sujet de Taïma dont il me sera inconcevable à partir de maintenant d’appeler notre mère..
Deux frères quittent le pont comme on quitte un musée, l’âme ayant suffisamment récolté de cette énergie émergeant du passé pour se propulser vers l’avenir. Ils se mirent en marche sur ce sentier menant à la rivière.
Elle avait refusé de se nommer, respectant à la lettre la tradition ojibwée, passant sa vie sous le patronyme de la «sœur de Taïma». Du décès de son amoureux parti à la guerre dès le début de celle-ci, en 1939, alors même que le Canada n'y était pas encore engagé, lui, jugeant que sa présence dans les forces armées canadiennes représentait une occasion d’en revenir plus tôt, la tante en aura cruellement souffert, ensevelissant son chagrin pour éviter le déluge de paroles hargneuses d'une sœur accusant le soldat volontaire de violer la tradition ojie-crie, celle de ne jamais s’intégrer à la civilisation blanche que les ancêtres jugeaient néfastes à leur autonomie, dangereuses pour leur survie comme groupe autochtone ayant racine sur les terres canadiennes.
Deux frères qui s’arrêtent sur le pont, roulent une cigarette, décidés à ce qu'éclatent les secrets sapant leur fraternité, que soient éclaircis les récents événements pour lesquels Don s’est déplacé du village des Saints-Innocents à l’Île Whiteship.
- Tu repars ce soir, demanda Gord.
- Cette nuit, après avoir nettoyé mon esprit des troubles qui y ont pris place dans et autour de l’autre maison familiale, celle du Québec.
- Tu repartiras la conscience en paix, tout comme moi je resterai ici l’âme soulagée. Écoute bien ce que j’ai à dire, c'est la suite de mes révélations au sujet de Taïma dont il me sera inconcevable à partir de maintenant d’appeler notre mère..
Deux frères quittent le pont comme on quitte un musée, l’âme ayant suffisamment récolté de cette énergie émergeant du passé pour se propulser vers l’avenir. Ils se mirent en marche sur ce sentier menant à la rivière.
Gord, après une longue inspiration, débuta son récit.
- Je suis l’assassin. J’ai abattu l’ours noir qui m’a surpris alors que je faisais un arrêt au cimetière en chemin vers le boisé près de la maison de notre père. J’avais une flèche. Une seule, tu as raison. Fabriquée par un membre de la famille de Mae. Destinée à atteindre le cœur de Taïma. Plusieurs mois avant de quitter le Québec pour revenir sur l’île, elle m’avait fait jurer sur la tombe de notre père que si un jour j’étais convaincu au plus profond de mon âme, catégorique dans mon esprit que je n’allais pas poursuivre sa trace, elle exigea de moi un serment... celui de lui enlever la vie. Une flèche en plein coeur. Ça m’avait troublé au point de chercher une manière subtile de m’enfuir, de revenir sur l’île sachant qu’elle n’y remettrait plus jamais les pieds. Quitter les Saints-Innocents, c’était couper le cordon qu’elle avait enroulé autour de ma vie, une agrafe qui m’étouffait. Il fallait trouver un transport puisque tu n’étais pas une option. C’est par Herman Delage qui a convaincu Benoît Saint-Gelais - je me doute bien avec quels arguments - de nous ramener ici, Mae et moi. J’ai toujours gardé contact avec ce grand étudiant à l’université. Il continue à beaucoup m’aider, surtout actuellement dans le dossier des pensionnats. Tu ne peux imaginer à quel point ce type sait des choses. L’affaire du curé en est une, mais aussi celle de l’agression de son père. Si tu as une chance de jaser avec lui, il te surprendra avec les informations sur ces deux affaires qui impliquent Benoît de très près. Il m’a également parlé de l’arrivée à l’école primaire des Saints-Innocents d’une nouvelle enseignante qui aurait été mêlée aux événements du FLQ. Te rappelles-tu cette histoire de double enlèvement ?
- Comment dont si je me rappelle. La nouvelle enseignante est celle de Chelle, ma fille.
- Herman pourra aussi t’en dire sur cette paroisse qui dissimule bien des secrets… Mais laisse-moi achever l’affaire de l’ours et du coyote.
- Vas-y.
- Cet automne j’ai pris une décision importante, celle de répondre à la demande persistante de notre grand chef de bande, soit m’engager à temps plein dans l’affaire des pensionnats. Mae et moi demeurerons donc ici tout en voyageant à travers les provinces de l’ouest canadien. C’est là que la promesse envers Taïma s’est imposé à moi. Ma femme était d’accord à ce que je la respecte en autant que tout soit organisé de manière à ce que cela ne nous cause aucun ennui. Par Herman, j’ai pu revenir au village conduit par Benoît qui m’a trouvé un endroit où loger durant mon séjour, sans penser que ça allait être plus long que prévu. Les deux premières journées, caché dans le boisé près de la tombe de notre père, j’épiais vos habitudes, les tiennes, celles de ta femme et Chelle, sans réussir à trouver un moment au cours duquel Taïma se retrouvait dans mon champ de vision. Le jour trois, la neige commençait à tomber, un Benoît colérique a exigé de moi que je fasse la peau de Monsieur le curé. Il m’a demandé d’attendre près du cimetière que le prêtre sorte de son presbytère pour lui décocher ma flèche pendant qu’il y marchait, sans le frapper à mort mais suffisamment pour qu’il se voit dans l’obligation de quitter la paroisse pour suivre une convalescence loin de lui. Ça n’a pas fonctionné comme prévu. Un ours noir s’est approché dans mon dos et j’ai dû tirer sur lui pour éviter l'assaut. Son hibernation n’était sans doute pas vraiment commencée à ce que j’ai pu constater. Atteint à la cuisse, il est tombé pendant que je m’enfuyais. Aucun témoin, j'en suis certain, n'a assité à la scène. Benoît s’est emporté après l’attentat manqué, mais moi je songeais à la flèche perdue. C’est le lendemain ou le surlendemain que l’ours s’est écroulé près de la rivière et que j’ai pu recouvrer ma flèche. La mort du curé, c’est Benoît qui me l’a apprise quand il est venu me reconduire sur l’île, sans préciser exactement les circonstances. Herman pourra t’en dire plus que moi. Revenu près de ta maison, accroupi dans ma cache temporaire, le coyote s’est pointé. Je l’ai tué. Je n’avais plus besoin d’en faire plus, à mes yeux Taïma venait de mourir sauvée par la mort du coyote. Voilà. C’est ainsi que tout s’est passé.
Don sentait en lui quelque chose comme cet étrange sentiment que l’on éprouve lorsque le mot «Fin» s’affiche sur le grand écran d’un cinéma, qu’on s’interroge encore sur ce qui vient de se dérouler devant soi. Une énigme qui se dévoile nous laisse pantois, rassuré également par ce qui corrige des perceptions souvent imaginaires devenues, maintenant, des faits rectifiant les données que notre intelligence a tenté de déchiffrer.
Les épaules de Gord lui apparurent, soudainement, plus légères, un vent dissipait l'oppressant brouillard enveloppant son cerveau depuis trop d'années. Conclure ces événements ainsi que tous les antécédents lui permettrait maintenant de s'occuper à autre chose.
Deux frères devenus silencieux regardaient leurs pas s'avancer dans ce sentier à la sortie du pont, longeant la rivière qui ne réussissait pas à se couvrir de glace, gazouillant au même rythme que le son des oiseaux confortablement installés sur les branches dénudées des érables.
Deux frères sur une même longueur d’onde, deux frères qu’une nouvelle complicité réunissait.
- Je suis l’assassin. J’ai abattu l’ours noir qui m’a surpris alors que je faisais un arrêt au cimetière en chemin vers le boisé près de la maison de notre père. J’avais une flèche. Une seule, tu as raison. Fabriquée par un membre de la famille de Mae. Destinée à atteindre le cœur de Taïma. Plusieurs mois avant de quitter le Québec pour revenir sur l’île, elle m’avait fait jurer sur la tombe de notre père que si un jour j’étais convaincu au plus profond de mon âme, catégorique dans mon esprit que je n’allais pas poursuivre sa trace, elle exigea de moi un serment... celui de lui enlever la vie. Une flèche en plein coeur. Ça m’avait troublé au point de chercher une manière subtile de m’enfuir, de revenir sur l’île sachant qu’elle n’y remettrait plus jamais les pieds. Quitter les Saints-Innocents, c’était couper le cordon qu’elle avait enroulé autour de ma vie, une agrafe qui m’étouffait. Il fallait trouver un transport puisque tu n’étais pas une option. C’est par Herman Delage qui a convaincu Benoît Saint-Gelais - je me doute bien avec quels arguments - de nous ramener ici, Mae et moi. J’ai toujours gardé contact avec ce grand étudiant à l’université. Il continue à beaucoup m’aider, surtout actuellement dans le dossier des pensionnats. Tu ne peux imaginer à quel point ce type sait des choses. L’affaire du curé en est une, mais aussi celle de l’agression de son père. Si tu as une chance de jaser avec lui, il te surprendra avec les informations sur ces deux affaires qui impliquent Benoît de très près. Il m’a également parlé de l’arrivée à l’école primaire des Saints-Innocents d’une nouvelle enseignante qui aurait été mêlée aux événements du FLQ. Te rappelles-tu cette histoire de double enlèvement ?
- Comment dont si je me rappelle. La nouvelle enseignante est celle de Chelle, ma fille.
- Herman pourra aussi t’en dire sur cette paroisse qui dissimule bien des secrets… Mais laisse-moi achever l’affaire de l’ours et du coyote.
- Vas-y.
- Cet automne j’ai pris une décision importante, celle de répondre à la demande persistante de notre grand chef de bande, soit m’engager à temps plein dans l’affaire des pensionnats. Mae et moi demeurerons donc ici tout en voyageant à travers les provinces de l’ouest canadien. C’est là que la promesse envers Taïma s’est imposé à moi. Ma femme était d’accord à ce que je la respecte en autant que tout soit organisé de manière à ce que cela ne nous cause aucun ennui. Par Herman, j’ai pu revenir au village conduit par Benoît qui m’a trouvé un endroit où loger durant mon séjour, sans penser que ça allait être plus long que prévu. Les deux premières journées, caché dans le boisé près de la tombe de notre père, j’épiais vos habitudes, les tiennes, celles de ta femme et Chelle, sans réussir à trouver un moment au cours duquel Taïma se retrouvait dans mon champ de vision. Le jour trois, la neige commençait à tomber, un Benoît colérique a exigé de moi que je fasse la peau de Monsieur le curé. Il m’a demandé d’attendre près du cimetière que le prêtre sorte de son presbytère pour lui décocher ma flèche pendant qu’il y marchait, sans le frapper à mort mais suffisamment pour qu’il se voit dans l’obligation de quitter la paroisse pour suivre une convalescence loin de lui. Ça n’a pas fonctionné comme prévu. Un ours noir s’est approché dans mon dos et j’ai dû tirer sur lui pour éviter l'assaut. Son hibernation n’était sans doute pas vraiment commencée à ce que j’ai pu constater. Atteint à la cuisse, il est tombé pendant que je m’enfuyais. Aucun témoin, j'en suis certain, n'a assité à la scène. Benoît s’est emporté après l’attentat manqué, mais moi je songeais à la flèche perdue. C’est le lendemain ou le surlendemain que l’ours s’est écroulé près de la rivière et que j’ai pu recouvrer ma flèche. La mort du curé, c’est Benoît qui me l’a apprise quand il est venu me reconduire sur l’île, sans préciser exactement les circonstances. Herman pourra t’en dire plus que moi. Revenu près de ta maison, accroupi dans ma cache temporaire, le coyote s’est pointé. Je l’ai tué. Je n’avais plus besoin d’en faire plus, à mes yeux Taïma venait de mourir sauvée par la mort du coyote. Voilà. C’est ainsi que tout s’est passé.
Don sentait en lui quelque chose comme cet étrange sentiment que l’on éprouve lorsque le mot «Fin» s’affiche sur le grand écran d’un cinéma, qu’on s’interroge encore sur ce qui vient de se dérouler devant soi. Une énigme qui se dévoile nous laisse pantois, rassuré également par ce qui corrige des perceptions souvent imaginaires devenues, maintenant, des faits rectifiant les données que notre intelligence a tenté de déchiffrer.
Les épaules de Gord lui apparurent, soudainement, plus légères, un vent dissipait l'oppressant brouillard enveloppant son cerveau depuis trop d'années. Conclure ces événements ainsi que tous les antécédents lui permettrait maintenant de s'occuper à autre chose.
Deux frères devenus silencieux regardaient leurs pas s'avancer dans ce sentier à la sortie du pont, longeant la rivière qui ne réussissait pas à se couvrir de glace, gazouillant au même rythme que le son des oiseaux confortablement installés sur les branches dénudées des érables.
Deux frères sur une même longueur d’onde, deux frères qu’une nouvelle complicité réunissait.