La maison familiale, celle des parents de Taïma, a vu naître les deux frères ; toute de bois rond, mélange insolite de bouleau blanc et d’érable, elle fut le résultat d’une œuvre coopérative ayant rassemblé une grande partie des membres de la réserve de l’Île Whiteship.
Son père, tel un commis-voyageur pan-canadien, n’a pas beaucoup participé à son érection puisque la plupart du temps il séjournait ici et là entre deux réserves, entre deux provinces. Certaines mauvaises langues avancèrent qu’il était même absent lors du mariage de sa fille aînée et que celle-ci n’eut pas à lui demander la permission pour s’y installer en compagnie de son époux.
Au cours des mois suivant l’arrêt des voyages de son père, il fut réduit à vivre dans une seule pièce, avec sa femme, une chambre exiguë au rez-de-chaussée de la maison, genre d'alcôve donnant sur un boisé touffu leur servant de rideau. Taïma interdisait les visites, seulement sa sœur servait de contact social. Tous virent cela comme un châtiment pour ses éloignements.
Ses propres fils y vécurent - peu de temps, il faut le rappeler - dans ce qui devenait de plus en plus la propriété de l’aînée qui réduisit sa sœur au rôle de femme à tout faire, alors que de son côté elle occupait tout son temps à épier les agissements de chacun des membres de la réserve ne se gênant pas pour dénoncer - sans mettre des gants blancs - ceux et celles qui ne respectaient pas scrupuleusement les mœurs et coutumes ojibwés. Les familles de ses deux brus deviendront ses victimes avant même qu’elles fussent mariées à ses garçons.
Au départ de la famille pour le Québec, la sœur de Taïma fut chargée de l’habiter, l’entretenir. Malgré la rage et la colère qui l’habitaient à ce moment-là, elle s’assura que le chef de la réserve exerce un droit de regard sur la propriété allant jusqu’à imposer un veto si jamais on tentait d’en modifier l’état ou le statut. «Nous reviendrons.» vociféra-t-elle montant à reculons dans la camionnette l’arrachant à sa terre natale.
C’est vers cette maison sous un soleil d’hiver s'amusant à faire éclabousser la lumière dans les arbres dénudés que Gord et Don se dirigent après avoir déjeuné.
- Mae, tu nous attends ici. Aujourd’hui c’est autre chose que notre relation avec ta belle-mère qui nous y mène. Demain, ça sera nous deux qui irons régler une situation qui dure depuis trop longtemps.
La frayeur se lisait sur le visage de l’épouse de Gord qui porta ses mains à son ventre, comme un réflexe de défense. Entendre parler de celle qui l’a toujours violentée de ses regards tyranniques, par ses paroles assassines la tourmentait jusqu’au plus profond de son âme et agitait son corps de femme stérile.
Deux minutes de marche à peine puis les voici sur le balcon de la maison familiale. Très peu de souvenirs secouent l’esprit des deux frères - ceux des étés principalement - alors que sans frapper ils entrent. Dans la cuisine encore chaude des odeurs de la nuit, une tante réjouie se déplace posément vers eux deux, embrasse Don avec affection et serre le bras de Gord comme à son habitude chaque fois qu’il vient s’informer si tout va bien.
- Avez-vous mangé ? demande-t-elle. J’ai encore du thé sur le poêle.
- Oui Tante on a bien déjeuné, répond Gord alors que Don dans un élan de curiosité s’arrête devant un tableau fixé au mur de la cuisine, s’informant sur l’auteur d’une si belle œuvre.
- Voyons Don, tu me gênes. Je barbouille tout simplement. Le plus jeune des frères, hypnotisé par l’aquarelle, recule pour mieux l’apprécier puis s’approche de cette femme envers qui il manifeste une grande affection, une admiration sans borne, lui prend les deux mains et ajoute : ce paysage est une d’une rare beauté.
Au cours des mois suivant l’arrêt des voyages de son père, il fut réduit à vivre dans une seule pièce, avec sa femme, une chambre exiguë au rez-de-chaussée de la maison, genre d'alcôve donnant sur un boisé touffu leur servant de rideau. Taïma interdisait les visites, seulement sa sœur servait de contact social. Tous virent cela comme un châtiment pour ses éloignements.
Ses propres fils y vécurent - peu de temps, il faut le rappeler - dans ce qui devenait de plus en plus la propriété de l’aînée qui réduisit sa sœur au rôle de femme à tout faire, alors que de son côté elle occupait tout son temps à épier les agissements de chacun des membres de la réserve ne se gênant pas pour dénoncer - sans mettre des gants blancs - ceux et celles qui ne respectaient pas scrupuleusement les mœurs et coutumes ojibwés. Les familles de ses deux brus deviendront ses victimes avant même qu’elles fussent mariées à ses garçons.
Au départ de la famille pour le Québec, la sœur de Taïma fut chargée de l’habiter, l’entretenir. Malgré la rage et la colère qui l’habitaient à ce moment-là, elle s’assura que le chef de la réserve exerce un droit de regard sur la propriété allant jusqu’à imposer un veto si jamais on tentait d’en modifier l’état ou le statut. «Nous reviendrons.» vociféra-t-elle montant à reculons dans la camionnette l’arrachant à sa terre natale.
C’est vers cette maison sous un soleil d’hiver s'amusant à faire éclabousser la lumière dans les arbres dénudés que Gord et Don se dirigent après avoir déjeuné.
- Mae, tu nous attends ici. Aujourd’hui c’est autre chose que notre relation avec ta belle-mère qui nous y mène. Demain, ça sera nous deux qui irons régler une situation qui dure depuis trop longtemps.
La frayeur se lisait sur le visage de l’épouse de Gord qui porta ses mains à son ventre, comme un réflexe de défense. Entendre parler de celle qui l’a toujours violentée de ses regards tyranniques, par ses paroles assassines la tourmentait jusqu’au plus profond de son âme et agitait son corps de femme stérile.
Deux minutes de marche à peine puis les voici sur le balcon de la maison familiale. Très peu de souvenirs secouent l’esprit des deux frères - ceux des étés principalement - alors que sans frapper ils entrent. Dans la cuisine encore chaude des odeurs de la nuit, une tante réjouie se déplace posément vers eux deux, embrasse Don avec affection et serre le bras de Gord comme à son habitude chaque fois qu’il vient s’informer si tout va bien.
- Avez-vous mangé ? demande-t-elle. J’ai encore du thé sur le poêle.
- Oui Tante on a bien déjeuné, répond Gord alors que Don dans un élan de curiosité s’arrête devant un tableau fixé au mur de la cuisine, s’informant sur l’auteur d’une si belle œuvre.
- Voyons Don, tu me gênes. Je barbouille tout simplement. Le plus jeune des frères, hypnotisé par l’aquarelle, recule pour mieux l’apprécier puis s’approche de cette femme envers qui il manifeste une grande affection, une admiration sans borne, lui prend les deux mains et ajoute : ce paysage est une d’une rare beauté.
- Si tu la veux je te l’offre, mais le professeur qui m’a enseigné les techniques de l’aquarelle surpasse tout ce que je peux faire, dit-elle avec au fond des yeux comme une immense tristesse.
- Ça serait pour ma famille un présent d’une très grande valeur.
Alors que la tante décroche le tableau, l’époussette tout en s’affairant à lui trouver un emballage, Taïma sort de la pièce qu’occupait ses parents, dans laquelle tous les deux, à quelques mois d’intervalle, moururent sans qu’on leur ait prodigué les soins que nécessitaient leur santé périclitante. Gordon venait à peine de partir avec sa famille quittant la réserve de l’île pour s’installer au Québec.
- Tu n’auras pas à m’annoncer que je ne retourne pas dans cette maison qui n’aura été que celle de votre père, dans ce fond de pays qui n’a rien à voir avec la terre natale.
Les deux frères, dignement, demeurent debout face à leur mère, une Taïma apparemment résignée mais non vaincue. Les regards échangés n’ont rien d’autre à ajouter, présageant qu'une vérité à la fois tranchante et incomplète s’installe.
- Lorsque vous avez quitté la réserve avec votre père, seulement le corps de votre mère vous accompagnait. Son âme est demeurée enracinée ici. C'est ici qu'elle mourra. Jamais, vous m’entendez bien, jamais ce corps ojibwé ne sera enterré ailleurs qu’ici. Il souhaite ne pas croiser dans l’autre monde celui dont la lâcheté nous aura conduit à l’exil, à nous dénaturer en embrassant la culture dégradante des Blancs. Jamais il n’y aura de réconciliation entre votre froussard de géniteur et moi, tout comme jamais il n’y aura de réconciliation entre nous, premiers habitants des terres d’Amérique et ces colonisateurs, ces violeurs, ces criminels blancs. Jamais. Je mets ma vie d’ojie-crie en jeu afin de venger nos ancêtres. Le feu ne s'éteindra jamais dans mon âme.
- Ça serait pour ma famille un présent d’une très grande valeur.
Alors que la tante décroche le tableau, l’époussette tout en s’affairant à lui trouver un emballage, Taïma sort de la pièce qu’occupait ses parents, dans laquelle tous les deux, à quelques mois d’intervalle, moururent sans qu’on leur ait prodigué les soins que nécessitaient leur santé périclitante. Gordon venait à peine de partir avec sa famille quittant la réserve de l’île pour s’installer au Québec.
- Tu n’auras pas à m’annoncer que je ne retourne pas dans cette maison qui n’aura été que celle de votre père, dans ce fond de pays qui n’a rien à voir avec la terre natale.
Les deux frères, dignement, demeurent debout face à leur mère, une Taïma apparemment résignée mais non vaincue. Les regards échangés n’ont rien d’autre à ajouter, présageant qu'une vérité à la fois tranchante et incomplète s’installe.
- Lorsque vous avez quitté la réserve avec votre père, seulement le corps de votre mère vous accompagnait. Son âme est demeurée enracinée ici. C'est ici qu'elle mourra. Jamais, vous m’entendez bien, jamais ce corps ojibwé ne sera enterré ailleurs qu’ici. Il souhaite ne pas croiser dans l’autre monde celui dont la lâcheté nous aura conduit à l’exil, à nous dénaturer en embrassant la culture dégradante des Blancs. Jamais il n’y aura de réconciliation entre votre froussard de géniteur et moi, tout comme jamais il n’y aura de réconciliation entre nous, premiers habitants des terres d’Amérique et ces colonisateurs, ces violeurs, ces criminels blancs. Jamais. Je mets ma vie d’ojie-crie en jeu afin de venger nos ancêtres. Le feu ne s'éteindra jamais dans mon âme.
Elle prit une courte pause avant de déclarer comme s’il se fut agi de l’imposition d’une sentence dont elle seule pouvait en être l’autrice : Je sais que le coyote des Saints-Innocents est mort. Je salue, j’honore l’auteur de cet acte libérateur. C’est un héros qui mérite notre révérence à tous.
Son ton de voix faiblissait alors qu’elle s’efforçait de demeurer debout, droite et fière. Elle soutenait le regard de Gord, son visage prudent, sa mâchoire dissimulant des dents serrées.
- Je ne veux pas discuter de ce dont tu parles. Pour l’instant, une seule chose m’importe. Tu dois obligatoirement présenter des excuses sincères pour le mal que tu as fait à ma femme, un mal aussi vaste que les plaines qui traversent le Canada, aussi hautes que les montagnes Rocheuses.
- Jamais, m’entends-tu, jamais. Cette femme n’en est pas une, elle vient d’une famille qui a renié les mœurs des ojis-cris, qui fornique avec les Blancs. Sache que cette famille est aussi stérile que la femme que tu as amenée dans ton lit. Jamais. Depuis trois ans, je n’ai plus à croiser son impuissante présence et tu ne peux imaginer à quel point cela me réconforte.
- Ici, tu n’auras pas à la rencontrer. Et si voilà tes dernières paroles, tu ne me verras plus. Lorsque je me présenterai ici, ça sera pour notre tante, personne d’autre. Toi, tout comme tu l’as imposé à tes parents, tu t’isoleras dans la chambre du rez-de-chaussée, tout comme tu avais à le faire au Québec.
- Te voici comme ton père, moi qui ai tout fait pour te protéger de son influence néfaste.
- Ne me parle pas de cela alors que j’essaie de tout oublier. J’enlève le bâillon que tu as mis sur ma bouche dans le but d’étouffer qui je suis.
- Tu es oji-cri, ne cherche pas ailleurs.
- Si être oji-cri c’est ce que tu m’as obligé à être jusqu’à maintenant, ces moments que je vis actuellement m'invitent à m’affranchir. Je ne veux pas être de ce type d'oji-cri qui est dépassé, je veux seulement tenter d’être un homme.
- Traître, toi aussi comme ton père tu es un traître.
À ce moment où la tension franchissait un seuil critique, la tante s’approcha de sa sœur et avec toute la délicatesse au monde lui prit le bras pour la reconduire vers la chambre du rez-de-chaussée. La porte se referma alors que les deux frères quittaient la maison familiale, un grand paquet dans les mains de Don.
- Je ne veux pas discuter de ce dont tu parles. Pour l’instant, une seule chose m’importe. Tu dois obligatoirement présenter des excuses sincères pour le mal que tu as fait à ma femme, un mal aussi vaste que les plaines qui traversent le Canada, aussi hautes que les montagnes Rocheuses.
- Jamais, m’entends-tu, jamais. Cette femme n’en est pas une, elle vient d’une famille qui a renié les mœurs des ojis-cris, qui fornique avec les Blancs. Sache que cette famille est aussi stérile que la femme que tu as amenée dans ton lit. Jamais. Depuis trois ans, je n’ai plus à croiser son impuissante présence et tu ne peux imaginer à quel point cela me réconforte.
- Ici, tu n’auras pas à la rencontrer. Et si voilà tes dernières paroles, tu ne me verras plus. Lorsque je me présenterai ici, ça sera pour notre tante, personne d’autre. Toi, tout comme tu l’as imposé à tes parents, tu t’isoleras dans la chambre du rez-de-chaussée, tout comme tu avais à le faire au Québec.
- Te voici comme ton père, moi qui ai tout fait pour te protéger de son influence néfaste.
- Ne me parle pas de cela alors que j’essaie de tout oublier. J’enlève le bâillon que tu as mis sur ma bouche dans le but d’étouffer qui je suis.
- Tu es oji-cri, ne cherche pas ailleurs.
- Si être oji-cri c’est ce que tu m’as obligé à être jusqu’à maintenant, ces moments que je vis actuellement m'invitent à m’affranchir. Je ne veux pas être de ce type d'oji-cri qui est dépassé, je veux seulement tenter d’être un homme.
- Traître, toi aussi comme ton père tu es un traître.
À ce moment où la tension franchissait un seuil critique, la tante s’approcha de sa sœur et avec toute la délicatesse au monde lui prit le bras pour la reconduire vers la chambre du rez-de-chaussée. La porte se referma alors que les deux frères quittaient la maison familiale, un grand paquet dans les mains de Don.