mercredi 2 octobre 2024

Si Nathan avait su (8) Revu et corrigé

                                         

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Si pour élaborer un projet d’écriture il faille un verre de Morgon et un clavier, alors sans ces deux instruments essentiels à celui qui me passe maintenant la main afin de prendre le relais de cette histoire que je connais très bien pour l’avoir, à quelques mots près, vécue, du moins m’être acoquiné avec certains des personnages dont vous avez une idée assez précise de leur charpente, ça sera pour moi davantage comme un retour en arrière, autour des années 1975 et les suivantes, une formidable occasion de me remémorer une époque oui, mais surtout ce que cette époque a laissé en nous, ce qu’elle a pu tracer devant nous… que ce soit du bienheureux, du malheureux ainsi que cet espace entre les deux qui aura pour fonction d'installer des instants d’hésitation entre le passéisme et le désir de tout foutre en l’air pour repartir à zéro.
 
Le Québec de maintenant, cinquante ans plus tard, a brisé des silences, a fait exploser des tabous et aussi, d’une certaine façon, obliger les générations à se donner le droit de tout remettre en doute sans oublier que tout cela a un devoir d'introspection.
 
Les Québécois ont changé. L’homme québécois n’est plus le même. Le traditionnel devant obligatoirement s’avérer l’unique modèle à suivre semble disparaître de plus en plus.
 
Les Québécoises ont changé. Ont fait éclater les cadres rigides faisant d’elles des boutiques à nourrissons, des nettoyeuses de plancher à genoux une fois les repas servis à leur famille nombreuse.
 
J’ai connu Daniel et Jésabelle, travaillé avec Abigaelle, fouillé jusqu’aux entrailles la géographie du peuple québécois en compagnie de Herman Delage, soulevé contre le caporalisme de Madame Saint-Gelais, fréquenté la famille ojie-crie au bout du rang sans nom, sans numéro, sans asphalte et sans entretien, craint les chiens même si Walden et Ojibwée furent des modèles d’amitié, affronté je ne sais combien de curés, qu’ils soient ou non chanoines, débusqué quelques délinquants apprenant d’eux que ce qui pousse à l’intérieur de soi aura été semé par différents composants de la société, observé tout comme Benjamin et Chelle, très tôt, s’y sont adonné, vécu en campagne et dans la grande ville afin de mieux percevoir la distance existant entre la ruralité et l’urbanité…
 
Oui, j’accepte de poursuivre cette histoire, je la poursuivrai à ma manière, sans Morgon mais sur clavier, je la poursuivrai … je la poursuis.

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    Je dépose ceci avant de vraiment poursuivre, parce que nous devons l'avoir en mémoire... continuellement, afin de bien saisir le cheminement des deux frères.


    Nathan a toujours eu la vie facile contrairement à Benjamin, son lunatique frère aîné. Ses parents avaient placé tant d’espoirs en lui, le voyant perpétuer la tradition familiale - prendre la relève de leur industrie agricole - ayant abandonné, depuis longtemps déjà, l’idée que leur plus vieux réalise ce rêve.
 
Une grande partie de ce rêve, c'est aussi cette maison au bout du rang, achetée par le père de Daniel pour les éloigner des cancans qui, encore aujourd’hui, ne cessent de fuser au sujet de cette famille atypique : deux fils trop peu enclins à la vie sociale, une mère excentrique, oui, mais surtout issue de la «grande ville» comme on se plaisait à le rappeler parfois méchamment et un père rêveur, convaincu qu’il devait se lancer dans autre chose que l’agriculture traditionnelle. Il opta, au début, pour l’exploitation du maïs, du blé et du tournesol. La région dans laquelle ils vivent et cela de génération en génération depuis des décennies se spécialise exclusivement dans l’élevage bovin: bâtiments agricoles blanchies à la chaux, des terres permettant à leur troupeau de paître dans de vastes pâturages, tout cela autour de la maison familiale montant la garde.
 
Les cultures qu'il a choisies d’exploiter exigent une machinerie différente de celle qui répond aux besoins des exploitants locaux, à un point tel qu’aucun mécanicien de la région n’ose y toucher par crainte de causer davantage de dégâts que de solutions. La famille de Nathan doit absolument avoir recours, pour la maintenance, à des experts d’une compagnie étrangère dont les bureaux se situent dans une grande ville éloignée du canton. Leur venue captivait l’intérêt du plus jeune fils dont toute l’attention, depuis, n’a cessé de croître, l’amenant à fouiller dans toutes les documentations disponibles pour renforcer son projet d'avenir, l'électromécanique. À l’école primaire, déjà, il en parlait avec une fougue non retenue.  
 
La question qui circulait dans le village: comment le père de Nathan et Benjamin avait-il réussi à financer tout cela ? S'ajoutait: d’où venait cette étonnante idée de cultiver des céréales ? Celle-là : pourquoi a-t-il flanqué entre eux cet éloignement, installant sa maison au bout d’un rang et distante des champs qu’il cultivait ? On n’en parlait plus tellement depuis des années, en fait les derniers bavardages remontent à la naissance de ce deuxième fils: Nathanaël. C’est quoi ce prénom bizarre, même pas catholique ?
 
Lorsque les garçons furent d'âge à fréquenter l’école primaire - au grand désarroi de leur mère Jésabelle - ils eurent droit au ramassage scolaire en raison de la distance importante les séparant du village. Les autorités responsables du transport s’en plaignirent car les chauffeurs devaient effectuer un détour considérable pour arriver au bout de ce rang isolé, sans oublier que l'hiver la route n'était pas déneigée.  
 
Alors que plusieurs habitants de cette région consacrent quelques parcelles de leurs champs à la culture des petits fruits (fraises, framboises et bleuets), qu’ils invitent la clientèle à l’auto-cueillette, le père de Nathan travaille seul sur ses étendues à perte de vue, étendue de maïs prenant des proportions impressionnantes, de blé flottant au vent dans de longues et majestueuses ondulations et ses tournesols suivant religieusement les caprices du soleil. En été, le village et les rangs environnants fourmillent de citadins pendant qu’un homme, seul, surveille la croissance de ses céréales.
 
Tout dans cette famille va à contresens des habitudes ancestrales d’un village éloigné des grandes villes, principalement les deux garçons nés à cinq années d’intervalle. Il n’est pas évident pour une population imbue de traditions centenaires de rompre avec ce qui est, pour elle, l’évidence, la manière de vivre comme s’il s’agissait d’une loi non écrite.
 
L’arrivée de Jésabelle, sa relation avec Daniel, leur mariage sans autre invité que leurs deux témoins, union officialisée à la mairie des Saints-Innocents - ce fut d’ailleurs le premier mariage civil à y être célébré - suivie par une promenade dans le village dans une volkswagen blanche décapotable - et pour amplifier la singularité, les nouveaux époux ne partant pas en voyage de noces.
 
Cet événement fit la une dans cette petite communauté sous le choc. Déjà que Daniel n’avait pas bonne réputation principalement due au fait qu’il s’engueulait régulièrement avec son père, lui reprochant sans cesse son manque d’ambition, son incapacité à faire différent des autres, copiant tout le monde, de la même manière, en même temps. Il s’ennuyait à répéter annuellement les travaux de façon analogue à l’année précédente et qu’il referait l’année suivante. L’ennui s’amplifia à un tel point, qu’à la fin de l’été de ses trente ans, il disparut.
 
Lorsqu’il revint, à la fin du printemps de l’année suivante, au bras d’une jeune dame vêtue comme les comédiennes que l’on voyait à la télévision, son père fut interloqué, sa mère scandalisée et la population sidérée. Personne ne le reconnaissait tellement il avait changé. Certains s’amusèrent à dire qu’il y avait de la drogue quelque part dans cette relation et que le couple contaminerait le village. C’est sans doute pour cette raison qu’ils se marièrent dès l’été s’installant provisoirement chez les parents de Daniel, le temps de voir venir la suite. Il se résigna à participer aux travaux agricoles traditionnels annonçant son intention de se lancer, bientôt, dans une autre direction, la culture céréalière. Le décès de son père survenu un an après le mariage de son seul fils lui permit d’accélérer la réalisation de son projet. Comme sa mère refusait de cohabiter avec Jésabelle, c’est avec beaucoup de regret qu’elle quitta la maison familiale pour aller vivre chez une de ses sœurs habitant au cœur du village des Saints-Innocents, au milieu des ragots. Survivre à tout cela lui parut impossible et à la fin de l’hiver suivant, elle rejoignit son défunt mari .
 
Une nouvelle vie se présentait au couple qui d’abord se départit de la résidence familiale pour s’installer dans la maison du bout du rang achetée dans le but exprès mais non dit d’éloigner Jésabelle de ses beaux-parents. Daniel profita de l’hiver qui fut particulièrement rigoureux pour planifier ses projets de culture alors que Jésabelle, enceinte, modifiait drastiquement leur type d'alimentation et diminuait sa consommation de haschisch.

Puis vint l’été…







ROMPRE LE SILENCE... de Nathan

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