dimanche 11 février 2024

Un être dépressif - 8 -

 


Un être dépressif

- 8 -

Comment revient-t-on d’un coma de quatre jours ?

Où sommes-nous durant ce temps éteint ?


    Encore maintenant je n’arrive pas à me souvenir de l’instant précis au cours duquel mes yeux se sont ouverts. Rouverts. Que ce panorama irréel: mains et pieds liés, inconfortablement étendu sur une  civière dans une immense pièce non climatisée, quelques lits sur lesquels des gens reposent en décubitus, puis ce bruit infernal de machines à l’extérieur, il semble qu’on y travaille ou restaure autour de la bâtisse que finalement je reconnais comme étant ... un hôpital.

Comment y suis-je arrivé ? Pour quelle raison m’a-t-on installé sur ce pénible grabat ? Quelle est cette odeur fétide flottant dans l’air humide ? Qui sont ces gens qui me sont inconnus, autant ceux et celles qui sont alités que ceux et celles qui traversent la pièce, y reviennent sans jamais s’arrêter à moi ? D’ailleurs, qui est cette personne que je nomme “moi” ?

Un médecin, finalement, s’approche. Son anglais est correct. Il me demande mon nom, mon âge, mon adresse et si le nom de Phuoc me rappelle quelque chose. C’est à ce moment-là que j’arrive laborieusement à faire quelques liens, ressentant fortement le besoin de voir mon voisin de palier. En raison de la covid, seul le personnel est autorisé à circuler dans l’hôpital. Il me rassure en disant que le service dans lequel j’ai atterri possède les coordonnées de mon répondant.

Pas question de délier mes mains et mes pieds, ça semble faire partie du protocole tout comme ce soluté et les injections parcimonieuses ; je n’arrive pas à mesurer le temps qui passe, encore moins le temps précédant mon arrivée ici.




    Je le comprendrai plus tard, mais le sevrage débute. J’entends, au-delà du chahut ambiant, des cris devenus tapage, un tintamarre de sons qu’il m’est impossible de localiser ailleurs que dans mes propres oreilles. Est-ce que moi-même je participe à ce raffut ? Aucune idée, mais je demande que l’on assourdisse la pièce. On me répond qu’un total silence y règne.

Lorsque le tohu-bohu enfin se calme, ce sont des images irréelles qui emplissent et déforment mon environnement. Une qu’il m’est impossible d’oublier car elle m’a poursuivi longtemps : cette femme sur son lit placé en diagonale du mien feuillette une revue, au-dessus d’elle un homme, vietnamien, se penche et examine avec attention la poitrine dénudée de celle qui ne semble aucunement en être incommodée. J’avise la jeune infirmière. Il n’y a personne ni dans le lit ni au-dessus de celui-ci.

Les images qui m’éblouissent, je les perçois autant de jour que de nuit. D’ailleurs, je n’ai aucune idée si nous sommes le jour ou la nuit. Il me semble que le personnel travaille 24 h sur 24, sans relâche, mimant les mêmes actions et qu’une grave pénurie de médecins oblige ces dames vêtues de blanc à simuler des gestes médicaux. Après ma rencontre avec le jeune médecin m’ayant posé quelques questions plutôt générales, je n’aurai plus aucune visite, sauf pour les injections et mon continuel refus à la nourriture que l’on m’offre. Si, quelques jours plus tard, je n’avais pas demandé à changer de décor, fort possiblement que j’y serais toujours. 

Survivre à un sevrage, c’est aussi pénible que souffrir d’un total assèchement intérieur que rien ne peut irriguer. Tous les sens ayant été surexcités, atteints un niveau maximal d’ataraxie puis, brutalement,  chutent librement dans les abysses de l’inconnu... sans filet de sécurité.Je ne mange toujours pas. On m’hydrate de force. Mes intestins, déjà au ralenti depuis des semaines, refusent de collaborer. Une sonde permet d’évacuer, du moins c’est ce queplus tard j’ai pensé, autant l’urine que d’autres déchets toxiques.

De mon passage dans cet hôpital qui aura duré une dizaine de jours, aucun contact avec l’extérieur proche et lointain, aucune information sur ce qui allait se dérouler, ce qui s’était déroulé une fois que j’eus fermé les yeux. Encore moins sur ce qui allait m’arriver. Phuoc avait eu l’idée de laisser mon téléphone portable et mon porte-feuille à l’appartement, question de sécurité m’avouera-t-il plus tard. Je vis donc exclus du monde...

Un jour - aucune idée quand - une administratrice de l’hôpital me propose de déménager dans la section réservée aux étrangers, mieux adaptée à mes besoins, dit-elle. Précisant du même coup que le tarif ne serait pas le même. Je refuse, mais insiste pour quitter l’aile où je me trouve actuellement, imaginant que bruits et sons chimériques allaient disparaître dans un nouvel environnement. Quelque temps, à la suite de cette rencontre, je me retrouve sur le même lit inconfortable, dans un endroit avec verrière. Je demeure toujours au troisième étage, on me l’a précisé, et l’important chantier de construction semble s’être rapproché.

Les interminables heures ne sont plus que la somme de moments passivement supportés à tenter de retrouver le fil conducteur m’ayant conduit ici ; elles s’allongent, porteuses de fort peu d’informations. Ça sera les maux de tête, ce brouillard qui m’enveloppe, ce seront eux qui établiront le lien manquant : la couleur des pilules, l’obscurité de l’appartement, le dégoût dans ma bouche et... d’avoir fermé les yeux.

Une salle de bain occupe l’espace tout au bout du couloir de cette verrière qui n’abrite qu’un seul patient, moi. À l’intérieur, à environ deux mètres du sol, une fenêtre. Ouverte. Elle fera l’affaire si je réussis à m’y rendre, je trouve un tabouret pour grimper et, m’y insérer puis glisser vers le sol.

Cette fois sera la bonne.


À la prochaine   

                                        

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