dimanche 25 février 2024

Un être dépressif - 11 -

 




Un être dépressif

- 11 -

Une saison en enfer
c’est entreprendre
un voyage au bout de la nuit
à la recherche du temps perdu...

    
    On s’attend à recevoir des soins lorsque, dans une institution comme celle qui m’a pris en charge, on se spécialise à panser des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Je dois admettre que l’approche de cet hôpital -  si approche il y a  - en plus d’être inefficace, s’avère complètement déficiente. 

Il aura fallu trois jours d’attente avant que je sois invité à rencontrer une technicienne soit-disant spécialisée dans la passation de tests dont l’objectif est de cerner ma problématique. Pour ce faire, elle a utilisé le Myers-Briggs Type Indicator, un test qui est, disons, plutôt dépassé et dont les réponses sont prédictibles.

Aucun feed-back depuis cette rencontre à laquelle je me suis rendu accroché aux bras de deux camarades qui m’appelaient “ ông nội “ c’est-à-dire grand-père. Je ne me doutais pas qu’il serait compliqué, par la suite,  de me débarrasser de leur présence.

Une infirmière m’annonce, par l’intermédiaire du coloc prisonnier politique pas encore passé à la kalachnikov, mais qui s’y attend d’heure en heure, qu’il me faut marcher, ne pas demeurer continuellement étendu sur mon lit. Quelque chose comme une (1) heure par jour. Sitôt dit, sitôt fait. Le duo syncrétique que nous formions se mit en marche. Première séance d’une durée approximative de dix (10) minutes. Pour la première fois depuis mon arrivée dans cette aile, je peux m’approcher du jardin et remarquer combien immobiles sont les patients allongés sur la pelouse, ainsi que ceux assis sur les marches ou encore ceux qui contournent les couloirs à un rythme dont j’ai la certitude de ne jamais être mesure d’atteindre. On me dévisage. Aucune idée si l’indifférence que mon personnage imaginaire a plaquée sur mon visage se reflète dans mon attitude générale ; aucune idée comment c’est reçu, mais l’atmosphère est lourde. Les deux camarades m’ayant escorté vers le bureau dans lequel j’ai passé mon test de personnalité, suivent les deux lambinards revenant vers leur chambre.

Le même scénario se reproduit quelques heures plus tard : nous devons reprendre la marche pour un deuxième dix (10) minutes. À la troisième ronde, toutefois, je perds mon acolyte. Remplacé par les deux compères qui m’associent à leur aïeul ou leur ancêtre, encadré comme si j’étais prisonnier dans une camisole de force, je sens qu’on me soulève pour accélérer l’allure.

Ces randonnées m’épuisent. Étourdi comme jamais, je ne pense qu’à retourner dans notre salle qui vient d'accueillir un quatrième pensionnaire. Un paravent dissimule l’individu. On doit le bouger légèrement pour nous permettre d’entrer. Mes deux béquilles humaines m’aident à m’étendre. Le plus costaud des deux, rictus aux lèvres, dans un geste rapide, baisse mon pantalon et caresse mon sexe, puis son collègue y va du même jeu de mains. Ils ne résistent pas à pousser l’écran qui nous sépare du nouveau venu. Un jeune homme repose, figé sur son grabat, complètement nu. Les deux s’amusent sur lui un instant, se regardent en souriant, puis déguerpissent.

 


 

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   Je vous épargne l’abjecte description des crises de paranoïa de mon compagnon prisonnier politique ; celle de mon second camarade qui vit carrément ailleurs, multipliant les aller-retour de l’intérieur à l’extérieur de la chambre, le regard vague et tout à fait inconscient de la présence des autres patients ; celle du nouveau venu qui nous afflige de son trouble panique l’amenant à se coller au mur, cherchant à s'y enfoncer ; celle de ce jeune garçon - il n’a certainement pas quinze (15) ans - qui hurle jour et nuit, la peur imprimée dans sa figure totalement égarée ; celle de tous ces autres compagnons/camarades qui n’ont de cesse d’attendre les deux repas quotidiens, de tourner en rond dans le rectangle de couloirs autour du jardin, faire la queue afin de recevoir le médicament de nuit ; celle de ce jeune homme, étudiant en sociologie à Hanoï, interné par ses parents en raison de son homosexualité, me proposant de discuter en anglais avec lui afin de se perfectionner et qui, un jour, me dit que les “patient” sont en fait des “boarder” entièrement oisifs, ayant peu d’espoir de quitter cet établissement psychiatrique ; celle des infirmiers/infirmières aussi inactifs que nous tous, mais remplissant leurs tâches du mieux qu’ils le peuvent.

Aucune nouvelle de Phuoc, en fait je n’ai de nouvelles d’absolument personne. Il m’est difficile voire impossible pour le moment de me situer dans le monde. Aucune idée si ma famille est au courant de la situation, moi qui suis entièrement imprégné de honte, ne cessant de me répéter que tout aurait été plus simple si mon voisin de palier n’était pas venu frapper à la porte de mon 401, me laissant crever comme je le souhaitais. Je lui en ai voulu, sauf que ma dépendance est telle que je ne peux me permettre de lui en tenir rigueur. Nous en discuterons beaucoup une fois sorti de cet endroit lamentable. J’y reviendrai dans un billet subséquent.

La septième journée libératrice. Le psychiatre en chef de l’hôpital, accompagné par je ne sais trop qui, passe de salle en salle, mais comme il s’adresse en vietnamien à tous mes compagnons/camarades, je ne saisis rien de ce qu’il dit. Devant moi, un peu surpris je crois de constater qu’un étranger se retrouve ici, il m’adresse la parole en anglais. “ Nous allons vous aider. Le taux de réussite de nos traitements est vraiment intéressant. Vous devriez mieux vous porter d’ici quelques semaines. “ La seule chose qui me vient à l’esprit, je la lui transmets : “ je veux partir, retourner chez moi. “ Étonné, il interroge les assistants qui le suivent dans une sorte de parade. Personne semble être au courant de mon dossier, si dossier il y a. Il pointe ce qui me semble être un interne. Ce dernier me dévisage. Je le reverrai le lendemain. Il sera la clé permettant de rouvrir la porte de cette aile. Phuoc viendra me chercher. Retour au 401.

 

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À la prochaine

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