jeudi 23 octobre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 16

 

L’anniversaire de naissance de Benjamin et la date prévue pour l’arrivée de Nathanaël sont distantes d’un mois : 16 mars, 16 avril. On s’en approche sensiblement.
 
Celui de Chelle et l’arrivée de Gabrielle, un mois également : 10 mars, 10 avril. Dans ce cas, c’est maintenant chose faite.
 
Comme pour le premier accouchement, Don et Aanzhanie quittèrent l’hôpital dès le lendemain, revenaient à la maison après un court arrêt chez les parents de Benjamin afin de leur présenter le nouveau-née, récupérant Chelle par la même occasion. Ce moment fut rempli d’émotion, même Walden participa à l’explosion des sentiments qui animaient tout le monde.
 
- Elle s’appelle Gabrielle, dit Don qui la gardait précieusement dans ses bras, après que sa femme se soit assise.  
- Trop beau comme nom, enchaîna Jésabelle dont les yeux roulaient de la maman à Chelle, scrutant la réaction de chacune.     Tu as choisi un nom dont la finale en «elle» rejoint sa sœur.
 
La naissance d’un enfant survenant après qu’un autre soit déjà arrivé bouscule les événements de la vie quotidienne, amenant principalement celui ou celle à qui on attribue maintenant le titre d’aîné, l’amener à revoir sa place dans la famille, à mesurer le temps qu’on lui accorde par rapport au nouveau-né, à se poser mille et une questions ; chez certains on note certaines régressions un peu comme une croyance qu’en revenant à un stade antérieur on allait davantage s’occuper de lui ou tout simplement rappeler qu’il est toujours là.
 
Jésabelle avait prévu, et cela dès le jour où elle fut certaine que son corps se mettait à l’oeuvre pour faire un nouvel enfant, d’y impliquer Benjamin le plus possible et, comme le lui avait signalé Angelle - la sage-femme - préparer Daniel au rôle qui viendra plus tard, une fois l’enfant mis au monde.
 
Elle ne s’inquiétait donc pas des répercussions sur son premier fils, mais l’était davantage pour Chelle sachant que Aanzhanie vivait une grossesse difficile voire pénible. Les deux femmes en gésine vécurent leur temps de gestation de manière fort différente : dans le calme pour Jésabelle, dans le trouble pour Aanzhanie. Aucun doute dans l’esprit de la mère de Benjamin, les situations s’opposaient, raison pour laquelle elle suggéra de tracer un couloir jouxtant les deux maisons dans ce boisé adjacent. Ceci permettrait à la femme de Don d’apprendre à mieux se débrouiller dans la langue de son nouvel environnement, tout en s’éloignant quelques heures de Taïma qui ne cessait de la fustiger sans relâche avec des propos inadéquats.
 
Aanzhanie devint rapidement une élève remarquable ; évitant d'alimenter des conflits elle s’adressait à son mari et à sa fille dans la langue qui prévalait toujours à la maison, situation qui se modifia à la suite du départ définitif de Taïma, ce qui favorisa l’apprentissage de la langue française chez la mère et sa fille.
 
Les moments passés dans le boisé avec Jésabelle alimentèrent la hargne de sa belle-mère qui l’accusait de mal se préparer à l’accouchement. Il fallut l’intervention catégorique de Don, rappelant que la décision était immuable, la naissance se fera à l’hôpital des Blancs.
 
Dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, parfois difficile à y établir des liens avec celle qui nous est naturelle, le meilleur chemin à emprunter s’avère, un peu comme les parents le font avec leurs enfants, d'installer des expressions applicables au quotidien, éviter de se lancer dans l’inutile étude de la grammaire ou encore la mémorisation de mots sans rapport avec la réalité. La base demeure toujours la communication. Avec Aanzhanie, Jésabelle ne franchissait pas pour le moment le niveau supérieur du langage, celui qui atteint les sentiments, aborde les émotions. Cela viendra plus tard.
 
Pour le moment, au lendemain de la naissance de Gabrielle, alors que les deux élèves de la classe pré-scolaire, revenus de l’école, attendaient l’arrivée des parents de Chelle, tout sera centré, c’était la volonté de Jésabelle, sur les enfants, les trois enfants. De son œil observateur, elle ne cessait de dévisager son invitée de la veille, cherchant à y découvrir ce qui pouvait bien se passer dans son cerveau.
 
Un détail attira son attention. Les yeux du nouveau-née lui semblaient fixes et … bridés.
 
                                                        *****
 
Abigaelle accompagnée par Henriette, la secrétaire de école, salua le concierge qui lui rendit la pareille avec un sourire épanoui. Il faut dire qu’ayant croisé le président de la commission scolaire au bureau de poste, celui-ci le félicita pour la propreté de l’école primaire, une situation dont il était particulièrement fier.
 
Monsieur le concierge, depuis des lunes, tout le monde le surnommait ainsi au point que son patronyme s’était comme évaporé, précisa les raisons de ce surplus de netteté des locaux sans que cela n’eut augmenté sa charge de travail, précisant que l’idée provenait de la nouvelle enseignante.
 
- Un véritable don du ciel pour nous, commenta le président de la commission scolaire.
- Vous avez parfaitement raison, elle aime tellement son travail et cela rejaillit sur ses élèves. Je ne peux en dire autant pour notre directrice. Excusez-moi de médire, mais elle m’a apostrophé lorsque les enfants ont commencé à nettoyer leur bureau, leur classe, leur casier, me rappelant que ce n’était pas l’affaire des enfants de récurer l’école, mais ma tâche.
- Vous vous rappelez sans aucun doute les conflits entre l’ancienne directrice et Mademoiselle Saint-Gelais. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle souhaite gérer l’école comme une caporale de l’armée.
- Vous dites l’école, mais pour elle c’est son école.
- En effet. Je vois que vous avez retrouvé le sourire et le goût de travailler, alors continuez ainsi, vous avez mon appui complet.

 


Les deux femmes sortaient de l’école au moment où la camionnette bleue, celle de Benoît, le frère de la directrice, prenait place devant l’entrée. Le chauffeur rejoignait Mademoiselle Saint-Gelais pour la ramener chez elle. Le jeune homme aux yeux gris métallique les toisa sans les saluer.
 
- Quel être arrogant, avança Henriette.
- Tu le connais depuis longtemps ?
- Depuis toujours…Tout le village a eu maille à partir avec lui à un moment ou un autre. Moi, comme secrétaire de l’école, je ne peux te dire combien de fois ses institutrices l’ont envoyé à mon bureau parce qu’il était insupportable en classe. La seule chose que je pouvais faire, c’était d’aviser sa sœur. Mademoiselle Germaine enseignait la septième année à ce moment-là. Il tremblait de peur devant elle. Si douce, si gentille, si belle, lorsqu’elle entrait dans mon bureau, le gamin se calmait immédiatement, baissait la tête sans ajouter un mot. Je ne te dis pas les mots de… sacristie qui s’imprimaient sur ses lèvres qu’il mordait rageusement.
- Lui a-t-on offert des services pour l’accompagner ?
- Pas du tout. Il aura fallu l’affaire Delage pour que la justice s’en mêle et le condamne à quelques mois en centre. Ça s’appelait à l’époque «maison de réforme», un peu comme une prison pour les jeunes délinquants. Une chose quand même étrange s’est alors produite. Monsieur le curé de la paroisse s’occupait de Benoît depuis toujours l'ayant adopté comme enfant de chœur pour toutes les messes qu’il célébrait. On dit que le prêtre aurait fait des représentations pour que le frère de Mademoiselle Germaine soit libéré, un peu comme s’il acceptait de le prendre en charge. Mais je n’en sais pas plus.
- Le gouvernement du Québec étudie présentement la possibilité d’adopter une loi qui protégerait les jeunes de moins de 18 ans. Dans mes cours à l’université Laval à Québec, certains enseignants croient que cela pourrait même être déposée l’an prochain, en 1977. D’ici là, on engage de plus en plus de spécialistes, recrutés afin de mieux comprendre les troubles du comportement et faire des recommandations au ministre. Bientôt ça sera la même chose pour le pré-scolaire. Du moins je le souhaite.
- Et tu travailles si fort pour que les choses changent.
 
Elles se turent lorsque le duo émergea de l’école, le jeune homme soutenant sa soeur qui montait péniblement dans la camionnette bleue, adaptée pour favoriser le transport d’une personne handicapée.
 
Benoît fixa Abigaelle de ses yeux perçants, vers Henriette, il renifla des mots inintelligibles.

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 16

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