Chez les fumeurs ojis-cris, elle remonte à loin cette habitude de rouler leurs cigarettes.
Les garçons avaient simplement à dire qu'ils devaient aller sur le pont afin de discuter d'affaires de gars pour que les filles y voient là une belle occasion de placoter entre elles, à savoir lequel parmi eux deviendrait un honnête prétendant.
Dans la réserve de l’Île Whitefish, la distinction entre garçon et fille n’apparaît vraiment qu’à l’âge où la puberté, déjà, a fait ses ravages autant physiques que psychologiques, que la rébellion est derrière eux laissant toute la place aux doux mensonges, aux rêveries nocturnes, et qu'enfin arrivent les heures sérieuses.
Les filles, plus précoces dans le domaine de la parlure, jaseront entre elles des choses qu’elles imaginent être celles de l’amour. Les garçons, derrière leur bouclier motus ! s'affaireront à installer l'usage lié autant à la cigarette qu'à la bière. On ne s’en cache pas, ni chez les uns ni chez les autres alors que les parents n'y voyant là que la route vers la stabilité ne s’en inquiètent pas vraiment, l’ayant déjà eux-mêmes fréquentée.
Sur le pont - c’est Gord qui le rappelait à son frère plus jeune - on avait établi comme norme tenant plus de la convention que de la règle, à savoir que les plus jeunes libèrent le lieu dès que le soleil se couche au fond de la rivière Sainte-Marie. L’arrivée des grands adolescents résonne toujours comme un couvre-feu.
- Te souviens-tu de la fille... j’oublie comment on la surnommait... tu sais celle qui prenait plaisir à nous montrer ses seins ?
- Comment si je m’en rappelle, elle demeurait au cœur de la réserve, on l’appelait «Winn» ce qui veut dire «Elle».
- Les autres filles la fuyaient, mais nous les gars on l’invitait sur le pont, lui promettant une cigarette...
- ... des Sportsman sans filtre.
- Exact. Si elle nous montrait ses seins.
Il s’en passe des choses sur ce pont : départs et retours, des allers et venues, quelques suicides. Surtout des hommes. Souvent vers l’âge de 30 ans. Ils se laissent tomber en bas du pont après avoir tellement bu que déjà leur foie a éclaté.
- As-tu assisté à des plongeons ?
- Des plongeons mortels ? précisa Don.
- Oui. Des suicides.
- Non, ça ne m’est jamais arrivé.
Dans la réserve de l’Île Whitefish, la distinction entre garçon et fille n’apparaît vraiment qu’à l’âge où la puberté, déjà, a fait ses ravages autant physiques que psychologiques, que la rébellion est derrière eux laissant toute la place aux doux mensonges, aux rêveries nocturnes, et qu'enfin arrivent les heures sérieuses.
Les filles, plus précoces dans le domaine de la parlure, jaseront entre elles des choses qu’elles imaginent être celles de l’amour. Les garçons, derrière leur bouclier motus ! s'affaireront à installer l'usage lié autant à la cigarette qu'à la bière. On ne s’en cache pas, ni chez les uns ni chez les autres alors que les parents n'y voyant là que la route vers la stabilité ne s’en inquiètent pas vraiment, l’ayant déjà eux-mêmes fréquentée.
Sur le pont - c’est Gord qui le rappelait à son frère plus jeune - on avait établi comme norme tenant plus de la convention que de la règle, à savoir que les plus jeunes libèrent le lieu dès que le soleil se couche au fond de la rivière Sainte-Marie. L’arrivée des grands adolescents résonne toujours comme un couvre-feu.
- Te souviens-tu de la fille... j’oublie comment on la surnommait... tu sais celle qui prenait plaisir à nous montrer ses seins ?
- Comment si je m’en rappelle, elle demeurait au cœur de la réserve, on l’appelait «Winn» ce qui veut dire «Elle».
- Les autres filles la fuyaient, mais nous les gars on l’invitait sur le pont, lui promettant une cigarette...
- ... des Sportsman sans filtre.
- Exact. Si elle nous montrait ses seins.
Il s’en passe des choses sur ce pont : départs et retours, des allers et venues, quelques suicides. Surtout des hommes. Souvent vers l’âge de 30 ans. Ils se laissent tomber en bas du pont après avoir tellement bu que déjà leur foie a éclaté.
- As-tu assisté à des plongeons ?
- Des plongeons mortels ? précisa Don.
- Oui. Des suicides.
- Non, ça ne m’est jamais arrivé.
Les deux frères avaient quitté la réserve très très jeunes, y revenant passer l’été - de juin à septembre. Plusieurs événements au cours des années se sont déroulés durant ces mois d’été, pour la plupart des initiations : au courage, au dépassement de soi afin d’arriver à mieux se connaître comme individu et comme groupe, initiation aux activités sexuelles.
Gord, silencieux depuis un bon moment, offrit une cigarette (Sportsman sans filtre) à un frère qui cherchait délicatement à imposer son sujet, celui devant mener à la conversation à l'origine de ce voyage inopiné, mais il ne voulait surtout pas que ça coupe court. L’impression qui se précisait en lui était que le frère aîné cherchait à s’ancrer dans le passé pour mieux organiser ce qui devait être dit.
Les volutes de la fumée de leur cigarette s’entremêlaient dans ce début de nuit qui doucement s’installait.
Gord reprit.
- C’est vraiment à la suite de chacun de ces étés que tout s'est précisé pour moi. Notre mère refusait année après année de nous accompagner ici. Que notre père. Il nous y conduisait, nous laissant entre les mains de notre tante, la sœur de maman.
- Comment va-t-elle?
- Par elle et avec le temps, j’ai mieux compris ce que signifie la tradition voulant qu’une femme ne puisse se donner un nom qu’après le deuxième accouchement. Toute sa vie et encore maintenant, son si beau visage reflète la mélancolie alors que jamais elle ne se plaint, jamais ne remet en doute quoi que ce soit des traditions qui l’ont réduite à l'état de prisonnière dans sa maison, à attendre je ne sais quoi exactement, mais surtout pas la mort. Tu sais qu’elle est une artiste peintre de haute qualité ?
- Je la savais cuisinière hors pair et couturière infatigable, mais la peinture, tu me l’apprends. As-tu vu certains de ses tableaux ?
- Oui. Si tu viens dormir à la maison cette nuit tu en verras un dans la cuisine. Il est bien à sa place... notre tante est une femme de cuisine.
On a l’impression de tourner autour du pot, mais lentement, à pas de coyote, s’installe un climat de confiance qui débouchera peut-être sur un échange que Don souhaite le plus fructueux possible.
Les hommes possèdent cette faculté à brouiller les cartes, élargir les horizons, éloigner les points chauds, assurés qu’en repoussant les éléments les plus complexes d'un sujet cela neutralisera le message, le généralisera au point que devenu prosaïque, il s'avérerait plus facile à partager.
- Don, as-tu l’intention de laisser notre mère ici ?
- C’est elle qui prendra sa décision, mais je serai clair sur la suite des choses, elle n’aura certainement pas le choix de finir ses jours avec sa sœur.
- Je vois, répondit Gord sentant venir la suite avec appréhension.
- L’ours et le coyote, c’est toi ?
- Don, as-tu l’intention de laisser notre mère ici ?
- C’est elle qui prendra sa décision, mais je serai clair sur la suite des choses, elle n’aura certainement pas le choix de finir ses jours avec sa sœur.
- Je vois, répondit Gord sentant venir la suite avec appréhension.
- L’ours et le coyote, c’est toi ?
La question voyagea à la vitesse d’une flèche empoisonnée, créant non pas un malaise chez Gord, mais le désagréable sentiment de se sentir captif dans une forêt ; éprouver l'urgence à rejoindre la clairière nous bouscule ; espérer y abandonner son anxiété comme si on se dépouillait de vêtements défraîchis.
- Nous n’avons pas vécu toi et moi la même enfance, la même adolescence, la même entrée dans le monde adulte, même si nous étions continuellement l’un à côté de l’autre. Notre mère, et cela depuis ma plus tendre enfance, m'a fusionné à elle, resserrant son étau à chacun de nos retours de l'Île, me confondant par ses incessantes paroles auxquelles je n'avais pour réponses que le silence. Mon cerveau est devenu pour elle un dévidoir. Toute sa haine accumulée depuis notre départ de l’Île et notre arrivée au village des Saints-Innocents, elle la transvidait dans mon âme, à un point tel que année après année j’en suis arrivé à prédire plus loin que ses paroles, ses gestes, ses attitudes mais surtout ses volontés. Tu te souviens qu’un jour à la question avec laquelle tu ne cessais de me harceler, à savoir pourquoi je m’isolais dans le boisé près de la maison, du côté des bouleaux blancs pas celui des érables, eh bien ! c’était pour des pratiques de communication à distance. Elle me disait que si chacun de son côté pensait fort, mais là très fort à l’autre, nos pensées se rejoindraient. Ça ne s’est jamais produit, sauf que tout ce qu’elle exprimait avec le fiel que tu lui connais, tout ça germait dans mon âme. Elle le voyait. Je le ressentais. Tu vas sans doute te moquer, mais dans certaines occasions une voix bourrait ma tête en répétant : «Ta mère est la seule personne qui te connais.» ; «Tu ne dois jamais oublier que tu es un oji-cri, jamais tu ne seras un Blanc.» ; «Cherche le coyote et tu te trouveras.» Je pourrais t’en citer jusqu’à demain matin de ces flashs qui ont fini par m'aveugler. Lorsque j’ai épousé Mae, maman m’a jeté un maléfice : «Quitte-la, elle n’est pas une femme, jamais elle n’enfantera .» Je suis beaucoup moins oral que toi, j’ai toujours ce bâillon collé sur ma bouche, de sorte que je n’ai pas su en parler à personne. Papa était mort, toi tu vivais le bonheur auprès de Chelle et d’une épouse que maman avait aussi maudit de toutes ses forces. Il ne me restait qu’une seule option, disparaître. Nous sommes partis sans avertissement.
- Ça fait maintenant trois ans ?
- Oui. Nous sommes revenus ici, accueillis par notre tante adorée qui jamais n’a posé une seule question sur ce qui se passe aux Saints-Innocents, ne s’informant que de la santé… physique de sa soeur.
- La télépathie avec notre mère a fonctionné une fois installé ici ?
Gord qui allumait une autre cigarette, fixa son frère droit dans les yeux.
- « S’il n’y avait pas eu… »
- Oui. Nous sommes revenus ici, accueillis par notre tante adorée qui jamais n’a posé une seule question sur ce qui se passe aux Saints-Innocents, ne s’informant que de la santé… physique de sa soeur.
- La télépathie avec notre mère a fonctionné une fois installé ici ?
Gord qui allumait une autre cigarette, fixa son frère droit dans les yeux.
- « S’il n’y avait pas eu… »