samedi 30 juin 2012

QUATRE ( 4) CENT-TRENTE-TROIS ( 33 )


Un dernier en juin.
Ce poème a peut-être un peu à voir avec les casseroles... ou le bruit que les casseroles ont porté à mes oreilles.

en choeur


en chœur ils disent
crions plus fort
pour que personne
ne nous ignore 

en chœur ils répètent
l’égoïsme n’a pour seul rempart
que celui des autres 

en chœur ils crient
nos mots n’empêchent pas la chaleur d’être chaude,
au jour de succéder à la nuit,
ils rafraîchissent le jour et la nuit

en chœur on les entend dire
les grandes idées
devenues institutions
n’ont plus de sens 

en chœur on les entend répéter
un est un impair 

en chœur on les entend crier
en regardant loin
on marche sur des routes
qui n’ont pas de fin 

en chœur et sans peur on entend
à nos questions les réponses
n’ont pas de langage
pour bien se dire

Au prochain saut




mercredi 27 juin 2012

QUATRE ( 4 ) CENT-TRENTE-DEUX ( 32 )


À la réflexion, je me rends compte que d'avoir divisé en quatre étapes distinctes (installation/adaptation; acclimatation; prise de possession; constatation et prégnance), les avoir situées dans le temps (un mois chacune) cela ne tient pas la route. En effet, on doit s'installer selon l'endroit où l'on se trouve et je ne me trouvais pas toujours au même endroit, de sorte que cette étape réapparaissait à chaque moment d'un départ et d'une arrivée. Pour ce qui est de l'acclimatation, je peux réellement dire que j'y suis arrivé à la fin du mois de janvier et que le processus d'adaptation, un travail de tous les jours.

Voici ce que j'entends par «acclimatation»: vivre dans un milieu différent de son milieu d'origine. Ensuite, «adaptation»: se mettre en harmonie avec les circonstances, le milieu dans lequel on se trouve. Finalement, ces deux concepts se sont plus souvent croisés, interpelés et revenus tout au cours du voyage en raison sans doute de l'absence de repères dans l'environnement proche. On avait beau m'expliquer telle coutume, telle habitude, telle réaction, telle manière de faire, je réussissais à les comprendre, mais les intégrer, une autre paire de manches. Tellement facile à dire qu'il est si simple de faire ainsi, de faire comme ça... plus rapide, plus évident! Je crois que tant et aussi longtemps que tu n'es pas en harmonie avec chacune des circonstances, chacun des lieux, que tu ne cesses de comparer un nouveau milieu avec celui de ton origine, tu te trouves encore sur le chemin vers l'adaptation.

On dira... prendre un mois pour s'acclimater ... c'est un peu long. Sans doute. Mais je réalise, en faisant cet espèce de bilan, que vivre à 30 degrés Celcius quasi jour et nuit, modifier sa routine occidentale au niveau des repas et du repos, habituer son oreille à des sons pour certains connus, pour d'autres entièrement nouveaux, à la langue principalement, devoir pour une très bonne partie de ta vie quotidienne t'en remettre à quelqu'un d'autre, il faut se donner le temps, s'armer de patience et faire confiance autant aux autres qu'à soi. Donner le temps à l'horloge biologique d'ajuster son appareil!

Il existe diverses méthodes pour apprendre à nager: le cours progressif avec tous ces niveaux à franchir, les différentes étapes ou encore la méthode radicale, c'est-à-dire que tu te lances à l'eau (ou on t'y jette carrément) et tu te débrouilles pour ne pas te noyer. Par analogie, j'ai opté pour la voie progressive, donc placé en mode observation/questionnement. Je savais que la question du temps ne posait pas problème: j'étais là pour trois mois et les choses n'allaient pas se déplacer à un point tel que je les aurais ratées si je n'allais pas à leur rencontre au cours de la première semaine. Autre élément, mon guide craignant le soleil, les premiers temps, la majorité des activités se déroulaient en fin d'après-midi et en soirée. Par chance, à l'appartement loué dans le District 2, il y avait une piscine où je pouvais me délasser et, sous de magnifiques palmiers, lire à l'ombre sans être absolument dérangé par qui que ce soit, y passer des heures complètement seul. Ce lieu m'aura permis des périodes de repos inoubliables.

Autre élément avec lequel j'ai eu à m'acclimater puis m'adapter: la motocyclette. Ce moyen de transport aura été le plus important que j'aurai utilisé. Je ne reviendrai pas sur son importance à Saïgon qui est incommensurable, mais plutôt sur le fait qu'à titre de passager je devais manifester une totale confiance au conducteur, ne pas lui nuire et maîtriser mes réactions qui, au début, se faisaient nombreuses... Rouler en moto dans Saïgon est une aventure et jusqu'à la fin, une aventure renouvelée. Je me souviens parfaitement qu'au retour d'une visite dans la ville ou d'un restaurant, descendant de la moto je ressentais l'essentiel besoin de me délier les muscles non pas seulement des jambes ou du dos, mais du corps entier. Constamment aux aguets j'avais cette impuissante impression de ne pas pouvoir intervenir afin d'éviter ceci ou d'aider à cela. La moto aura été pour moi une source de lâcher-prise extraordinaire. De confiance et d'aveu d'impuissance. De collaboration aussi, car mon guide me disait comment agir pour faciliter un dépassement ou effectuer tel ou tel type de manoeuvre. J'avoue qu'un mois m'aura été nécessaire avant de pouvoir monter sur l'engin en tout confort. J'avoue aussi que la moto est idéale pour visiter, un peu moins pour prendre des photos, et qu'à notre arrivée dans les différentes villes où nous avons séjourné, elle faisait partie de nos indispensables.

L'acclimatation/adaptation à la nourriture fut rapide et combien agréable. Du début à la fin, se nourrir au Vietnam - que ce soit à l'appartement, au restaurant ou directement à l'extérieur, sur le trottoir - aura été l'occasion de belles expériences culinaires. Je ne peux pas dire la même chose pour la Chine. Il faut toutefois oublier le vin; trop chaud. La bière quand je pouvais en trouver de la froide désaltérait parfaitement bien. Dans je ne sais trop combien de restaurants où nous avons mangé, à Saïgon d'abord, tout était délicieux, frais et rapidement servi. Ailleurs, que ce soit au centre du pays ou plus au nord, les particularités culinaires m'ont ravi. On mange très bien au Vietnam et à des prix qui défient toute concurrence. À l'appartement, mon guide qui s'est avéré un cuisinier hors-pair m'a principalement fait goûter à des spécialités familiales, beaucoup à base de crevettes, calmars et de porc. Partout, légumes et fruits en abondance. Je puis dire que cette acclimatation/adaptation fut agréablement facile.

À la fin du mois de janvier, la chaleur ça allait - seulement un des trois climatiseurs fonctionnait en milieu d'après-midi - la moto aussi, la nourriture parfaitement bien, l'environnement humain (la famille de mon guide et ses amis, les amis des amis) m'est devenu un réseau fiable, je pouvais bouger de plus en plus seul dans Saïgon, les activités entourant le Têt, une occasion supplémentaire de vivre de plus près la vie et la culture vietnamienne, les quelques jours à la mer (Mui Ne) alors que nous y sommes allés par autobus ce qui a permis de découvrir la campagne vietnamienne et des gens plus intimement en raison des autobus-lits, à la fin du mois de janvier je peux vraiment dire que je suis acclimaté. Pour ce qui est de mon processus d'adaptation, il est en mode asiatique.

J'achèverai ces commentaires qui tournent principalement autour de l'acclimatation/adaptation en me posant une question. Y a-t-il des choses auxquelles l'occidental que je suis n'aura pas réussi à s'adapter? Le processus est quotidien, chaque jour apportant son lot d'images qui bousculaient mes schèmes. Il s'agissait parfois de détails insignifiants (les poules qui circulent sur la voie publique en plein coeur de Saïgon), parfois plus saisissants, ici je songe aux différentes illustrations de l'histoire du Vietnam que les musées (de Saïgon) nous appellent à réfléchir. Aussi, voir toutes ces personnes âgées qui travaillent dur et solide, sous un soleil de plomb, sans s'arrêter jamais, mus par une espèce de devoir quotidien où la survie semble en être le moteur. Ces personnes handicapées qui vous offrent des billets de loterie. Ces femmes qui, sur le coup de 17h, sortent de leur maison avec un petit hibachi et cuisent leurs spécialités sur le bord du trottoir. Mais pour répondre directement à la question, je crois qu'une chose avec laquelle j'aurai eu un peu plus de difficulté fut de devoir ralentir mes élans naturels vers les gens sachant que je ne pourrai pas approfondir ni une conversation ni une rencontre. Et à ce niveau, la Chine trône en tête de liste. Dans les deux villes visitées, le contact avec le peuple chinois fut nul. Au Vietnam, plus facile, mais la barrière linguistique était souvent infranchissable.

La prochaine fois, nous verrons ce que j'entends par la prise de possession, la constatation et la prégnance.

À la prochaine




jeudi 21 juin 2012

QUATRE ( 4 ) CENT-TRENTE-ET-UN ( 31 )



chaleur


la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau


au loin, la tour perce les nuages
les motos-fantômes
- l’une derrière l’autre -
composent une piste de chandelles
rythment entre les flaques liquides
une drôle de farandole
sur laquelle, dans un vent de nuit,
glissent les chauves-souris


la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau



partout, la chaleur vit, ici et là
sous un arbre, un banc oublié
sur les gerçures humides du vendeur de fruits
les yeux secs de la femme-palanche
celle qui colporte sa croix quotidienne
les pieds noirs des enfants cerfs-volants
la chaleur vit partout, omniprésente
dans les bruits secs, craquants du matin torride


la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau



au loin, la rivière-serpent sous les ponts
laisse derrière et à côté d’elle
comme autant de vestiges maritimes
les résidus spumeux des sables lointains
rouges encore du sang des immolés
brûlés par la chaleur des siècles
qui, pour mille et une raisons impunies,
rappliquent tel un ressac de feu

la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau



partout tendues, des mains calcinées
cherchent le ruissellement des gouttes de pluie
fuient la sécheresse des feuilles illuminées de fruits
se joignent à l’ombre avariée des libellules en fuite
alors qu’au bout des doigts tintent les baguettes de bois
dans des bols d’étain qu’une jeune fille récure
fixant par-dessus les paniers de crevettes
un regard d’osier, d’avenirs jaunes et chauds


la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau


au loin et partout, plus loin encore que le bruit du soleil
au coeur et au centre des fournaises humaines
dans un silence qui fond sous la paresse du matin
la pluie comme de la sueur de chaleur
se répand, à midi elle s’étendra par-delà la sieste
fera craquer les peaux ouvertes et alanguies
dans sa poursuite des autels du repentir
pour retrouver un dragon noyé dans la mer


la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau


_ Encore une certaine influence vietnamienne...

mardi 19 juin 2012

Aung San Suu Kyi

Aung San Suu Kyi

19 juin, anniversaire de la naissance de Aung San Suu Kyi. La grande dame (l'orchidée de fer) a pu recevoir en mains propres le Nobel que la Finlande lui avait accordé en 1991. À cette époque, c'est son fils qui s'était présenté afin de le recueillir au nom de sa mère. Maintenant c'est fait. Et ça ne fait que commencer pour elle et le peuple birman.

Voici quelques citations de cette femme hors du commun.

. Ce n'est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur: la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l'exercent et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime.

. La vérité, la justice et la compassion sont souvent les seules défenses contre le pouvoir impitoyable.

. Nous avons remarqué au cours de cette tournée (dans les différents États de la Birmanie) que partout où la population osait agir politiquement, elle jouissait de plus de droits. Tandis que là où sévissait la peur, sévissait aussi l'oppression. C'est pourquoi, si nous voulons la démocratie, nous devons faire preuve de courage; et j'appelle courage le fait de faire ce que l'on pense juste, même si l'on a peur. La peur est inévitable. Nous devons seulement apprendre à la maîtriser.

. En Birmanie, nous avons tendance à user de la menace pour élever nos enfants. J'aimerais, de tout mon coeur, vous demander de ne pas le faire. Dans notre pays, pour apprendre à nos enfants ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire, nous préférons les menaces aux explications qui leur permettraient pourtant de comprendre par eux-mêmes. Ce type d'éducation à base d'intimidation prévaut au point que nos dirigeants ne cherchent même pas à expliquer ce qu'ils font, et se contentent de recourir à la menace pour maintenir le peuple sous leur domination. Ce comportement fait partie de notre culture, et il nous faut le changer. Enseignons à nos enfants en leur expliquant les choses. C'est de notre responsabilité. Nous avons le devoir de leur apprendre le sens de la justice et de la compassion.

. Il nous faudra travailler très dur pour rattraper toutes ces années perdues, (...) parce que les dictatures n'ont aucun intérêt à l'éducation des peuples et préfèrent les maintenir dans l'ignorance et la soumission.

. La justice n'est pas une vengeance.

. La seule vraie prison c'est la peur et l'unique liberté est la libération de la peur.

. Je ne crois pas dans une lutte armée pour la raison suivante: elle perpétuera la tradition selon laquelle celui qui manie le mieux les armes manie le pouvoir. Même si le mouvement démocratique devait triompher par la force des armes, cela laisserait dans les esprits l'idée que quiconque dispose d'un armement supérieur pourra vaincre en définitive. Cela ne saurait aider la démocratie

vendredi 15 juin 2012

QUATRE (4) CENT-TRENTE (30)


Téléporté. Voici le mot exact, celui qui circonscrit le plus exactement le concept de «choc culturel»: se retrouver téléporté. Douze fuseaux horaires plus loin dans un univers chauffé à 30 degrés Celcius jour et nuit, avec autour de soi, des gens qui parlent une autre langue, qui vivent - et je le constaterai tout au long de ces quatre mois - qui vivent selon la théorie de la simplicité volontaire. Vraiment, téléporté correspond tout à fait à ce que je ressens. Ces gens tellement jeunes - on dit que la moyenne d'âge tourne autour de 22/23 ans - accueillants, charmants, curieux, sages et philosophes. De vieilles âmes! Et qui se laissent découvrir à la condition de prendre le temps, de respecter les limites individuelles et d'écouter tout autant qu'ils écoutent. J'oubliais, sans doute l'essentiel, de ne pas être dans le jugement.

Le choc culturel est d'autant important du fait que très peu de similitudes entre leur façon de vivre et mon occidentale se rejoignent si l'on examine cela d'un point de vue objectif. Objectivement, quand tu arrives ailleurs, les questions auxquelles tu attends des réponses sont de l'ordre des besoins essentiels: la nourriture, la qualité de l'eau, la propreté, l'hygiène, etc. Viennent par la suite la sécurité, l'organisation quotidienne, le transport, le ce-qu'il-faut-et-ne-faut-pas-dire, tout ce que je peux résumer par le mot a d a p t a t i o n ... S'adapter à une nouvelle civilisation et à soi-même...

Faisons un petit résumé:
le premier mois aura été celui de l'installation et de l'adaptation;
le deuxième, celui de l'acclimatation;
le troisième, celui de la prise de possession;
le quatrième, le dernier, celui de la constatation et de la prégnance.

Je ne reviendrai pas sur tous les événements qui sont survenus, tous les déplacements, sans doute les avez-vous suivis sur le blogue au fur et à mesure qu'ils se déroulaient et s'y inscrivaient de façon hebdomadaire, non, je veux simplement et avec une certaine distance maintenant, les examiner à partir des transformations que je vivais au jour le jour, de mois en mois. Je garde en tête que je suis en pays communiste, que mes lectures préparatoires ont installé dans mon esprit une certaine manière de regarder, de voir, que l'organisation de base (appartement, transport, guide, etc.) a été prévue depuis un certain temps, que mon planning est ouvert mais comporte des incontournables, que je serai en contact avec la famille et les amis par SKYPE et le blogue... je garde surtout en tête que je voyage avec moi-même, ce moi-même qui accepte de découvrir et de se laisser surprendre.

Voici pour les bagages.

Avant de me lancer dans la première des quatre périodes, celle de l'installation et de l'adaptation, je veux dire quelques phrases sur la langue. Sans trop élaborer, seulement dire que j'ai vécu quatre mois en anglais, moi qui ne maîtrise pas cette langue disons... fluidement... Penser en français, traduire en anglais, sentir que c'est reçu à partir d'un anglais approximatif puis traduit en vietnamien et finalement retourné en anglais... cela a occasionné parfois des malentendus et des quiproquos amusants. Comment dire la beauté de la langue vietnamienne, son côté si agréable à l'oreille? Tout est en tonalités, du grave à l'aigu au guttural. Des nuances que je ne réussissais pas à bien percevoir mais que mon guide me signalait entre le Sud (autour de Saïgon), le Centre (autour de Hué) et le Nord (autour de Hanoï) ne m'ont pas fait déchanter: cette langue sera restée harmonique pour mon oreille occidentale. J'ai apprécié que lors de soirées au restaurant ou dans les cafés, les amis vietnamiens qui pouvaient s'exprimer en anglais le faisaient gentiment en ma présence. En aucune occasion j'ai pu converser en français avec qui que ce soit. Cette langue a presque complètement disparu du paysage vietnamien, du moins de celui dans lequel j'ai été plongé.

Je voulais lire des auteurs vietnamiens et, si possible, rencontrer les artisans de la nouvelle poésie vietnamienne. C'est auprès de LA LIBRAIRIE FRANÇAISE à Saïgon et de ma «pusheuse» de livres que mes efforts furent tentés. Pas trop de bons résultats. J'ai lu, un «must», KIM-VÂN-KIEÛ de Nguyên Du, ce long poème racontant l'histoire d'une belle et jeune fille qui jure fidélité à un garçon mais qui se doit, par fidélité au confucianisme, sauver son père en devenant courtisane. Ce poème que tous les Vietnamiens ont lu et lisent encore, permet de mieux saisir l'âme de ce peuple. Également, l'écrivaine Duong Thu Huong maintenant exilée en France s'étant permis de critiquer le régime. Son livre de toute beauté, dans lequel on sent l'influence de Kim-Vân-Kiêu, TERRE DES OUBLIS, est une merveille. Dans les deux cas c'est à des traductions que j'ai eu recours pour entrer en contact avec la littérature vietnamienne. L'actuelle, selon la libraire française, se cherche un peu et tente de se dégager des nostalgies passées.

Nostalgie. Je me disais qu'une des premières choses que je souhaitais faire à mon arrivée à Saïgon était de regarder le ciel, d'imaginer entendre le bruit des hélicoptères d'APOCALYPSE NOW ou l'atmosphère de FULL METAL JACKET. Voir de visu tout ce que la télévision à l'époque de la guerre du Vietnam nous transmettait quotidiennement. Voir comment un peuple aussi éprouvé s'est relevé, mesurer son niveau de résilience. La réponse me parviendra quelques jours plus tard alors que je visitais le Musée des Souvenirs de Guerre. D'une salle à l'autre et au rythme des horreurs que l'on offre à nos yeux, présentées comme autant d'hommages au peuple et de propagande au gouvernement, je revoyais tout cela, avec mes yeux d'occidental, un peu coupable, comme porteur d'excuses, celles que ces tortionnaires étrangers n'ont jamais assumées. Au même moment, mes deux collègues vietnamiens, étudiants universitaires, déambulaient rapidement d'exhibit en exhibit comme si cela ne les aurait pas touchés, émus. Ils me dirent, à la fin de la visite, que le passé est passé, qu'il faut regarder devant, se plaindre ne change rien mais que c'est un devoir pour tout Vietnamien de conserver vivant le souvenir et le courage de ceux et celles qui vécurent ces horreurs. J'aurai ressenti la même chose lors de ma visite à la prison sur l'île de Phu Quoc, prison dont peu de Vietnamiens sont sortis vivants et où la torture pouvait dépasser les limites de la cruaté humaine.

Je savais dès lors qu'à la nostalgie je devais substituer les découvertes et les émerveillements. Pour cela, il fallait se lancer, ce que je voulais faire en bon occidental que je suis. Il aura fallu que l'on me retienne, qu'on me fasse comprendre que rien ne pressait, qu'il fallait d'abord m'adapter à mon nouvel environnement. Le fait que mon guide présente une certaine forme d'allergie au soleil aura permis qu'une bonne partie du mois de janvier, si j'exclus les journées passée à la mer, se déroulait du milieu de la journée jusqu'au début de la nuit. Si certains jours s'annonçaient plus nuageux, nous pouvions nous hasarder de jour. De plus, les jeudi et vendredi, mon guide me laissait seul comme un grand jeune homme puisqu'il avait cours à l'Université.

Voyons ce qui me reste de la période de l'installation et de l'adaptation.

À la prochaine

mercredi 13 juin 2012

Saint-Denys-Garneau: 100 ans aujourd'hui


Un poème aurait certainement mieux convenu, mais lequel choisir?

Afin de signaler le centième anniversaire de la naissance du poète Saint-Denys-Garneau, j'ai opté pour un extrait d'une lettre qu'il adressait à André Laurendeau, le 27 juin 1932.

. Je m'occupe à me situer ici tel que j'ai quitté Saint-Catherine, et à devenir quelque chose de mieux. Je ne sais si c'est pour toi la même chose, moi, je suis toujours porté à redevenir pour les choses et les êtres ce que je fus pour eux. J'ai remarqué cela à plusieurs reprises. À rencontrer des personnes que j'avais connues plusieurs années auparavant, je me suis retrouvé avec elles comme j'avais été, et j'ai dû faire un effort pour redevenir moi-même-actuel. La conversation, les façons d'être, certaines expressions, tout cela me semblait d'il y a trois ans, et l'était en effet. Les personnes que je rencontrais me voyaient comme j'avais été, ne cherchaient pas en moi le nouvel être, mais l'ancien, ne tentaient pas de découvrir mais de reconnaître. La plupart des gens ont l'esprit si peu actif, sont si désespérément conservateurs, et aussi tellement attachés à leurs opinions, qu'ils ne conçoivent pas que tout change et que ce qu'ils ont vu ne soit plus tel qu'ils l'ont vu. Et, après tout, on est toujours un peu pour les autres ce qu'ils veulent qu'on soit, parce qu'il est difficile qu'ils ne trouvent pas, et, qu'en effet, on ne leur montre pas ce qu'ils cherchent en nous. Et on sort de leur compagnie étonné de ce qu'on a montré de soi, une partie oubliée et qu'on croyait disparue avec le temps mais qui a surgi si facilement d'où elle était enfouie.


Salut!

lundi 4 juin 2012

QUATRE ( 4 ) CENT-VINGT-NEUF ( 29 )



Cette semaine, il y aura un mois que je suis de retour du Vietnam. Et lorsque le temps devient plus frais, je gèle. Lorsque le temps devient gris, me rappelle les derniers jours, ceux de la fin du mois d'avril et du début du mois de mai, à Saïgon, alors qu'il fallait suivre l'évolution de la météo avant d'enfourcher la moto et partir en escapade. Lorsqu'il pleut, ça n'a absolument rien à voir avec ces ondées chaudes qui formaient des murs d'eau diaphanes pour s'évaporer aussi brusquement qu'elles étaient apparues; ici, actuellement, elle est froide et drue.


Un mois plus tard, je me souviens l'avoir écrit dans un des derniers sauts vietnamiens qu'il fallait bien établir un bilan de cet hiver asiatique, j'essaie de voir ce que j'en retiens. J'ai très souvent dit que l'on ne connait vraiment les gens qu'en voyageant avec eux. Les exemples d'amitiés brisées, d'amours égratignées, de surprises inimaginables sont légion chez plusieurs personnes qui, de retour d'un voyage parfois aussi court qu'une semaine, se rendent compte qu'elles ne connaissaient pas l'autre ou les autres, qu'elles ont découvert des travers cachés chez leur co-voyageur et qu'à partir de cela, elles ont mis une certaine distance entre eux. Chez d'autres, c'est tout le contraire. Pour moi, dans ce voyage que j'entreprenais seul et auquel allaient se greffer des personnes que je ne connaissais absolument pas, des jamais-vues-de-ma-vie, le défi était celui-ci: allais-je être en mesure de voyager avec moi-même?

Je me rappelle que lors de mon passage à l'heure asiatique (à partir du 25 décembre dernier, je vivais le jour la nuit et vice-versa) je me suis senti perdu, isolé et parfaitement incapable de bien me situer dans l'espace et dans le temps. Je venais de me transposer dans un lieu tout en demeurant au même endroit. Bizarre que cette sensation d'être déjà parti alors que tu n'as pas bougé d'un millimètre. Comme pour répondre à cette situation que je jugeais inconsciemment comme étant anachronique, je me suis mis à ressentir des douleurs dans tout le corps: le dos me faisait mourir, l'estomac était tout croche, mon bon vieux côlon râlait... La difficulté que j'éprouvais à bien dormir me rendait irritable; heureusement que je vivais cela seul, sinon j'aurais été insupportable pour quiconque.

Il n'y a que quatre jours (et quatre nuits) entre cette bascule et mon départ. Une fois installé dans l'avion, alors que je savais qu'il y en aurait pour plus de douze heures avant d'arriver au Qatar (Doha) et d'y faire une pause d'un autre douze heures, toutes les craintes reliées à ma jambe gauche se sont amplifiées... Tout cela n'aura duré que quelques minutes. Le Boeing 777 grimpé à 38 000 pieds, en pleine nuit, je suis redevenu celui qui partait pour le Vietnam, qui se centrait sur tous les instants de ce voyage. J'étais finalement bien. Je pouvais vivre mon hiver asiatique.

Je passe par-dessus la mauvaise aventure à l'hôtel de Doha et me voici, sortant de l'aéroport Tan Son Nhat d'Ho Chi Minh, légèrement inquiet; mon guide allait-il être là? La première chose qui me frappe, il est 22h 30, satisfait d'avoir organisé le décalage horaire de manière telle qu'en arrivant je ne sois pas déphasé, être en parfait accord avec le temps, la première chose qui me frappe c'est la chaleur. Elle sera omniprésente au cours des quatre prochains mois - à ce moment je ne sais pas encore que mon retour prévu pour le 27 mars sera poussé au 8 mai - omniprésente, jour et nuit, comme une compagne dont on ne peut se séparer, même pour quelques secondes. Une chaleur comme celle-ci, celle de fin de journée, presque de fin de soirée, une chaleur que je ne réussissais pas à distinguer de celles connues à Cuba, au Mexique ou en Floride. Une chaleur qui enveloppe totalement, qui cherche tes points sensibles, les trouvent illico et s'y confinent sans aucune retenue.

Est-ce que la chaleur aura été mon plus grand choc? Non. Je me savais capable , si je me donnais le temps nécessaire, de m'accorder avec elle. Le premier choc d'ordre culturel fut le résultat de cette rencontre avec le guide vietnamien qui était là, avait prévu une bouteille d'eau, était là parce qu'il avait accepté de me servir de guide de voyage, de traducteur d'une langue horriblement compliquée - à la fin de mon séjour je ne sais pas encore compter de 1 à 10 en vietnamien sans avoir recours à mon petit dictionnaire de poche - mais principalement parce qu'il m'apprenait dès mon arrivée (et continuera tout au long des mois à venir) que mes réactions occidentales et les attitudes orientales sont des univers éloignés l'un de l'autre de manière que je ne pouvais bien saisir à ce moment. Le choc fut de constater que lorsque la parole est donnée, on ne revient pas là-dessus; le choc fut de mesurer combien le temps oriental n'a pas la même valeur que le temps occidental - jamais on ne parle de salaire horaire ou quoi que ce soit dans le genre - le temps oriental, c'est vivre sa journée comme si demain n'allait pas venir; le choc fut de devoir immédiatement, sur le champ, lâcher prise et accepter de mettre en action ce que je me disais avant de quitter Montréal: je suis en pays étranger, étranger en pays étranger, venu ici pour vivre le Vietnam des Vietnamiens, alors ça commence maintenant...


Nous étions le 31 décembre 2011, douze heures en avance sur l'heure du Québec, en plein début de nuit, un taxi roulant dans les rues de Saïgon en direction de Cantavil, dans le District 2 et je me disais que chaque mètre franchi, chacun était nouveau, rempli de tellement de choses différentes, de bruits nouveaux, que mon réflexe fut de chercher le ciel pour voir si j'allais y retrouver les mêmes étoiles, la même lune que celle que je surveillais de mon balcon avant de m'envoler.

Ainsi commença mon voyage avec moi-même pour compagnon et m'ouvrant à tous ces autres qui allaient s'y greffer.

À suivre...

l'oiseau

  L'OISEAU Un oiseau de proie patrouille sous les nuages effilochés plane aux abords du vent  oscille parfois puis se reprend agitant so...