mardi 22 décembre 2020

Projet ÉCRITURE

     Mon frère Pierre, ma belle-soeur Claire Pelletier et moi-même, nous nous sommes lancé un défi ; un défi écriture. Il consiste à pondre un texte à partir d'un déclencheur qui peut être une image, une photographie, une phrase, un extrait de musique ou tout autre chose que l'un de nous propose à notre imagination. Aucune règle autre que celles auxquelles nous voulons bien nous astreindre.

Le premier projet " ÉCRITURE " part de cette oeuvre de  Sébastien Laval, photographe professionnel à Poitiers depuis 1993.

Voici ce que cela donne.





Et si Rodin…


Et si Rodin

En esquissant son dessin

Avait assis son penseur

Les ischions posés sur la culasse

Glacée d’un canon,

De quelles pensées

Son esprit aurait-il été saisi ?

 

Et si Rodin

Avait modelé la glaise

De son esquisse

Fin 2020

Et en avait vu le bronze hissé

Sur la bouche d’un canon,

Sa pensée aurait-elle hurlé :

Feu !

 

Aurait-il déploré :

Feux, feux… tous les feux !

Fous furieux

Infinie folie

Flammes, toutes les flammes

Déflagrations, explosions, détonations

Depuis le début des temps,

Depuis la première étincelle

Entre les doigts de l’homme

Feux, flammes, fours

Crépitant, rugissant, brûlant, étouffant,

Dévastation, ravages, saccages

Provoqués impunément

Mises à feu et à sang

Et morts

Incalculables morts

À petit feu

Ruines, innombrables ruines

Croisades enflammées

Insupportablement répétées

Par d’impitoyables pyromanes

De pouvoir repus

Feux, feux rampants, incendies,

Brasiers de coupes à blanc

Vents suffocants, tourbillons torrides, tornades funestes

Terres de cendres

Embrasements, émeutes, insurrections

Engouffrement aux portes de l’enfer

Et stupéfaction de la pensée !

 

Et si Rodin

Observant la silhouette

Songeuse sur la culasse refroidie d’un canon

Noyée dans cet embrasement d’afflictions,

Aurait-il alors été empoigné

Par une pure pitié ?

Aurait-il souhaité

Insuffler dans l’esprit de son penseur

Recueilli sur la culasse d’un canon

D’autres desseins

Que ceux de méditer l’immonde ?

Lui aurait-il instillé

Le dilemme de songer à d’autres feux ?

Le doux feu de la flamme

D’une bougie

À peine vacillante

S’élançant dans le silence de la paix

Le feu flamboyant

D’un soleil d’aube

S’étirant dans la beauté du monde

Le feu crépitant d’étincelles

Luisant au fond des prunelles

De regards aimés

Le feu qui réchauffe

Le feu qui rassemble

Le feu qui anime l’amour

Le feu

Feu !

 Et si Rodin…

(Claire, décembre 2020)




Après la guerre, la paix! Vraiment?


« Quand les hommes vivront-ils d’amour ? », semble se demander ce jeune asiatique, pensif et recueilli. Cet engin de guerre m’est en effet si spontanément rébarbatif que je projette probablement sur ce garçon ma répulsion. La maison basse en arrière-plan me fait penser à quelque campagne du sud-est asiatique, la seule région d’Asie que j’aie visiter hormis le Liban. Elle m’apparaît d’ailleurs tellement triste, ayant la même couleur que ce canon qui occupe outrageusement la plus grande partie de l’espace sur cette photo. Métal gris et béton terne, et même le kaki soldatesque du veston de ce jeune, rien qui ne vienne égayer l’atmosphère lugubre de cette méditation solitaire. Sauf peut-être le blanc de la chaussette? 

Quel titre donner à cette image?  Après la guerre, la paix. Vraiment?

Certainement pas celle de l’âme. Comme si le photographe avait voulu laisser le doute envahir son champ de vision.

Que reste-t-il en effet à la jeunesse, à cette génération post-cataclysmique ? Où est l’espoir? 

En regardant de nouveau cette image, je m’attarde cette fois au jeune homme. Pourquoi s’est-il hissé sur ce canon? Peut-être comme pour les chats, afin de voir le paysage d’un peu plus haut que sur le sol. Sa main sur son menton m’amène à y voir une attitude pensive, dépourvue de tout sentiment de regret ou de jugement en lien avec l’objet sur lequel il s’est assis. Et d’ailleurs, que représente ce canon pour lui? Un instrument de la libération de son pays de quelque envahisseur? Je vois que la couleur blanche de sa chaussette m’amène à voir cette photo de façon moins lugubre. Voici en effet que je vois le gazon vert, sous et autour de l’engin de métal. Comme si le gazon avait repoussé sur une terre brûlée, la nature reprenant ses droits au-delà et malgré les horreurs humaines. Bien sûr les vêtements du personnage rappellent ceux des soldats. Sûrement sont-ils des surplus réutilisés par la population pauvre, étant gratuits; cela leur redonne une deuxième vie au moment où justement la vie revient.

 Finalement, en conciliant ces deux dimensions de ma lecture de cette photo, tristesse de la guerre d’abord, puis espoir de la paix, je termine ce petit essai en pensant à l’œuvre magistrale de Tolstoï : Guerre et Paix, un roman qui « se veut une histoire vraie de la guerre patriotique de 1812 contre l'invasion napoléonienne, telle que l'a vécue la génération des parents du romancier. »

 Comme pour Tolstoï, le thème de la guerre m’amène à reconsidérer toute l’importance vitale de la vie qui bat, celle pour laquelle les générations précédentes se sont battues.


(Pierre, décembre 2020)



Il fait gris...

 

... si gris qu’aucune ombre n’escorte le vieil homme et l’enfant qui s’avancent dans ce champ de ruines. Un peu de vert soutient le jaune des herbes oscillant au gré d’un léger vent poussiéreux. 

- Grand-père, pourquoi m’amènes-tu ici ?

- Pour que tu puisses voir les cendres.

- Lesquelles ? Je ne vois qu’un canon.

- Les cendres sont des débris, comme des spectres mélancoliques, reprit le vieillard dont le regard terne s’attriste à chacun de ses pas boiteux.

 Les deux visiteurs s’avancent sur ce terrain stérile.

 - Tu connais cet endroit, grand-père ?

- Regarde le canon.

- On dirait une statue, répond le jeune garçon se précipitant vers l’arme de fer.

- On érige des statues après la guerre alors que les canons, eux, on les utilise lorsqu’elle sévit. Pour chaque chose existe un avant et un après subsiste.

- C’est quoi la guerre ?

- Des moments qui assombrissent les gens.

- Pourquoi fait-on la guerre, demande le jeune garçon s’assoyant sur la  morne carcasse.

- C’est lorsque les gens ne s’aiment plus.

- On ne la fera pas nous, n’est-ce-pas grand-père ?

 Le vieil homme cherche à fuir la grisaille du jour de laquelle quelque morosité remonte en lui. Il surveille son petit-fils. Les enfants d’après la guerre ne voient dans les canons silencieux que des statues, des bustes de plomb sans savoir qui les a abandonnés dans leur profond mutisme.

 - Prends-moi en photo ?

- Ça laissera un trace de plus, mon enfant, reprend l’homme taciturne.

 Quels souvenirs raniment ces silencieuses ruines, alors qu’au plus fort des combats les bruits de la guerre assourdissaient ce champ devenu stérile, l’immortalisant au milieu de ces épaves amères ?

 - Parle-moi de la guerre.

- Tu le souhaites vraiment, mon garçon ?

- Oui, car je ne sais pas pourquoi les gens ne s’aiment pas. Toi et moi nous nous aimons, alors on ne fait pas la guerre. Mais d’autres l’ont menée.

- Parfois il semble plus facile de haïr.

- Et quand on ne s’aime plus, on fait la guerre, c’est ce que tu veux dire, grand-père ?

 Le vieil homme se déplace, pose sa tête à l’embouchure du canon. Il passe une main veineuse sur la poussière qui s’y est déposée, puis, regardant le jeune garçon qui balaie les alentours d’un regard penaud, entreprend, après l’avoir pris en photo, de lui raconter, dans des mots pouvant l’atteindre, la brumaille de cette journée semblable à celles qu’il a vécues, ici, dans cette vétuste aire de bataille, revêtu de son uniforme kaki .

 - Il fait gris aujourd’hui, mon petit. Durant la guerre, tous les jours sont gris. Personne ne réussit à détacher ses yeux de cette morne couleur qui enveloppe tous vos membres. Même quand le soleil resplendit, que les champs sont verdoyants, c’est encore gris. Les hommes qui font la guerre ne savent pas toujours pourquoi ils enfournent dans la gueule des canons ces pièces d’artillerie dont le but est de tuer. La guerre, c’est tuer. Avant. Pour éviter d’être tué.

- Toi, tu n’es pas mort à la guerre.

- J’ai été privilégié.

- Tu as fait comment pour ne pas mourir ? Interroge le garçon qui, tout d’un coup, sans tout à fait comprendre, mesure l’étroite distance entre la vie et la mort ; entre le bleu et le gris.

 Le vieil homme, doucement, à pas lents et feutrés, glisse sa main de la bouche du canon jusqu’à l’extrémité du tube, s’approche de son petit-fils fièrement dressé tel un cavalier solitaire.

 - Tous les jours pouvaient être le dernier jour. Les camarades qui ont survécu à la veille se levaient ; certains allaient, dans le même gris qu’hier,  vers leur dernier repos ; plusieurs autres aussi dans des champs pareils à celui-ci Moi, à mon réveil, je pensais à ta grand-mère, tes parents, tes oncles et tes tantes, me disant que je devais absolument passer à travers les plombs qui tombaient comme une pluie rageuse. C’est l’espoir de les retrouver qui m’a permis de ne pas mourir. En fait, je ne savais pas comment faire pour mourir. Quand tu te poses cette question - comment fait-on pour ne pas mourir ? - tu mises sur la chance et risques qu’elle soit de ton côté.

 Le jeune garçon ne semble pas bien saisir les paroles de son grand-père qui s’appuie sur le silencieux engin de guerre. À califourchon sur cette arme de combat que le temps a rendu muette, il est difficile de percevoir dans ses yeux interrogateurs si vraiment il conçoit les mots du vieil homme.

 - Et nous nous cachions.

- Vous vous cachiez de la mort à l’ombre du canon.

- C’est un peu cela.

Et les deux, main dans la main, reprirent la route en silence dans ce gris amer ; un vieil homme boite plus qu’à son arrivée...


(Jean, décembre 2020)

lundi 14 décembre 2020

Humeur vietnamienne

 



On me pose souvent la question : est-ce que la fête de Noël est soulignée au Vietnam ? Afin d’y répondre, je vous propose ce texte de monsieur Hữu Ngọc, intitulé LA NOËL DES HANOÏENS publié en décembre 1992. Cet article fait un bref retour sur l'histoire du catholicisme au Vietnam.

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    L’on sait que la Noël fêtée depuis le IVe siècle avait adopté les pratiques païennes célébrant le solstice d’hiver. Depuis plus d’un demi-siècle, les “ païens “ de Hanoï ont adopté la Noël catholique. 

Chaque année, le soir du 24 décembre, la foule, venue même des faubourgs lointains malgré le froid en général rigoureux, envahit littéralement le parvis de la Cathédrale dédiée à Saint-Joseph et les alentours de cette église bâtie en 1886. C’est à qui mieux mieux de trouver une place à l’intérieur du temple pour la messe de minuit, je parle également et surtout des non catholiques. C’est aussi une occasion pour les jeunes gens de se pavaner en costume “ new fashion “ ou de faire connaissance, de flirter, ou simplement de “ faire les quatre cents coups “. 

Et dire qu’il y a un siècle et demi, tout Vietnamien se hasardant dans un milieu catholique était exposé aux pires sévices. Vraiment, l’Histoire a fait un bout de chemin. 

L’histoire du catholicisme au Vietnam est pleine de tourments, peut-être à cause de son “ péché originel “. 

Le XVIe siècle marqua le début de l’expansion coloniale européenne à l’échelle mondiale. La découverte de nouvelles terres en Asie y favorisa l’extension du Royaume du Christ. Malheureusement, l’évangélisation se confondit souvent avec l’entreprise coloniale. L’encyclique Roman Pontifex de 1855 consacra en fait la division des sphères de domination politique entre Espagnols et Portugais. Au Vietnam, les Dominicains et les Espagnols ont fait leur apparition au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle. Mais ce sont les Jésuites qui ont réussi à former vers 1650 un noyau de 30 000 fidèles. Les prêtres français des Missions Étrangères de Paris ont réussi cependant à évincer les prédicateurs portugais. L’un des missionnaires français, Alexandre de Rhodes, arriva en 1627 au village de Ba Làng à Thanh Hoa. Tandis qu’il semait la bonne parole aux paysans pêcheurs venus à la plage pour voir le bateau, le Seigneur Trinh Trang vint à passer. Il alla à sa rencontre, lui donna une montre et un livre de mathématiques. Il fut autorisé à prêcher et baptisa 200 personnes en deux mois. C’est ainsi que la catholicité a fait tache d’huile. 

Mais cette foi nouvelle heurta les croyances et coutumes indigènes. Régnant sans partage, elle interdisait le culte des ancêtres, la consommation des victuailles offertes en sacrifice et la polygamie, elle proclamait l’empire universel du Pape au détriment du roi vietnamien, Fils du Ciel. Le catholicisme, de ce fait, ne put pas devenir partie intégrante de l’organisme social vietnamien comme l’avait été le cas du bouddhisme et du confucianisme. Il fut interdit à plusieurs reprises. 

Les choses s’aggravèrent dans la deuxième moitié du XIXe siècle quand l’Église eut partie liée avec l’envahisseur français. L’administration coloniale et la hiérarchie catholique ont réussi à transformer la communauté catholique en faction hostile au reste de la nation, opposée au mouvement de libération nationale. Au cours des deux guerres d’Indochine, les colonialistes, anciens et nouveaux, surent tirer profit de cette situation ; typique fut le cas de Ngô Dinh Diêm. Cependant, des forces catholiques patriotiques ont combattu dans les rangs de la résistance, préparant la réintégration des catholiques dans le giron national à la fin de la guerre en 1975. Désormais, la Noël doit être la fête de la réconciliation nationale.


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l'oiseau

  L'OISEAU Un oiseau de proie patrouille sous les nuages effilochés plane aux abords du vent  oscille parfois puis se reprend agitant so...