- Pourquoi Jésa ? Dis-moi pourquoi ?
La mère et le fils, quand s’acharne le soleil à troubler les couleurs de la forêt - celle derrière leur maison au bout du rang - ils s’y aventurent accompagnés de leur fidèle compagnon Walden. Cet espace s’étend si loin aux yeux de Benjamin qui ne cesse de répéter « on va marcher jusqu’au bout du monde ».
Au début, alors que son fils se tenait à peine sur deux pieds, Jésabelle le transportait confortablement installé dans un porte-bébé - tikinagan - que Daniel s’était procuré chez une famille d’Oji-Cris installée dans les parages depuis très longtemps. Leurs ancêtres venus du Manitoba eurent beaucoup de difficultés à se faire accepter par les habitants du village. Sa femme devenue enceinte lui avait permis de se rendre chez cette famille avec qui il se reconnaissait certaines similitudes. Sans devenir intimes, un tissu affectif s’est graduellement tissé entre eux. Jésabelle adorait leur rendre visite et promit d’y revenir une fois le bébé arrivé - ce qu’elle fit d’ailleurs - Benjamin attaché dans le tikinagan.
Lorsque l’enfant fut capable de trottiner, main dans la main, mère et fils parcouraient de surprenantes distances, nouvelles à chacune de leurs randonnées. C’était l’heure des réflexions; elles fusaient à la vitesse de la lumière qui doucement déclinait. Un champignon au sol ou fixé à un arbre devenait un sujet à débattre entre eux. Un bruit, nouveau ou reconnu ? Selon les saisons, quelques petits fruits d’été à cueillir, comestibles ou non ? Le friselis des arbres se dépouillant de leurs feuilles. Une nouvelle piste animale sur la neige. Au printemps, le murmure du ruisseau servant de point de repère.
- Oui Benjamin, tu devras maintenant changer tes heures de sommeil.
- Qui va me remplacer la nuit auprès de la lune ? Des larmes coulaient de ses yeux. Une modification aussi importante pour l’enfant devant bientôt adopter une nouvelle routine, celle qui incombe à ceux dont l’âge oblige à fréquenter l’école, métamorphose apparaissant à Benjamin telle une difficile épreuve.
Lui, déjà grand de taille pour ses cinq ans, voyageait avec une âme solitaire et lunatique. Toutes ses nuits, depuis la naissance, il les avait passées en compagnie de la lune qu’il surnommait « ma perle fabuleuse » en référence au poème d'Alain Grandbois, L’Étoile pourpre, dans lequel il est écrit :
Qui veut embrasser dans sa joie
Toutes les feuilles de la forêt
Mon coeur était frais
Comme la perle fabuleuse.
Toutes ses nuits appariées de manière fusionnelle.
- Nous ferons la pirouette tout doucement, une nuit à la fois.
- Pourquoi l’école ? Ton ami Thoreau dit que ce n’est pas nécessaire.
La mère et le fils, quand s’acharne le soleil à troubler les couleurs de la forêt - celle derrière leur maison au bout du rang - ils s’y aventurent accompagnés de leur fidèle compagnon Walden. Cet espace s’étend si loin aux yeux de Benjamin qui ne cesse de répéter « on va marcher jusqu’au bout du monde ».
Au début, alors que son fils se tenait à peine sur deux pieds, Jésabelle le transportait confortablement installé dans un porte-bébé - tikinagan - que Daniel s’était procuré chez une famille d’Oji-Cris installée dans les parages depuis très longtemps. Leurs ancêtres venus du Manitoba eurent beaucoup de difficultés à se faire accepter par les habitants du village. Sa femme devenue enceinte lui avait permis de se rendre chez cette famille avec qui il se reconnaissait certaines similitudes. Sans devenir intimes, un tissu affectif s’est graduellement tissé entre eux. Jésabelle adorait leur rendre visite et promit d’y revenir une fois le bébé arrivé - ce qu’elle fit d’ailleurs - Benjamin attaché dans le tikinagan.
Lorsque l’enfant fut capable de trottiner, main dans la main, mère et fils parcouraient de surprenantes distances, nouvelles à chacune de leurs randonnées. C’était l’heure des réflexions; elles fusaient à la vitesse de la lumière qui doucement déclinait. Un champignon au sol ou fixé à un arbre devenait un sujet à débattre entre eux. Un bruit, nouveau ou reconnu ? Selon les saisons, quelques petits fruits d’été à cueillir, comestibles ou non ? Le friselis des arbres se dépouillant de leurs feuilles. Une nouvelle piste animale sur la neige. Au printemps, le murmure du ruisseau servant de point de repère.
- Oui Benjamin, tu devras maintenant changer tes heures de sommeil.
- Qui va me remplacer la nuit auprès de la lune ? Des larmes coulaient de ses yeux. Une modification aussi importante pour l’enfant devant bientôt adopter une nouvelle routine, celle qui incombe à ceux dont l’âge oblige à fréquenter l’école, métamorphose apparaissant à Benjamin telle une difficile épreuve.
Lui, déjà grand de taille pour ses cinq ans, voyageait avec une âme solitaire et lunatique. Toutes ses nuits, depuis la naissance, il les avait passées en compagnie de la lune qu’il surnommait « ma perle fabuleuse » en référence au poème d'Alain Grandbois, L’Étoile pourpre, dans lequel il est écrit :
Qui veut embrasser dans sa joie
Toutes les feuilles de la forêt
Mon coeur était frais
Comme la perle fabuleuse.
Toutes ses nuits appariées de manière fusionnelle.
- Nous ferons la pirouette tout doucement, une nuit à la fois.
- Pourquoi l’école ? Ton ami Thoreau dit que ce n’est pas nécessaire.
Le sérieux de Benjamin ravissait sa mère, la plaçant toutefois devant une situation où elle craignait perdre toute cohérence. Il n’était surtout pas question pour elle d’apposer le blâme sur les épaules de Daniel et comme, depuis toujours, son fils recevait de ses parents l’absolue vérité, sans détours et sans ambages, Jésabelle le raisonna, imputant la cause au fait qu’à titre de parents ayant choisi de vivre en société, ils se devaient d’en assumer les répercussions.
Le fils ne la regardait plus déjà, ses yeux cherchant au-delà des branches touffues des arbres, à travers les nuages d’un juillet torride, il cherchait la lune à rejoindre, cette complice de ses nuits avec qui, installé sur le balcon à l’arrière de la maison, il partageait une large partie de sa vie. Devant l'évidence de ne plus l’apercevoir, bientôt, qu’une fraction de soirée, il se devrait d’élaborer un nouveau langage afin de cultiver leur lien.
- Je peux te demander quelque chose Jésa ?
- Vas-y.
- Les poèmes d'Alain Grandbois ne me suffisent plus. Les ai tous lus à ma «perle fabuleuse», il me faut maintenant de nouveaux poètes.
- Je comprends. Tu pourrais aussi écrire des poèmes, ça installerait un pont entre elle et toi. À lire s’ajouterait l’écrire.
C’est dans un profond silence que le retour vers la maison s’effectua. On serait porté à croire que chez l’une et chez l’autre, une rigoureuse réflexion les menait à creuser l’intérieur d’eux-mêmes pour y trouver des pistes permettant de mieux dompter ce que la rentrée scolaire modifierait inévitablement dans leur vie. Jésabelle, serrant la main de son fils, ne pouvait s’empêcher de croire qu’une vie nouvelle se pointerait le nez d’ici quelques semaines alors que son ventre prenait de plus en plus d’ampleur.
- C’est à mon tour de t'annoncer quelque chose Benjamin. Le fiston s’arrêta net craignant ce que sa mère allait rajouter. Il la dévisageait comme rarement il se fit.
Le fils ne la regardait plus déjà, ses yeux cherchant au-delà des branches touffues des arbres, à travers les nuages d’un juillet torride, il cherchait la lune à rejoindre, cette complice de ses nuits avec qui, installé sur le balcon à l’arrière de la maison, il partageait une large partie de sa vie. Devant l'évidence de ne plus l’apercevoir, bientôt, qu’une fraction de soirée, il se devrait d’élaborer un nouveau langage afin de cultiver leur lien.
- Je peux te demander quelque chose Jésa ?
- Vas-y.
- Les poèmes d'Alain Grandbois ne me suffisent plus. Les ai tous lus à ma «perle fabuleuse», il me faut maintenant de nouveaux poètes.
- Je comprends. Tu pourrais aussi écrire des poèmes, ça installerait un pont entre elle et toi. À lire s’ajouterait l’écrire.
C’est dans un profond silence que le retour vers la maison s’effectua. On serait porté à croire que chez l’une et chez l’autre, une rigoureuse réflexion les menait à creuser l’intérieur d’eux-mêmes pour y trouver des pistes permettant de mieux dompter ce que la rentrée scolaire modifierait inévitablement dans leur vie. Jésabelle, serrant la main de son fils, ne pouvait s’empêcher de croire qu’une vie nouvelle se pointerait le nez d’ici quelques semaines alors que son ventre prenait de plus en plus d’ampleur.
- C’est à mon tour de t'annoncer quelque chose Benjamin. Le fiston s’arrêta net craignant ce que sa mère allait rajouter. Il la dévisageait comme rarement il se fit.
- Oui Jésa, j’écoute.
- Je suis à faire un nouvel enfant.
- Je suis à faire un nouvel enfant.
Leurs sourires se rejoignirent. Il sembla que cette révélation adoucissait l'autre, celle qui avait installé entre eux un malaise difficile à cacher.
**********
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Il existe une norme dans cette maison qui, en saison torride, s’emplit de chaleur parfois suffocante et d’une humidité furtivement campée, l’habitude de laisser courir un petit vent sourcilleux traînant avec lui des odeurs provenant du jardin fleuri et du potager sauvage; coutume devenue un rite quotidien. Les autres périodes de l'année n’y échappent pas non plus, Daniel répétant sans cesse qu'aérer une demeure c’est permettre aux énergies bienfaisantes d’y entrer, celles qui sont du carburant nourrissant le bonheur et chassant les mauvais esprits. Il copiait, disait-il, les mots appris chez leurs amis Ojis-Cris. Une autre, aussi cardinale, celle de se réunir autour de la table de cuisine pour manger ensemble. Déjà Benjamin avait choisi sa place, celle qui donnait sur une large fenêtre d’où profile la terrasse à l’arrière de la maison, là où après le repas du soir, la marche dans la courte forêt, il nichait pour la nuit. Sa mère, dès sa naissance, l’y plaça pour qu’il puisse respirer l’air pur de ce calme environnement. Elle l’allaitait, le berçait, le massait sous cet abri que Daniel avait construit, leur permettant d’y demeurer tout le jour et toute la nuit sans qu’aucune intempérie ne puisse les gêner. Né quelques jours avant le début du printemps, leur fils aura passé à l'extérieur la majorité des cinq premières années de sa vie. On entrait pour les repas puis on retournait dehors. Voici certainement l'explication au fait qu’il n’ait souffert d’aucune maladie, d’aucune complication de santé, que son teint soit toujours aussi bienséant, ce qui se reflétait sur son humeur éthérée et cette quiétude manifestée dans ses gestes, ses attitudes et ses paroles. Il adore écouter : la voix de ses parents lui sont un confortable refuge; la musique choisie par sa mère variant selon les différentes heures du jour et de la nuit, musique qui l’incite à une forme de méditation hospitalière; les sons diversifiés de l’environnement autant végétal qu’animal; les caprices du vent, sans oublier la voix des poètes.
Benjamin, c’est l’image pastiche de son père Daniel. Mêmes yeux, même chevelure ébouriffée, même démarche oscillant entre indolence et assurance.
Benjamin, c’est la copie conforme du caractère de sa mère Jésabelle. Même sensibilité à fleur de peau, même compassion pour tout ce qui l’entoure, même douceur d’âme.
Cet enfant est entré dans le monde par une porte grande ouverte, dans un monde aérien et lunaire, un monde débarrassé des croûtes incongrues qui enfermaient ses parents jusqu’au moment où, faisant éclater de vieux concepts, adoptant de nouvelles valeurs, ils décidèrent que la vie valait mieux que tous les oukases, ordres et codes qui leur avaient été martelés dans le cerveau. Benjamin allait vivre librement, respectueux de lui-même ainsi que de tout environnement dans lequel ou lesquels il évoluerait. Et il parlerait, même si c’était en silence. Après tout la lune ne répondait jamais à ses babillages, aux poèmes qu’il lui lisait avec le net sentiment que tout lui parvenait quand même.
Daniel, assis sur les marches de la terrasse derrière la maison du bout du rang, les attendait. Écoutant la musique de Borodin, il leur sourit lorsqu’ils franchirent cet arche broussailleux séparant la maison de la forêt.
Benjamin, c’est l’image pastiche de son père Daniel. Mêmes yeux, même chevelure ébouriffée, même démarche oscillant entre indolence et assurance.
Benjamin, c’est la copie conforme du caractère de sa mère Jésabelle. Même sensibilité à fleur de peau, même compassion pour tout ce qui l’entoure, même douceur d’âme.
Cet enfant est entré dans le monde par une porte grande ouverte, dans un monde aérien et lunaire, un monde débarrassé des croûtes incongrues qui enfermaient ses parents jusqu’au moment où, faisant éclater de vieux concepts, adoptant de nouvelles valeurs, ils décidèrent que la vie valait mieux que tous les oukases, ordres et codes qui leur avaient été martelés dans le cerveau. Benjamin allait vivre librement, respectueux de lui-même ainsi que de tout environnement dans lequel ou lesquels il évoluerait. Et il parlerait, même si c’était en silence. Après tout la lune ne répondait jamais à ses babillages, aux poèmes qu’il lui lisait avec le net sentiment que tout lui parvenait quand même.
Daniel, assis sur les marches de la terrasse derrière la maison du bout du rang, les attendait. Écoutant la musique de Borodin, il leur sourit lorsqu’ils franchirent cet arche broussailleux séparant la maison de la forêt.
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