Riverside
en réponse à la question posée
l’enfant dit
«un oiseau» Un oiseau?
«bleu, léger comme le vent, rapide» Le vent?
«j’irai haut, poussé par le vent,
plus haut encore que les tours de Saïgon,
l’œil globuleux du crapaud
me perdra de vue, devenu
minuscule point noir, mobile, furtif»
en réponse à la question posée
l’enfant dit
«serai espèce en voie de disparaître,
rayée déjà des encyclopédies» Rayée?
«grandes rayures bleues sur ailes bleues
cerf-volant grattant les nuages de Saïgon
par un samedi gris, chaud, humide»
en réponse à la question posée
l’enfant dit
«tout comme l’aigle flottant au-dessus de
l’embuscade des nuages
entre bleu-mer et bleu-air je courrai
me perdrai dans un bol de riz
tête penchée telle une souffrance épuisée
provenant d’un dragon aérien»
«serai oiseau-aigle mêlé aux odeurs d’épices
qui étourdiront les pistes derrière moi
oiseau rapide comme vent de tempête,
lent comme bouquet d’algues se dandinant
sur la rivière Saïgon»
en réponse à la question posée
l’enfant dit
«oiseau migrateur transportant pollens d’ailleurs, poivre des îles,
créateur de nouvelles fleurs
de nouvelles couleurs
suivre les rivières qui rêvent du Mékong
après s’être aventurées sur le fleuve Rouge
la rivière des Pafums
suivre aveuglément le protecteur
des libellules pour se perdre dans la mer de Chine»
en réponse à la question posée
l’enfant dit
«esquisserai la forme des dragons impériaux de Hué jusqu’au-dessus des tours miniatures
de Hanoï
comme un oiseau-palmier, je me faufilerai,
fleur jaune au cœur rouge
rouge comme le sang sur le sable du Vietnam
envahissant les neuf bras du Mékong»
et
en réponse à la question posée
enfant je dirai
«enfant-oiseau
au bout du monde
il y a un chemin menant à la disparition des voies...
des rivières... des fleuves... des deltas... des mers...
et au bout... tout au bout…
un grand ciel ouvert
qu’un crapaud regarde… »
20 mai 2012
chaleur
la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau
au loin, la tour perce les nuages
les motos-fantômes
- l’une derrière l’autre -
composent une piste de chandelles
rythment entre les flaques liquides
une drôle de farandole
sur laquelle, dans un vent de nuit,
glissent les chauves-souris
la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau
partout, la chaleur vit, ici et là
sous un arbre, un banc oublié
sur les gerçures humides du vendeur de fruits
les yeux secs de la femme-palanche
celle qui colporte sa croix quotidienne
les pieds noirs des enfants cerfs-volants
la chaleur vit partout, omniprésente
dans les bruits secs, craquants du matin torride
la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau
au loin, la rivière-serpent sous les ponts
laisse derrière et à côté d’elle
comme autant de vestiges maritimes
les résidus spumeux des sables lointains
rouges encore du sang des immolés
brûlés par la chaleur des siècles
qui, pour mille et une raisons impunies,
rappliquent tel un ressac de feu
la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau
partout tendues, des mains calcinées
cherchent le ruissellement des gouttes de pluie
fuient la sécheresse des feuilles illuminées de fruits
se joignent à l’ombre avariée des libellules en fuite
alors qu’au bout des doigts tintent les baguettes de bois
dans des bols d’étain qu’une jeune fille récure
fixant par-dessus les paniers de crevettes
un regard d’osier, d’avenirs jaunes et chauds
la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau
au loin et partout, plus loin encore que le bruit du soleil
au cœur, au centre des fournaises humaines
dans un silence qui fond sous la paresse du matin
la pluie comme de la sueur de chaleur
se répand à midi elle s’étendra par-delà la sieste
fera craquer les peaux ouvertes et alanguies
dans sa poursuite des autels du repentir
pour retrouver un dragon noyé dans la mer
la terre, dans sa mémoire d’arbre,
retient le vert d’avant la pluie
la chaleur d’avant l’eau
21 juin 2012
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