dimanche 16 novembre 2025

Lettre codée d'un prisonnier

    Au hasard d'une de mes promenades quotidiennes dans les rues de Saïgon  - un dimanche par hasard - le hasard lui-même fonça sur moi par l'intermédiaire d'une boule en papier chiffonnée sur laquelle, par hasard, je posai un pied. Comme le hasard fait bien les choses, me penchant pour la récupérer, je découvre une missive adressée à un piéton inconnu qui déambulerait sur ce trottoir interdit - on ne peut s'aventurer devant une caserne militaire, une prison de droit commun, tout cela à la grandeur du Vietnam. Je la dissimulai tout de go dans la poche arrière de mon pantalon, scrutant minutieusement les alentours afin de m'assurer que je ne venais pas de commettre l'irréparable, traversai sournoisement la rue, me dirigeai d'un pas très dominical vers mon appartement.

Comme par hasard, le billet froissé dévoilait son contenu en français. En français codé. Je veux dire par là que certains mots - possiblement choisis au hasard - présentaient une graphie incorrecte ou un sens sybillin. 

Le texte n'est pas complet, sans doute dû au fait qu'on venait peut-être de découvrir son existence et qu'il fallut à son auteur agir précipitamment, c'est-à-dire le projetter à l'extérieur de cet enclos humain espérant que le hasard permit qu'il fût recouvré par une quelconque âme jouissant de son entière liberté.

Je ne vous fais pas attendre davantage, le voici dans son entièreté souhaitant que vous puissiez le décoder à votre tour.

    
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Cher piéton inconnu,

Je prends tout mon courage pour t'écrire du fond de ma cellule surchauffée de la prison commune de Saïgon, section de ceuzes qui ont chié sur les lois communisses.

Fa ben chô!

Je manque d'air conditionné et ma condition à l'air pas mal conditionnée au bon vouloir de mes bourreaux qui s'amusent à me crier des noms... J'm'en kriss, je comprends pas…

La fouille à laquelle j'ai dû "librement" me soumettre lors de mon arrivée n'a pas été de tout repos... Une chance, mes bobettes étaient propettes... pas question d'avoir honte icitte ! Faut surtout demeurer digne en toute circonstance.

Ma cellule, la 00-88-0-8 - non non cé pas le numéro de ma carte de crédit avec pas de points au boutte d'la ligne - doit certainement faire 2 mètres carrés, je l'arpente cé pas trop long, n'ayant rien d'autre à souhaiter que le prochain repas sera différent de ce riz guelluant servi dans une espèce de mangeoire qui a dû servir avant à kekun d'autre. Hop! Une swouigne de braoule pis mange mon cochon. Sans oublier de dire merci à c't'espèce de gardien avec même pas de bananes sué épaules... Y doué être nouveau dans la baraque.

J'ai immédiatement choisi de vivre de nuite... comme ça les journées seront moins longues…

Personne ne viendra me voir dimanche prochain, m'apportant de bien belles oranges vartes. Mais j'm'en kriss, j'aillis les oranges vartes. Seulement de savoir que les autres prisonniers, mes braillards de ouèzins, sortiront de leur cage à poule avec des plumes sans doute aussi reluisantes que celle de ToToTe pour se rendre, boulets aux pieds et face de beu, vers la salle des visites, ça me câlisse un ti cafard... Cafards qui, d'ailleurs, sont mes seuls compagnons solidaires de solitude. Mieux que des rats antéka.

Je passe mes nuites à chercher l'air que j’me mettrai dans face quand j'aurai à affronter le juge saisi de ma côse - si jamais elle réussit à franchir le dédale des délais délirants des détectives disciplinés, délétères et diaboliques.

Ça remplit mes pensées, mais y'm reste assez de temps pour souffrir dans un silence exemplaire et me remémorer les doux moments de liberté chèrement acquise au fil du temps.

Parlant de temps... Combien de semaines, de mois, d'années ajouteront-ils à l'affront que je subis maintenant ? Pôvre petit moa qui voulait juste dire toute mon affection au peuple vietnamien.

Lors de mon premier interrogatoire, craignant la menace de la torture, j'ai déballé mon sac dans un anglais châtié. Je voyais dans le regard du type qui suait à grosses gouttes derrière le bureau - mais pas autant que moa - que tout ça lui passait par-dessus son casse vert kaki. Il écrivait - j'sais pas trop quoi - sur une feuille tirée d'une grande liasse de feuilles 8 et 1 /2 par 14, des mots qui devraient servir, sans doute, à prouver ma culpabilité et réclamer comme un genre de peine capitale avec exécution immédiate.

J'te parle de cet interrogatoire, mais il y en a eu ben d'autres... plus corsés, si cela puisse être possible.

Nous sommes dimanche.. Je suis ici depuis il y a deux vendredis... donc plus de 15 jours que je végète comme un fruit défendu ne sachant pas mûrir...  Sais pas encore quand on m'ordonnera de porter le costume de prisonnier dont j'aillis la couleur, une sorte de vert élimé tirant sur le lime verdâtre qui sera certainement beaucoup trop petit  puisqu'il fit parfa pour le vietnamien criminel moyen.        

3 interrogatoires par jour que je résumerais de cette manière : 1iere catégorie, me rappeler mon arrivée dans un ben bô camion à salade qui laissa pantois mes ouèzins immédiats, et reprise en notes de mes identifiants - on veut sans doute vérifier si je suis toujours le même homme ;  2ième catégorie, celles du matin, l'épreuve de la langue, ça veut dire qu'un habit vert kaki avec ou pas de bananes me pose, en vietnamien, des questions que je commence pas mal à reconnaître sans en comprendre toujours le sens et comme je ne réponds pas ou simplement répète ne pas m'exprimer dans sa langue, mon attitude non collaboratrice doit certainement être vue comme un affront à l'autorité, un manque évident d'intelligence pratique ou encore une défiance au système pénitenciaire ; la 3ième catégorie, la plus pénible, celle qui me joue sur les nerfs comme s'il s'agissait du supplice de la goutte d'eau s'effouèrant en plein milieu du front à chaque 10 secondes, me laisser poireauter à la porte du bureau d'interrogatoire, debout au bout d'un couloir où la température bat tous les records de chaleur au monde... Je


Ça s'arrête là. J'ai beau consulter le journal officiel de Saïgon, rien ne relate ce cas. J'en déduis qu'il s'agit d'une lettre jetée par la fenêtre de la prison commune cherchant à rejoindre la mer. 



Lettre codée d'un prisonnier

     Au hasard d'une de mes promenades quotidiennes dans les rues de Saïgon  - un dimanche par hasard - le hasard lui-même fonça sur moi...