dimanche 5 octobre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 12





La promesse faite à Benjamin, celle d’assister à la venue au monde de son frère, il en parla dès le lendemain dans le bus scolaire le menant ainsi que Chelle vers l’école.
 
- Toi, sais-tu quand ta maman doit mettre au monde ta sœur ?
- Papa m’a dit que ça serait à la nouvelle lune.
- Elle en fait des choses ma perle fabuleuse.
- Oh! Oui. Quand elle sera apparue dix fois, toute pleine, ça voudra dire que maman videra son ventre. Mais moi je n’y serai pas. Elle ira à l’hôpital des Blancs comme le disait ma grand-mère qui est maintenant partie chez ses frères et sœurs en Ontario.
- Une grand-mère ! Chanceuse, la mienne, celle qui est la maman de Daniel est morte et la deuxième, celle de Jésabelle, je ne la connais pas. Ne l’ai jamais vue.
- Peut-être que les traditions qui nous viennent des ancêtres, c’est plus important pour nous que pour vous.
- Peut-être, répondit le garçon, les yeux balayant le vague qui défilait devant lui.
- Tu sais comment les bébés entrent dans le ventre des mamans, demanda Chelle qui interrompit la rêverie de Benjamin.
- Je ne sais pas comment ils entrent mais je vais voir comment ils sortent.
- Si moi je suis chanceuse d’avoir une grand-mère, toi tu es chanceux de pouvoir être là quand ton frère arrivera.
- Je vais demander à Jésabelle comment elle a fait pour qu’un bébé pousse en elle.
- Tu me diras ?
- Promis.
 
La cour d’école, de plus en plus, enlevait ses habits d’hiver. Les bandes qui servaient pour les activités sportives seront ôtées puis repeintes bientôt, quand Monsieur le maire et le président de la commission scolaire auront assez de bras pour soutenir le travail de Nicéphore Cloutier, l’unique employé des services municipaux.
 
Le bus retardataire déposa les deux enfants des rangs éloignés, ceux qui sont, on le sait, sans entretien en toute saison. La surveillante les accueillit avec un sourire de circonstance, difficile à dire s’il provenait d’elle ou des attibuts de sa charge de travail.
- Allez, allez, Abigaelle vous attend. N’oubliez pas de nettoyer vos pieds avant d’entrer, madame la directrice ne veut pas que son école se salisse.
 
À ces mots, le fauteuil roulant de madame Saint-Gelais s’avance vers l’entrée. Elle les dévisage sans sourire et sans les saluer :
- Encore en retard ce matin, dit-elle d’une voix plus nasale qu’à l’habitude     Chelle lui répondit du tac au tac :
- Ce n’est pas nous qui sommes au volant du bus. Parlez plutôt à monsieur Clotaire.
- La petite sauvageonne devient arrogante et impolie, en plus.
 
Au même moment, Abigalle sortait de son local et leur lança :
- Venez les amis, j’attendais que vous soyez avec nous pour lancer la journée     Puis s’adressant à sa supérieure, l’avertit qu’elle aurait à s’entretenir avec elle en fin de journée. N’écoutant pas la réplique, elle se dirigea, encadrée par les deux enfants près de leur casier dans lequel ils déposèrent leurs effets.
 
Benjamin avait un message pour elle, il lui remit le bout de papier qui le contenait. Après l’avoir lu, elle le remercia et dit qu’elle y donnerait suite.
 
L’enseignante avait pour habitude, à chaque début de journée, de rassembler ses élèves en cercle autour d’elle qui, de plus en plus au fil des mois, se resserrait, afin de discuter d’un sujet différent à chacune des occasions. Ce matin, le groupe allait jaser du printemps, de ce qu’il représentait pour chacun d’eux. Elle savait qu’en définissant un peu trop le thème cela risquait de leur induire des idées. Elle se plaisait à nommer «philosophie» ce moment matinal lui permettant de mieux saisir ce qui trottait dans la tête de ses protégés.

Lorsqu’elle installa l'activité en janvier dernier, Abigaelle savait que ça deviendrait, avec le temps, un espace de bouillonnement d'idées. Disciple de Piaget, le cercle serait une occasion de développer le langage sachant qu’à cet âge l’enfant peut penser à ses gestes sans avoir besoin de les réaliser dans la réalité et cela immédiatement. Toujours égocentrique, ayant du mal à comprendre que d’autres puissent ne pas avoir les mêmes pensées que lui, le grand pédagogue croit que l’enfant est en mesure de mettre en place certaines théories de l’esprit.
 
Abigaelle, lors de la première rencontre avec les parents des enfants à la fin du mois de septembre n’avait pas jugé bon de leur présenter cet élément d’apprentissage, consciente qu’à ce moment-là leur intérêt tournait principalement autour de l’adaptation à une nouvelle vie, à leur sécurité et leur bien-être. Janvier lui apparût le moment idéal surtout que le premier cercle avait pour thématique les vacances de Noël et le Jour de l’An. Et ce fut un succès. Tout comme les petits changements apportés à la routine quotidienne, le fait de diminuer sensiblement le temps prescrit pour la sieste d’après-midi, les habituer à laisser leur local d’une propreté impeccable afin de donner un coup de main à Monsieur le concierge. Celui-ci, d’ailleurs, entra dans le jeu et lança une compétition à travers l’ensemble des classes de l’école, récompensant d’un trophée qu’il appelait le «balai d’or» remis au groupe qui laisserait à leur départ un local irréprochable. Ce qui lui valut de la part de Madame Saint-Gelais une réprimande :   C’est votre tâche, non pas celle des élèves.    Elle eut un mouvement de recul lorsqu’il répondit que l’idée lui avait été suggérée par l’enseignante du pré-scolaire. 

 
- Je vous rappelle les règles du jeu. Si tu parles c’est que tu veux qu’on t’écoute, alors tu écoutes quand un ami parle. Tu lèves ton doigt et je te dirai quand viendra ton tour de prendre la parole. Aujourd’hui, c’est le printemps.

Elle leur demanda de fermer les yeux quelques courts instants, puis l’activité démarra.
 
- Patrick, c’est à toi de parler.
- Moi le printemps…
- Excuse mon garçon, tu as oublié de me remercier pour t’avoir donné la parole et invité les amis à t’écouter. Reprends.
- Merci Abigaelle et je vous invite à écouter ce que j'ai à dire. Le printemps, pour moi, c’est…
 
Et le fils de Monsieur le maire s’élança à la manière d’un candidat à un poste électoral, présentant sa perception de la nouvelle saison comme une occasion de se réunir pour rendre le village plus propre que jamais.
 
- Merci Patrick, ton propos était vraiment intéressant, n’est-ce pas les amis ? Tous hochèrent de la tête, attendant que la parole soit attribuée à quelqu’un d’autre ayant manifesté son intérêt en levant le doigt.     Chelle, c’est à toi de nous présenter ta vision sur la nouvelle saison.
- Merci Abigaelle et les amis je suis heureuse de savoir que vous allez m’écouter. Le printemps c’est deux choses pour moi. La première c’est que bientôt, peut-être même cette semaine, je vais recevoir un beau cadeau de ma mère. Oui, une petite soeur à qui on n’a pas encore trouvé de nom. Je ne la connais pas mais souvent, le soir avant d’aller dans ma chambre pour dormir, je lui parle en collant ma bouche sur le ventre gonflé de maman. Parfois elle donne de petits coups à l’intérieur, je crois qu’elle veut me dire «allo». La deuxième, c’est mon père qui m’a dit que maintenant je suis capable de mieux parler une nouvelle langue, celle de Abigaelle. Il m'a dit que c'est comme une nouvelle saison. Merci Abigaelle, tu m’as beaucoup aidée à apprendre ta langue et celle de mes amis ici dans la classe pré-scolaire. Vous avez été gentils, pas tous, pas tout le temps, de ne pas trop rire de mes erreurs, maintenant, comme le dit papa, je parle comme si je sortais de l'hiver pour entrer dans le printemps, mais que je dois aussi garder ma langue ojibwée bien présente en moi.
 
Pour une rare fois depuis le début de l’année scolaire, les autres élèves de la classe de Chelle l’applaudirent. 
 
- Maintenant à toi Benjamin.



Si Nathan avait su... (Partie 2) - 13

  Benjamin préfère lire à parler. Écouter également. Lorsque Chelle, accompagnée de sa mère, en janvier dernier alors que Don partit pour l’...