La distance entre Sault-Sainte-Marie (Ontario) et Montréal (Québec) est de 982km. La durée de conduite estimée pour le trajet est de 12h 6min et la route principale pour cet itinéraire est la route 17. Il faut ajouter 100km puisque le voyageur et sa mère partent du village des Saints-Innocents. Une première halte, Ottawa, une seconde à Sudbury avant d’arriver sur l’Île Whitefish, lieu où se retrouve la famille de l’ancêtre qui, installée à l’arrière de la camionnette se sera immédiatement endormie dès la sortie du village pour ne se réveiller que lors des différents arrêts.
Don ne s’attendait pas à ce qu’une longue conversation soit entretenue tout au long du périple. Sa mère, muette.
- Tu n’as besoin que de quelques morceaux de linge, lui avait-il dit au départ.
Catégoriquement, elle refusa de saluer sa bru, qu’un rapide mouvement de l’oeil pour sa petite-fille Chelle, droite à côté de sa mère lui tenant la main. La camionnette disparut sur la route enneigée du rang sans rien… alors que Ojibwée, bizarrement, ne bougea pas d’un poil de son poste de garde près du tipi.
Très loin dans la mémoire de Don que ce trajet qu’il fit pour une première fois alors âgé de six ans, au début de la Secondaire Guerre mondiale quand son père quitta la réserve ontarienne pour éviter d’être enrôlé dans l’armée canadienne puis déporté vers l’Europe afin de servir sous les drapeaux britannique et canadien. Son frère Gord, le plus âgé des deux, ne pouvait pas bien saisir ce que signifiait la conscription. Leur statut d’autochtone, selon le paternel, ne lui semblait pas suffisamment sécuritaire pour éviter les répercussions de la loi de juillet 1942 modifiant les exigences du service militaire.
Gordon choisit le Québec, lieu où la résistance à cette initiative du gouvernement fédéral s’avérait importante. Une fois installée à près de 100km de Montréal, penaude, attendant que la situation se calme et que la guerre s’achève, c’est illégalement que la famille ojie-crie vécut à la manière ojibwée en sol québécois. Une seule résistance, de taille et toujours omniprésente, celle de l’épouse de Gordon, mère de Gord et Don.
Quitter sa famille signifiait pour elle la trahir, renier les traditions de la nation ojie-crie, abandonner le combat, se replier, baisser les bras. Semble-t-il que tout le trajet de l’Île Whitefish jusqu’au village des Saints-Innocents, elle l’aurait occupé à maintenir un silence total, évitant de soutenir son regard sur la route qui défilait derrière elle, sur celle qu’avalait la camionnette.
Gordon, avant de choisir l’endroit définitif où il allait monter son tipi pour y installer sa famille, s’était renseigné sur celui qui lui permettrait de pratiquer l’acériculture. Le village des Saints-Innocents s’avéra idéal en raison de la présence d’érables à sucre et d’un certain éloignement des grandes villes.
L’atmosphère régnant à l’époque de cette guerre favorisait le repliement sur soi, on évitait à tout prix de soulever de nouvelles problématiques et, d’une certaine manière, chacun cherchait à se protéger en se mêlant de ses affaires. Aucun intérêt à commenter ce qui se passait ailleurs dans le monde, là où les conflits sévissaient, craignant que cela n'attire le malheur vers eux. De sorte qu'il fallut un certain temps, quelques années après 1945, pour que la présence de la famille ojie-crie devienne un sujet de conversation, puis… d’inquiétude.
Gordon choisit le Québec, lieu où la résistance à cette initiative du gouvernement fédéral s’avérait importante. Une fois installée à près de 100km de Montréal, penaude, attendant que la situation se calme et que la guerre s’achève, c’est illégalement que la famille ojie-crie vécut à la manière ojibwée en sol québécois. Une seule résistance, de taille et toujours omniprésente, celle de l’épouse de Gordon, mère de Gord et Don.
Quitter sa famille signifiait pour elle la trahir, renier les traditions de la nation ojie-crie, abandonner le combat, se replier, baisser les bras. Semble-t-il que tout le trajet de l’Île Whitefish jusqu’au village des Saints-Innocents, elle l’aurait occupé à maintenir un silence total, évitant de soutenir son regard sur la route qui défilait derrière elle, sur celle qu’avalait la camionnette.
Gordon, avant de choisir l’endroit définitif où il allait monter son tipi pour y installer sa famille, s’était renseigné sur celui qui lui permettrait de pratiquer l’acériculture. Le village des Saints-Innocents s’avéra idéal en raison de la présence d’érables à sucre et d’un certain éloignement des grandes villes.
L’atmosphère régnant à l’époque de cette guerre favorisait le repliement sur soi, on évitait à tout prix de soulever de nouvelles problématiques et, d’une certaine manière, chacun cherchait à se protéger en se mêlant de ses affaires. Aucun intérêt à commenter ce qui se passait ailleurs dans le monde, là où les conflits sévissaient, craignant que cela n'attire le malheur vers eux. De sorte qu'il fallut un certain temps, quelques années après 1945, pour que la présence de la famille ojie-crie devienne un sujet de conversation, puis… d’inquiétude.
La majeure partie du trajet s’effectue en Ontario, ce qui permit à Don de constater à quel point l’entretien des routes diffère et de beaucoup avec celui du Québec, sans parler de celui du rang au bout duquel sa maison est installée.
Il ne neigeait pas. Ne ventait pas. Plus on avançait, plus le silence à l’intérieur de l’habitacle de la camionnette de Don prenait les allures d'un pèlerinage. Il ne voulait absolument pas établir un plan précis pour cet important déplacement. Dans les faits, ça ne pouvait se résumer qu’à bien peu de choses. D’abord, identifier la famille qui avait fabriqué la flèche meurtrière pour l’ours et le coyote. S’informer sur des déplacements récents d’un membre de cette famille vers le village des Saints-Innocents. De ces deux informations, si elles s’avéraient exactes et vérifiables, il espérait être en mesure d’établir des liens entre sa mère, l’ancêtre, et sa possible participation à l’affaire, hypothèse qu’il avait émise en retrouvant la fameuse flèche perdue et retrouvée. Absolument impossible pour sa mère d’avoir eu des contacts directs avec l’Ontario, alors, s’ils s’étaient produits, comment cela fut-il possible ? Elle n’a pas bougé de la maison. Aucune missive ne leur parvient n’ayant pas d’adresse postale. La ligne téléphonique est toujours en attente et risque de l’être encore pour un long moment.
Lorsque la camionnette entra dans la réserve ojie-crie, la surprise fut totale. Chacun et chacune cherchant à reconnaître l’un ou l’autre des deux passagers qui en descendirent, manifestant une évidente fatigue.
Les premiers à se rendre vers eux furent le beau-père et la belle-mère de Don, croyant que leur fille allait se présenter pour son voyage annuel sur l’île. Non. Une vieille femme demeurait stoïque à l’arrière du véhicule, les yeux ankylosés fixant devant elle.
- L’état de santé de ma femme, votre fille, ne lui permet pas cette année de venir. La naissance de la petite soeur de Chelle est prévue pour le mois d’avril prochain, elle a besoin de conserver toutes ses forces. Chelle va à l’école maintenant et ne peut s’absenter.
Un groupe de plus en plus important se constituait autour de Don. Il reconnaissait celui-ci, celle-là ainsi que plusieurs autres, mais il ne put s’empêcher de remarquer, sans se tromper, que son propre frère Gord ne lui adressait pas la parole, ne daignait même pas lui accorder un regard.
Les liens entre eux sont fragiles depuis que le plus âgé des deux a quitté le village des Saints-Innocents avec sa femme, la meilleure amie de sa propre épouse. Les deux brus vivaient un calvaire en présence de l’ancêtre féminine - principalement à la suite du décès de Gordon que l’on avait incinéré puis enterré dans le boisé adjacent à leur maison. Ce calvaire retomba sur les épaules fragiles de l’épouse de Don alors que Gord et sa femme stérile, sans bruit, sans expliquer leur geste quittèrent les lieux en tapinois pour retourner sur l’Île Whitefish.
Lorsque, fatalement, les yeux des deux frères se croisèrent, chacun dut y lire le malaise et fort possiblement un questionnement nécessitant qu’ils abandonnent du moins temporairement leurs différends.
- Gord, je dois te parler en privé. Peux-tu reconduire notre mère chez toi ? Elle a besoin de se reposer après une si longue route.
- Ma femme ne l’accueillera pas. Tu sais pourquoi. Je vais la mener chez sa sœur, c’est tout à côté de ma maison.
- Je t’attends ici.