vendredi 2 février 2024

Un être dépressif - 7 -

 



Un être dépressif

- 7 -

Il n’y a qu’un seul 13 avril 2021


C’est un mardi.
Le deuxième du mois d’avril.
Les mesures sanitaires, assouplies un peu partout au Vietnam, accordent un certain répit à la ville de Da-Nang .
 
Ce mardi d’avril, 7 heures du matin, appartement 401, rideaux fermés.
Le soleil n’y pénètre pas.
De mes pensées fugaces une seule colle à mon cerveau : mon visa expire dans 11 jours et je devrai  le renouveler.
Mais j’en aurai plus besoin.
 
Je sors de la salle de bain.
M’arrête devant un commutateur.
Coupe la climatisation ; j’en n’ai plus besoin.
 
Combien ai-je de médicaments dans mes mains ?
Plus de cinquante, de couleurs différentes, aux noms inusités ;  aucun n’a atteint sa date de péremption.
J’en ai encore besoin, du moins pour quelques instants.
 
Phuoc - je l’ai entendu il y a quelques minutes - a glissé une note sous ma porte : “  Don't forget to feed the dog and if I'm not home by 5, you go out with him. See you later. “
 
Il est prévoyant.
 
Je regarde la table.
Toutes les pilules prescrites s’y trouvent, emmêlées les unes aux autres. 
On dirait des cartouches.
Les boîtiers, je les jette à la poubelle. Bien au fond du sac plastique.
J’en ai plus besoin.
 
Une orange roule. Tombe au sol. Je ne la ramasse pas.
J’en ai plus besoin.
 
Je vérifie que la porte soit bien verrouillée ; répète le geste deux fois.
Et une troisième.
Zéro pensée traverse mon esprit.
 
J’évalue la distance entre la chaise et le lit.
Je n’aurai qu’à déposer le verre sur le comptoir de la cuisine
- j’en aurai plus besoin - puis m’étendre.
Un regret. J’ingurgite mon cocktail de médicaments avec de l’eau.
Un dernier cognac aurait été plus convenant...
 
Vue la quantité, je crains manquer de temps pour tout ingurgiter.
Si longtemps sans rien avaler.
Aucune notion du temps que cela prendra.
Ce n’est plus important, je n’en ai plus.
Il disparaîtra avec moi.
On n’a plus besoin l’un de l’autre.
 
Je m’étends sur le lit.
Un éternel silence m’y attend.

 

! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !

 

    Presque trois ans plus tard, alors que je me remémore ce mardi 13 avril 2021, les images qui s’accrochent à mon esprit demeurent d’un flou clair, net et précis. Un enchevêtrement indescriptible d’images et de sensations. Tout est parfaitement clair, net et précis, mais complètement flou.

Je revois l’obscurité de l’appartement, ces rubans de lumière qui cherchent à outrepasser les rideaux encadrant les fenêtres du 401.

La table devenue vide, le verre aussi ; la pièce vide ; tout ce vide me remplit d’un profond silence. Aigu.

Ce lit connaît parfaitement les formes de mon corps étique. Il a été nettoyé la veille par la femme de chambre qui, s’adressant à Phuoc, notait ma détérioration physique. Les Vietnamiens discernent aisément les changements dans l’allure des gens, les associent à la mauvaise alimentation.

Je me vois encore m’y étendre. 
Fixer les yeux au plafond. 
Ressentir un besoin urgent de déglutir. 
Une guerre éclate dans mon estomac. 
Je ferme les yeux. Ne me souviens plus de les avoir rouverts.

Est-ce que j’ai eu peur ?

Ni à ce moment-là, ni maintenant, je n’ai eu à composer avec cet état affectif. Tout s’engourdissait compendieusement. Je ne sais trop comment le dire, mais il me semblait ne plus être en contact avec ce “moi” qui était “moi”.

Oublié quelque chose ? Écrire un dernier message... lancer un appel... un SOS... Non. Rien.


                                                      

! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !

 

    Reclus dans l’inconscience, il faudra attendre quatre (4) jours à l’équipe soignante et moi-même, pour tenter de comprendre les raisons de ce coma. Du moins, essayer.

Le 17 avril 2021, je suis alité dans une grande salle de l’hôpital général de Da Nang. Sans réaliser ce qui se passe vraiment, des sangles aux pieds et aux mains, un quelconque soluté dans le bras droit, ça bouge autour de moi. Je n’ai aucune idée où je suis.

Phuoc n’y est pas.

Sans doute est-il parti marcher avec son chien CaCao.

J’ai besoin de lui.

 

À la prochaine




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