lundi 20 mai 2013

Strange fruit




Parmi les livres lus jusqu'à maintenant en 2013, un coup de coeur:
(Mes étoiles noires, de Lilian Thuram). 

Il a connu une carrière de footballeur sur la scène internationale et crée, en 2008, la fondation Éducation contre le racisme. Dans ce livre très bien documenté, il nous présente ses étoiles. Pour n'en citer que quelques-unes: Abraham Petrovich Hanibal, Chevalier de Saint-Georges, Toussaint-Louverture, Phillis Wheatley, Alexandre Pouchkine, Richard Wright, Lumumba, Rosa Louise McCauley Parks, Malcom X, Luther King, Mohamed Ali, Mandela, Barack Obama. 

Thuram part de la question suivante: Quand avez-vous entendu parler pour la première fois des Noirs dans votre cursus scolaire?  Il suggère comme réponse que la grande majorité des gens répondent: c'est à propos de l'esclavage.

Tout le livre tente à démontrer que les historiens occidentaux ont occulté la présence des Noirs dans l'Histoire, la dissimulant sciemment de même que leurs réalisations. Réduits à un état d'inférieurs ils alimentent le mythe du noir-esclave, des êtres pas tout à fait comme les autres.

Je vous recommande ce livre qui pose un regard différent de celui auquel nous sommes habitués même de la part de ceux qui se targuent de se porter à la défense des opprimés de toute nature.

J'aimerais porter votre attention sur cette chanson interprétée par Billie Holiday (une étoile noire de Thuram). Elle s'intitule Strange fruit. Voici comment l'auteur la présente:

- Nous sommes en 1939, elle a vingt-quatre ans. La chanson qu'elle s'apprête à interpréter est la plus émouvante, la plus terrible de son répertoire: Strange fruit. Ces fruits, ce sont les lynchages: pendaisons, goudron brûlant versé sur la peau, bûchers - et tant de tortures, encore si présentes dans le sud des États-Unis. Ces crimes ont déjà tué plus de 3800 Noirs, et certains Blancs solidaires des Noirs entre 1889 et 1940. Et cela continuera jusqu'aux années 1960.
Billie Holiday s'apprête à chanter. La clientèle et le personnel de l'établissement se taisent. On écrase sa cigarette. La salle est plongée dans le noir, puis un projecteur éclaire le visage de Billie, ses lèvres rubis, le gardénia qu'elle porte   au-dessus de l'oreille, ses mains qui tiennent le micro comme une tasse de thé. Elle ferme les yeux, renverse la tête en arrière, puis commence d'une voix obsédante, sans forcer le trait:


  Strange Fruit

Abel Meeropol (Aka Lewis Allan)

Billie Holiday



Southern trees bear strange fruit,                      

Blood on the leaves and blood at the root,            

Black bodies swinging in the southern breeze,

Strange fruit hanging from the poplar trees.



Pastoral scene of the gallant south,

The bulging eyes and the twisted mouth,

Scent of magnolias, sweet and fresh,

Then the sudden smell of burning flesh.



Here is the fruit for the crows to pluck,

For the rain to gather, for the wind to suck,

For the sun to rot, for the trees to drop,

Here is a strange and bitter crop.



                  (Un fruit étrange)



Les arbres du sud portent un fruit étrange.

Du sang sur les feuilles, du sang sur les racines,

Un corps noir se balançant dans la brise du Sud.           

Étrange fruit pendant aux peupliers.



Scène pastorale du vaillant Sud.

Les yeux exorbités et la bouche tordue,

Parfum de magnolias, doux et frais.

Puis une odeur soudaine de chair brûlée.



Voici un fruit à picorer par les corbeaux

Que la pluie fait pousser, que le vent assèche.

Pourri par le soleil, il tombera de l’arbre.

Voilà une étrange et amère récolte !

... la note reste en suspens, et c'est le silence. La lumière s'éteint. Personne n'applaudit. Enfin, dans le silence funèbre, quelqu'un frappe dans ses mains avec nervosité. Et le public bouleversé éclate en acclamations.
Lorsque la scène se rallume, elle est vide. Billie ne revient jamais saluer après Strange fruit. Quels que soient les applaudissements.

Au prochain saut 

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