Oui, nous
sommes racistes…
… oui, nous sommes sexistes… oui, nous sommes xénophobes… oui,
nous sommes antisémites… oui, nous sommes… mais de qui est-ce que je parle
lorsque j’utilise le pronom personnel NOUS? Qui sont ces êtres que je décris de
manière si expéditive? Eh bien, je parle de nous. Nous, les humains de cette
terre que nous habitons tels des extra-terrestres; comme des êtres venus d’un
espace-temps actuel mais aux racines ancrées depuis des millénaires.
Le débat,
pour une fois, est planétaire. La question également. Cette question que les
armes et la haine propulsent au rang de l’actualité universelle. La réponse est
plurielle. On s’interroge partout sur notre sectarisme qui commence par
l’axiome suivant : il serait tellement plus simple si tous nous vivions
chacun dans notre bulle close, celle qui éloigne ceux et celles qui ne nous
ressemblent pas. Les couleurs, ensemble; les adeptes d’une même religion,
ensemble; les végétariens, loin des animaux; les bien-pensants, loin des
ignorants… et j’en passe.
Comme tout
deviendrait simple, moins complexe si chacun ne s’intéressait qu’à ce qui
l’intéresse. Elle vient d’où cette idée
qu’il faille absolument que les humains se mixent entre eux : ce n’est
qu’une source de problèmes. Elle vient d’où cette idée que l’on doive
absolument accepter ce que l’on ne connaît pas mais qui existe puisque d’autres
la connaissent : ce n’est qu’une source de conflits. Elle vient d’où cette
idée qu’un dieu aux noms multiples nous indique ce que l’on doit faire pour être
heureux : ce n’est qu’une source d’incompréhensions.
Nous sommes
racistes, même ceux qui hurlent contre ce barbarisme. Les races n’existent pas.
Un sophisme. Les races existent puisqu’il y a des conflits raciaux, puisque les
Blancs se croient supérieurs aux Noirs ainsi qu’à tout ce qui n’est pas de la
même couleur qu’eux. Nous sommes racistes car les races existent. La fonction
crée l’organe.
Nous sommes
racistes car il y a des génocides. Un génocide, ce n’est pas arrivé avec la
dernière pluie, c’est arrivé avec l’idée qui véhicule depuis des siècles et
véhiculera encore de siècle en siècle, qu’un peuple doit en dominer un autre,
qu’une race doit être hégémonique. Ne faut-il pas dans quelque jeu ou sport ou
quelque activité humaine qui soit, que l’on couronne un gagnant et qu’on se
moque du perdant?
Nous sommes
racistes comme organisation sociale mais nous le sommes aussi à titre
individuel. Nous marchons sur la rue, notre regard étonné se retournera
seulement sur quelqu’un de différent de nous, Je me souviens qu’en 1976, pour
la première fois de ma vie, j’ai croisé dans une rue de Londres, une femme
entièrement voilée : ma réaction, au-delà de la curiosité, fut celle d’un
Québécois de souche se demandant ce que cela pouvait bien signifier. Je ne
savais pas si je manifestais du racisme ou sexisme ou purement de l’ignorance.
Nous sommes
racistes – et cet argumentaire vaut pour le sexisme, l’antisémitisme, la
xénophobie qui logent à la même enseigne – en raison de notre ignorance et
surtout en raison de cette façon que l’on choisit de ne pas nous interroger sur
la différence qui existe entre les gens. On n’enseigne pas le racisme, on
maintient l’ignorance.
Tellement
ridicule l’argument qui prévaut chez nous actuellement quant à la religion
musulmane. Il dit : on a réussi à se défaire de la religion catholique qui
nous a opprimés durant des décennies, on ne va pas nous imposer la charia et
toutes ces croyances moyenâgeuses. J’entends ici que malgré le fait que la
religion catholique ne fasse plus partie de nos pratiques nous avons
pourtant conservé ses valeurs judéo-chrétiennes. Elles sont imprimées dans
notre subconscient de manière telle que ce que nous utilisons pour dénigrer les
autres provient exactement de ce que nous croyons avoir évacué. Nous souffrons
d’une incohérence éhontée.
Il faut,
nous dit-on, vivre ensemble. Parfois, on manifeste de la difficulté à vivre avec
soi-même, alors imaginez… vivre avec les autres. L’autre c’est l’enfer, a dit un
célèbre philosophe. On ne nous a jamais enseigné comment. Par le respect,
répond-on. Ce mot galvaudé à gauche et à droite, comme il est facile de nous le
braquer en pleine figure. Le problème est que ce sont les autres qui ne nous
respectent pas. Ils veulent, les autres, que ce soit nous qui adoptions leur
façon de voir le monde, la vie. Étrange dilemme!
Les autres
qui viennent ici ont l’obligation au nom de nos droits ancestraux et
territoriaux de se plier à notre manière de vivre, d’être. On parle de nos
droits, jamais de nos devoirs. On le droit de… mais le devoir de… on en parle
pas. Ici c’est chez nous, s’ils ne veulent pas de notre chez nous comme nous l’avons
bâti, qu’ils demeurent chez eux ou qu’ils y retournent s’ils ne sont pas
contents.
Rien de
mieux et de plus facile que de trancher les questions complexes comme s'il s'agissait de vulgaires règles de multiplication. À quoi sert de rechercher
un dénominateur commun puisque de toute façon il sera à notre désavantage. Nous
sommes pacifistes, nous. Nous sommes contre la guerre, nous. Eux, ils sont tout
le temps en guerre et ça semble être devenu une seconde nature. Ils ne la
fuient pas, ils ont pour projet de l’importer ici. Voyez, on a des problèmes
seulement depuis qu’ils sont là. Avant tout allait comme sur des roulettes.
Les clichés
que nous servent ad nauseam les bien-pensants, connaisseurs en culture de
chez nous, sur ce qui nous serions, tiennent la route tant et aussi longtemps
que le flot d’étrangers ne se retrouve pas dans leur cour. Signons des
pétitions, manifestons mais surtout, après, retournons dans notre logis
regarder la télévision qui, par vagues déferlantes, nous ressert les images de
ces pays où ça va si mal. Notre conscience en paix, on se dit que l’on est bien
ici; alors, un petit doute s’installe sur le possible cahot qui pourrait
survenir si jamais nos portes s’ouvraient encore plus à ceux qui fuient la
guerre, la barbarie, l’oppression. Bon! J’ai fait ma part, maintenant aux
autres d’agir.
Parler d’un
monde sans frontières, rêver de rencontres avec des gens de la même humanité
que soi, partager les surplus que nous possédons, ouvrir nos cerveaux et nos cœurs
aux paroles de ces autres qui chantent leurs espoirs dans la vie avec des mots
que notre âme pourrait comprendre, envisager, l’espace d’un court instant que
les besoins primaires de tous sur cette planète puissent être comblés… nous
nous retrouvons dans l’utopie.
Beaucoup
plus facile de demeurer raciste, sexiste, antisémite, xénophobe car cela exige
que peu d’efforts. De plus, nous sommes légion à penser de la même façon,
on doit bien avoir un petit peu raison quelque part. Par nos blagues anodines,
nos sourires en réponse à ces facéties, nous devenons complices, sans en être
conscients, de la marche en bottes de cuir et aux talons bruyants de l’ignorance
qui semble s’installer confortablement autour de nous.