... la suite …
Il y a de ces prénoms qui ne survivent que par leurs surnoms. Plusieurs ne sont que des raccourcis (Jean devient Ti-Jean, Arthur, Ti-Thur), d’autres, plus complexes, relèvent du détail (Aldège transformé en Gros-Nez, Clémence en Vieille-Fille, Constant, en L’Ivrogne).
Pour Élisabeth, on se serait attendu à un diminutif, alors qu’au contraire il lui resta accolé jusqu’au jour où grand-mère Lacasse l’identifia.
Elle n’aimait pas ce prénom, nous l’avons déjà signalé, du fait qu’il était plus grand qu’elle. Quatre syllabes pour une jeune fille d’à peine quatre pieds !
Sa naissance, son enfance et son adolescence, Élisabeth Gendron les vécut dans la maison familiale. Rapidement, pour des raisons utilitaires, on bouscula sa croissance afin de la voir devenir utile à ses parents. Sa mère surtout. L’aide indispensable qu’elle aurait à apporter aux tâches ménagères et de la ferme, fera de cette jeune fille un être qu’on ne vit pas changer. À dix ans tout comme à vingt ans, Élisabeth Gendron sera la même : petite, industrieuse et servante.
Élever ses frères et ses sœurs ; courir de l’étage à l’étable : nourrir les hommes et les animaux ; entretenir les souvenirs de la famille – elle était dotée d’une mémoire fascinante - ; et se faire discrète : voilà le résumé de sa vie jusqu’au jour où on lui annonça que son prénom pouvait changer. Le curé de l’époque jugea que la famille Gendron se devait absolument de faire un don à l’Église en laissant partir leur aînée vers le couvent de Rimouski. La plus âgée, à cette époque, représentait la dote que l’on devait offrir à l’Église en devenant religieuse.
Élisabeth fut épargnée principalement à cause de la santé fragile de sa mère et beaucoup du fait que la pauvreté sévissant dans la famille Gendron exigeait sa présence. Elle passa donc son tour et conserverait à jamais le prénom d’Élisabeth.
Fréquenter l’école ne lui fut pas permis. Cela ne servirait à rien pour une future servante. Ce qu’elle aurait besoin d’apprendre, c’est au contact de sa mère que ça allait se faire. Tenir maison n’était pas au programme scolaire.
D’Élisabeth, on disait combien elle était « de service », docile et surtout en très bonne santé. La maladie ne la rejoignait jamais, sans doute lui passait-elle par-dessus la tête. Elle emmagasinait le comment faire plus que le pourquoi le faire. Et tout devait s’effectuer rapidement, parfaitement. Pas le temps de s’attarder aux détails, autre chose urgeait.
Ce qu’elle entendait, elle le retint dans le but avoué de le rappeler si le besoin s’en faisait sentir. Ses parents se fiaient sur elle pour garder vivants les dates importantes, les événements du village, les changements annuels de la température. Elle devint une espèce d’almanach infaillible. Son cerveau accumulait des faits et Élisabeth les restituait sans ni les commenter ni les juger.
- C’est quand la visite du curé ?
- Dans la semaine de la Fête-Dieu, répondait aussitôt la fille aînée, ajoutant qu’il allait exiger le paiement de la dîme.
- Les semences approchent ?
- Au début de la lune de juin, allongeait une Élisabeth pour qui accumuler des renseignements n’était pas une tâche bien difficile.
- La famille Synnott a eu du nouveau ?
- Un garçon, ajoutait-elle en achevant de détremper les crêpes.
Que dire de ses qualités de cuisinière, sinon qu’en très peu de temps elle dépassa sa mère en rapidité et surtout en qualité. On en parla beaucoup dans le village et à un certain moment, la femme d’Aldège vint chercher auprès d’elle des conseils judicieux permettant d’améliorer, comme si cela fut possible, un talent hors-pair en cuisine.
Elle cousait aussi. Afin d’habiller la marmaille mais surtout pour se retrouver un peu seule. Installée sur la grande galerie qui ceinturait la maison, ou à l’étage lorsque le temps l’obligeait à entrer, Élisabeth vous confectionnait une robe, un pantalon et avec les retailles qu’elle déposait dans un panier en osier, de petites surprises afin de les offrir à Noël ou pour l’anniversaire de celui-ci ou celle-là.
Toutes les heures de sa journée, partagées en temps égal, Élisabeth Gendron savait où se trouver, ce qu’elle avait à faire et tout cela avec un sens aigu de l’organisation et de la perfection. Personne n’avait réussi à lui trouver un défaut. Une sainte.
Une sainte qui abhorrait son prénom…
Il y a de ces prénoms qui ne survivent que par leurs surnoms. Plusieurs ne sont que des raccourcis (Jean devient Ti-Jean, Arthur, Ti-Thur), d’autres, plus complexes, relèvent du détail (Aldège transformé en Gros-Nez, Clémence en Vieille-Fille, Constant, en L’Ivrogne).
Pour Élisabeth, on se serait attendu à un diminutif, alors qu’au contraire il lui resta accolé jusqu’au jour où grand-mère Lacasse l’identifia.
Elle n’aimait pas ce prénom, nous l’avons déjà signalé, du fait qu’il était plus grand qu’elle. Quatre syllabes pour une jeune fille d’à peine quatre pieds !
Sa naissance, son enfance et son adolescence, Élisabeth Gendron les vécut dans la maison familiale. Rapidement, pour des raisons utilitaires, on bouscula sa croissance afin de la voir devenir utile à ses parents. Sa mère surtout. L’aide indispensable qu’elle aurait à apporter aux tâches ménagères et de la ferme, fera de cette jeune fille un être qu’on ne vit pas changer. À dix ans tout comme à vingt ans, Élisabeth Gendron sera la même : petite, industrieuse et servante.
Élever ses frères et ses sœurs ; courir de l’étage à l’étable : nourrir les hommes et les animaux ; entretenir les souvenirs de la famille – elle était dotée d’une mémoire fascinante - ; et se faire discrète : voilà le résumé de sa vie jusqu’au jour où on lui annonça que son prénom pouvait changer. Le curé de l’époque jugea que la famille Gendron se devait absolument de faire un don à l’Église en laissant partir leur aînée vers le couvent de Rimouski. La plus âgée, à cette époque, représentait la dote que l’on devait offrir à l’Église en devenant religieuse.
Élisabeth fut épargnée principalement à cause de la santé fragile de sa mère et beaucoup du fait que la pauvreté sévissant dans la famille Gendron exigeait sa présence. Elle passa donc son tour et conserverait à jamais le prénom d’Élisabeth.
Fréquenter l’école ne lui fut pas permis. Cela ne servirait à rien pour une future servante. Ce qu’elle aurait besoin d’apprendre, c’est au contact de sa mère que ça allait se faire. Tenir maison n’était pas au programme scolaire.
D’Élisabeth, on disait combien elle était « de service », docile et surtout en très bonne santé. La maladie ne la rejoignait jamais, sans doute lui passait-elle par-dessus la tête. Elle emmagasinait le comment faire plus que le pourquoi le faire. Et tout devait s’effectuer rapidement, parfaitement. Pas le temps de s’attarder aux détails, autre chose urgeait.
Ce qu’elle entendait, elle le retint dans le but avoué de le rappeler si le besoin s’en faisait sentir. Ses parents se fiaient sur elle pour garder vivants les dates importantes, les événements du village, les changements annuels de la température. Elle devint une espèce d’almanach infaillible. Son cerveau accumulait des faits et Élisabeth les restituait sans ni les commenter ni les juger.
- C’est quand la visite du curé ?
- Dans la semaine de la Fête-Dieu, répondait aussitôt la fille aînée, ajoutant qu’il allait exiger le paiement de la dîme.
- Les semences approchent ?
- Au début de la lune de juin, allongeait une Élisabeth pour qui accumuler des renseignements n’était pas une tâche bien difficile.
- La famille Synnott a eu du nouveau ?
- Un garçon, ajoutait-elle en achevant de détremper les crêpes.
Que dire de ses qualités de cuisinière, sinon qu’en très peu de temps elle dépassa sa mère en rapidité et surtout en qualité. On en parla beaucoup dans le village et à un certain moment, la femme d’Aldège vint chercher auprès d’elle des conseils judicieux permettant d’améliorer, comme si cela fut possible, un talent hors-pair en cuisine.
Elle cousait aussi. Afin d’habiller la marmaille mais surtout pour se retrouver un peu seule. Installée sur la grande galerie qui ceinturait la maison, ou à l’étage lorsque le temps l’obligeait à entrer, Élisabeth vous confectionnait une robe, un pantalon et avec les retailles qu’elle déposait dans un panier en osier, de petites surprises afin de les offrir à Noël ou pour l’anniversaire de celui-ci ou celle-là.
Toutes les heures de sa journée, partagées en temps égal, Élisabeth Gendron savait où se trouver, ce qu’elle avait à faire et tout cela avec un sens aigu de l’organisation et de la perfection. Personne n’avait réussi à lui trouver un défaut. Une sainte.
Une sainte qui abhorrait son prénom…
… à suivre …