…la suite…
Durant tout ce temps-là, régnait à l’intérieur de l’église une ambiance fortement teintée par l’attente. On aurait dit un cocon ayant opté pour un arrêt dans sa progression vers autre chose. L’institutrice continuait de s’occuper des enfants. Le curé et sa ménagère, une fois revenues les femmes les bras chargés de victuailles, installaient un peu partout les vivres. Le café et le thé, déjà, embaumaient les lieux.
La mère Épelgiag donnait la tétée à son bébé sous les yeux scandalisés des autres femmes qui, subrepticement, l’avaient reléguée près du confessionnal du chanoine Boudreau. Tendant légèrement l’oreille, il était possible d’entendre dans les babils qu’elles s’échangeaient, combien il leur paraissait inconvenant de s’exposer ainsi à la vue de tout un chacun. Cette femme n’a aucune pudeur, disait-on sous cape. Mais le regard de la mère vers l’enfant, la douceur de ses doigts grattant la tête du petit et le léger souffle qu’elle dirigeait sur son visage, cela tenait de la plus pure beauté. Elle le câlinait avec quiétude. L’enfant, entièrement abandonné à sa mère, paraissait retrouver dans ce moment d’une infinie douceur, les odeurs, les couleurs et le bien-être de sa vie utérine.
Rien n’allait troubler cette intime communion. Il se nourrissait autant au lait maternel qu’à sa chaleur. Une bouche et un sein, réunis. À peine un bruit, celui de la succion. À peine.
La femme d’Aldège, celle qui dirigeait d’une main de fer les destinées des Dames de Sainte-Anne de la paroisse de l’Anse-au-Griffon, surveillait les moindres gestes de cette «sauvage» pour qui elle manifestait ouvertement et cela depuis leur arrivée aux portes du village, une hargne tenace. On aurait dit qu’elle inscrivait dans un cahier imaginaire toute action, toute intention, tout n’importe quoi qui lui serviraient par la suite à la dénigrer, lui indiquer le ban des damnés et des corrompus. Peu s’en fallut qu’elle ne lui impute ainsi qu’à sa bande de pauvres infidèles la responsabilité de tous les malheurs s’acharnant contre eux. Se rappelant les questions et les réponses de son petit catéchisme cartonné gris, elle s’indignait jusqu’au fond de ses entrailles et bénis, satisfaite que cette clique de non-civilisés ne méritent pas de devenir des catéchumènes. De la graine de bandits, d’alcooliques et de pervertis, voilà tout ce qu’ils étaient. Point final, pas d’alinéa.
À chacune des occasions qui lui étaient données, elle se vidait le cœur plein à ras-bord de haine et de dégoût auprès du curé. Celui-ci ne pouvait que lui conseiller la charité, tout en rappelant que charité bien ordonnée commence par nous-mêmes, les vrais catholiques et pieux paroissiens. Sans la décourager dans sa campagne anti-sauvage ni l’inciter à entretenir ce sentiment de répugnance envers eux, il ne cessait de dire que les desseins de Dieu sont parfois bien obscurs. La lumière les éclairait, eux, et ils devaient en remercier le ciel.
Mais cette nuit-là, la lumière se calquait sur celle de l’enfer. Elle projetait partout et sur tous, sans restriction aucune, n’épargnant personne, des lames de tisons qui, plus l’incendie progressait, parvenaient difficilement à se consumer.
Madame Aldège, mue par son devoir de chrétienne, de gardienne des bonnes mœurs, s’assurant d’abord que le sein fut caché, l’enfant retourné s’appuyant sur l’épaule de madame Épelgiag, mesurant ses pas, s’approcha de celle-ci. Ses yeux renfermaient toute la détestation possible qui s’était infiltrée en elle.
- Tu n’as pas honte. Te dénuder dans une église. On voit bien que tu n’as aucun bon sens.
La mère micmac leva vers son interlocutrice un regard encore tout plein de la joie et du bonheur que l’allaitement lui avait procurés.
Il devint évident pour la dame de Sainte-Anne que ses paroles tombaient à plat, dans un vide aussi complet que l’absence de sentiment lui ayant permis de placer sur sa figure patibulaire la plus entière répulsion. Madame Épelgiag ne parlait pas français. Mais elle perçut dans l’expression de la femme toute l’acrimonie si longtemps retenue, crachée en pleine figure, tel un venin féroce.
Tout le reste de sa vie, madame Aldège répétera les mots incompréhensibles issus d’une langue inconnue, accentuée et valsante. Elle en apprendra, plus tard, la signification par Émile. Il avait demandé à monsieur Épelgiag de traduire ce que sa femme dit à ce moment-là :
- Il n’y a pas de honte à être mère.
Grand-père entra dans l’église. Essouflé, il lança :
- Tout le monde doit venir dehors.
… à suivre…
Durant tout ce temps-là, régnait à l’intérieur de l’église une ambiance fortement teintée par l’attente. On aurait dit un cocon ayant opté pour un arrêt dans sa progression vers autre chose. L’institutrice continuait de s’occuper des enfants. Le curé et sa ménagère, une fois revenues les femmes les bras chargés de victuailles, installaient un peu partout les vivres. Le café et le thé, déjà, embaumaient les lieux.
La mère Épelgiag donnait la tétée à son bébé sous les yeux scandalisés des autres femmes qui, subrepticement, l’avaient reléguée près du confessionnal du chanoine Boudreau. Tendant légèrement l’oreille, il était possible d’entendre dans les babils qu’elles s’échangeaient, combien il leur paraissait inconvenant de s’exposer ainsi à la vue de tout un chacun. Cette femme n’a aucune pudeur, disait-on sous cape. Mais le regard de la mère vers l’enfant, la douceur de ses doigts grattant la tête du petit et le léger souffle qu’elle dirigeait sur son visage, cela tenait de la plus pure beauté. Elle le câlinait avec quiétude. L’enfant, entièrement abandonné à sa mère, paraissait retrouver dans ce moment d’une infinie douceur, les odeurs, les couleurs et le bien-être de sa vie utérine.
Rien n’allait troubler cette intime communion. Il se nourrissait autant au lait maternel qu’à sa chaleur. Une bouche et un sein, réunis. À peine un bruit, celui de la succion. À peine.
La femme d’Aldège, celle qui dirigeait d’une main de fer les destinées des Dames de Sainte-Anne de la paroisse de l’Anse-au-Griffon, surveillait les moindres gestes de cette «sauvage» pour qui elle manifestait ouvertement et cela depuis leur arrivée aux portes du village, une hargne tenace. On aurait dit qu’elle inscrivait dans un cahier imaginaire toute action, toute intention, tout n’importe quoi qui lui serviraient par la suite à la dénigrer, lui indiquer le ban des damnés et des corrompus. Peu s’en fallut qu’elle ne lui impute ainsi qu’à sa bande de pauvres infidèles la responsabilité de tous les malheurs s’acharnant contre eux. Se rappelant les questions et les réponses de son petit catéchisme cartonné gris, elle s’indignait jusqu’au fond de ses entrailles et bénis, satisfaite que cette clique de non-civilisés ne méritent pas de devenir des catéchumènes. De la graine de bandits, d’alcooliques et de pervertis, voilà tout ce qu’ils étaient. Point final, pas d’alinéa.
À chacune des occasions qui lui étaient données, elle se vidait le cœur plein à ras-bord de haine et de dégoût auprès du curé. Celui-ci ne pouvait que lui conseiller la charité, tout en rappelant que charité bien ordonnée commence par nous-mêmes, les vrais catholiques et pieux paroissiens. Sans la décourager dans sa campagne anti-sauvage ni l’inciter à entretenir ce sentiment de répugnance envers eux, il ne cessait de dire que les desseins de Dieu sont parfois bien obscurs. La lumière les éclairait, eux, et ils devaient en remercier le ciel.
Mais cette nuit-là, la lumière se calquait sur celle de l’enfer. Elle projetait partout et sur tous, sans restriction aucune, n’épargnant personne, des lames de tisons qui, plus l’incendie progressait, parvenaient difficilement à se consumer.
Madame Aldège, mue par son devoir de chrétienne, de gardienne des bonnes mœurs, s’assurant d’abord que le sein fut caché, l’enfant retourné s’appuyant sur l’épaule de madame Épelgiag, mesurant ses pas, s’approcha de celle-ci. Ses yeux renfermaient toute la détestation possible qui s’était infiltrée en elle.
- Tu n’as pas honte. Te dénuder dans une église. On voit bien que tu n’as aucun bon sens.
La mère micmac leva vers son interlocutrice un regard encore tout plein de la joie et du bonheur que l’allaitement lui avait procurés.
Il devint évident pour la dame de Sainte-Anne que ses paroles tombaient à plat, dans un vide aussi complet que l’absence de sentiment lui ayant permis de placer sur sa figure patibulaire la plus entière répulsion. Madame Épelgiag ne parlait pas français. Mais elle perçut dans l’expression de la femme toute l’acrimonie si longtemps retenue, crachée en pleine figure, tel un venin féroce.
Tout le reste de sa vie, madame Aldège répétera les mots incompréhensibles issus d’une langue inconnue, accentuée et valsante. Elle en apprendra, plus tard, la signification par Émile. Il avait demandé à monsieur Épelgiag de traduire ce que sa femme dit à ce moment-là :
- Il n’y a pas de honte à être mère.
Grand-père entra dans l’église. Essouflé, il lança :
- Tout le monde doit venir dehors.
… à suivre…