mercredi 27 janvier 2016

QUATRE (4) CENT-SOIXANTE-DOUZE (72)

Monique Racine-Brouillette

Ce billet revêt à mes yeux un caractère tout à fait spécial. Écrire un poème, ça va puisqu'il vous vient à travers des méandres holographiques souvent bizarres. Il sait se faire attendre, désirer, maintes fois souhaite être couvé avant de trouver sa place parmi les images que l'on souhaite imprimer dans votre imaginaire. Puis, sans trop savoir comment ou, mieux encore, pourquoi, sa forme s'impose à vous comme une espèce d'inattendu que attendiez.

Celui que je vous offre aujourd'hui, entièrement écrit à Saïgon, a mûri longuement; mille ans. 

Sur ma table, dans l'atelier du laboratoire où je me réfugie afin d'écouter venir les mots, seul nautonier à bord, je deviens ce guide menant, d'eau-forte en gravure, cet amalgame souvent incongru vers un destin qui lui sera propre. Unique.

Ce poème a donc longuement mijoté. Maintenant, prêt à être servi, il m'est apparu clairement qu'une personne devait le recevoir personnellement.

Monique Racine-Brouillette, amie de mille ans, cette âme riche à mon coeur, je te le remets, puisque maintenant, il est de toi, pour toi. À toi.

Tu auras été la première à l'accueillir. Et tu lui as répondu. 

Voici le poème, et au prochain billet, je publierai celui que tu m'as transmis pour lui faire écho.

Monique, je t'aime.



cette maison…

à mon amie de 1000 ans, Monique Racine-Brouillette  -

( lire en écoutant LES SCÈNES DE LA FORÊT  - Schumann )



cette maison n’existe pas, pire, elle n’a jamais existé
ni dans les rêves ni dans les mains d’une vieille dame 
-  longtemps on lui fit croire que si…

pourtant, toutes les nuits, cette maison agace ses rêves
sans jamais la reconnaître elle sait qu’il s’agit bien d’elle
-  toujours elle l’a entretenue…

les rideaux verts ont disparu, le carreau des fenêtres, souillé
ça ne peut pas être chez elle, pourtant sans cesse ça revient
-  comme une douloureuse obsession…

à l’intérieur, de froides couleurs, si irréelles à l’extérieur 
des abeilles grafignent la dentelle écrue de sa mémoire 
-  elle s’activent au-dessus d’une ruche vide…

les fleurs règnent sur des troncs d’arbre cachant aux regards insaisissables,
perché au balcon remuant, un chat doré que le soleil avale de ses mirages
-  visions et cauchemars confondus…

la vieille dame, celle de la maison pas à elle mais qui chaque nuit
ressuscite des mémentos périmés, la vieille dame se fait squatter
-  créatrice de la mesure du temps…

on aura transporté cette maison près de l’appontement, puis démolie
lancée madriers, poutres et chevrons au loin sous ses yeux engourdis
-  ses rêves s’endormiront au matin citron…

elle fera comme on le lui a dit, le lui a enseigné puis répété toujours
la vieille dame laissera fuir sur un radeau fragile ce qu’elle imaginait 
- une maison plus vieille qu’elle, que la nuit grêle…

ainsi iront ses rêves, chimères appâtées, réalités sibyllines,
vogueront telles des galères ancêtres, un jour, devant elle
- dans la vase des jours… la vase des jours…

sans doute ne rêvera-t-elle plus, la dame à la maison engloutie
sans doute jamais n’aura-t-elle vraiment rêvé de cette maison
- rêve-t-on lorsque nos pieds éloignent tout…

elle partira par de grands chemins, ceux qu’elle ne connaît pas
oubliera maison, nuit, rêves et frissons glacés de cauchemars
- tout près d’elle une volée de coquecigrues…

affamée, lycanthrope engouffrée dans le labyrinthe des forêts,
elle n’écoutera, n’entendra plus râler les séismes noctambules
- comme libérée de ces voix aiguës…

pour celle qui sort de rêves trompeurs, captieux et cauteleux
marcher sur des terres anonymes c’est charroyer de la liberté
-  c’est blanc et bleu et blond et blanc et bleu…

pour la vieille dame au pied léger, au talon ferme et à la jambe raide
c’est sa traversée de la Bérézina… moins les canons, moins la retenue
- tête haute sous la feuillée… 

ses yeux qui ne lui servaient plus qu’à endormir des rêves éveillés
ses yeux chinés de toute la duplicité du vent dans son dos, crèvent
-  alors qu’enfin elle voit…

elle voit dans un ruisseau aux couleurs de l’arc-en-ciel
ce que les autres voyaient d’elle, qu’elle ne voyait pas
- les yeux des autres sont des orages refoulés…

la vieille dame marche, marche encore, des traces la suivent
s’émiettent derrière elle, se coagulent à vitesse vertigineuse
- personne n’en percera l’ombre…

elle croisera dans les méandres de ses détours impromptus
tant d’images palpables, au bout de ses doigts tourmentés
- un grand florilège sur papier couleur sépia…

son cœur, celui qui à tout rompre battait la chamade 
que lui arrivera-t-il alors que là, elle se recommence
- naissance à nouveau et cri primal…

la vieille dame de la vieille maison, nue d’avant et nue d’après
couverte des rides de la fatigue, de l’imaginaire usé par la foi
- elle ne gémira pas, ne gémira plus…

plus jamais elle ne pleurera plus, ses larmes d’autrefois
n’ont de sens que l’envers du chemin qu’elle emprunte
- elle inverse le monde…

peur, crainte, angoisse auront été son pain quotidien, rassis
elle l’aura mangé ce pain, la bouche camouflée par sa main
- les dents noires d’Ordalie la ridiculisaient… 

repue ainsi qu’un enfant nourri la veille d’une mort annoncée
la vieille dame de la vieille maison s’immobilise, fragilisée
- parfois, souvent même, la léthargie est geste premier…

les mots qu’elle cherche ne sont plus actifs dans sa mémoire
si par mégarde elle les retrouvait, ils n’auraient aucun sens
- la grammaire du silence ne se devine pas…


au bout du sentier de feuilles vertes et salies
une vieille maison, vieille de vieillesse
vieille comme une somnambule
aspirée par des odeurs inconnues

 et
tout au bout de ce sentier
rien



* Le poème de Monique, celui que sa sensibilité fine a créé suite à celui-ci vous parviendra sous peu.



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