jeudi 7 mars 2024

Un être dépressif - 12 -

 


Un être dépressif

-  12  - 

Les derniers longs mois à Da Nang...
reclus, enfermé, claquemuré et cloîtré
comme un pagure inquiet.

 

    Le mois d’avril 2021, finalement derrière moi, j’anticipe maintenant les prochains comme pouvant s’avérer imprévisibles. Trois ans plus tard, scrutant ce passé, relisant des textes écrits au cours de ladite époque*, je réalise à quel point le personnage imaginaire, alors que je quittais  l’hôpital psychiatrique, m’a suivi. Et tellement d’autres choses que je vais tenter d’éclaircir dans ma démarche de remise en ordre de l’espace et du temps.

 

*     Le principal texte datant de cette époque s’intitule MA SITUATION (il n’a pas été publié sur le blogue que vous consultez actuellement) dans lequel j’essaie, le plus régulièrement possible, de circonvenir mon état sanitaire ainsi que le peu d’activités que je réalisais. Relu aujourd’hui, une question me saute aux yeux : quel est le rôle joué par le personnage imaginaire qui m’a accompagné à l’hôpital psychiatrique dans l’écriture de cet agenda dont les premières lignes datent du 19 mai 2021 ? Une seconde : ma tentative de suicide n’est pas liée avec une problématique de santé mentale, mais de santé physique se dégradant et, méthodiquement, installait un dysfonctionnement psychique. À l’époque, je n’ai aucune conscience de cela. Si j’approfondis un peu, je découvre que la routine implantée dès la sortie de l’hôpital, se déroule sous le leitmotiv suivant : “Plus question de retourner dans un hôpital vietnamien.” Je poursuis la marche quotidienne. Progressivement l’appétit revient. Le sommeil, toujours chaotique. Un certain suivi médical une fois que j’eus rencontré le cardiologue Dr Lu qui émit l’hypothèse que les maux de tête seraient en lien avec mes carotides opérées en 2018. L’IRM qu’il me prescrit décèle un anévrisme au cerveau qu’une certaine urgence à soigner imposerait. La reprise de contact avec mes Filles, mon frère Pierre et ma belle-soeur Claire et mon amie F* de Montréal avec qui j’avais voyagé à Paris et à Prague, consolait mon isolement en raison des interdictions dues à la covid. Finalement, répondre à l’incessante question : demeurer au Vietnam ou retourner au Québec ?.

 

L’image du pagure (ou bernard-l’hermite) est celle qui peut le mieux définir qui je suis au moment de mon retour au 401. Crustacé invertébré, il ressemble à un homard, mais aucune carapace ne protège son mol abdomen. Il a huit pattes, deux pinces, deux yeux ainsi que deux antennes. À mesure qu’il grandit, il change d’habitation pour une carapace plus grande, la coquille vide d’un autre crustacé pour se protéger.

Complètement démembré, me déplaçant avec une lenteur inouïe, vivant dans ce brouillard enveloppant qui m’habite, m’obligeant à un immobilisme déconcertant et surtout, peu de volonté de me reprendre en main, soumis à la tutelle de mon ami Phuoc, sans qui, mon retour au monde eut été impossible. Il sera boussole et gyroscope jusqu’à mon départ pour le Québec, en novembre 2021.

Ayant étudié en philosophie, cet être spirituel a vécu une situation semblable (au Québec on la définirait comme “proche aidant”) alors qu’il prit en charge ses grands-parents souffrants, à la porte de l’au-delà. Je crois qu’il maîtrise la distance entre lui et ceux qui souffrent.

Je me sens dépendant et aussi peu combatif que le pagure, cette  espèce de crabe ; étant né sous le signe du Cancer, la similitude tombe sous le sens. La dépendance, de cette période jusqu’à tout récemment, est ce qu’il faut retenir et ce qui le mieux définit ces interminables mois. Ai-je appris à mieux la gérer, voire, à la limite, la délimiter ? Je crois qu’entre avril 2021 et octobre 2023, elle m’a complètement embobeliné.

Pour y aller chronologiquement, je diviserai cette période en quatre temps :

Vietnam (1);

Montréal (2);

Saint-Hyacinthe (3);

Saint-Hyacinthe bis (4).


 VIETNAM

DA NANG  

 


                                                           Un être dépressif et le chien CaCao.

 

    La première partie, d’avril à novembre 2021, se déploie à Da Nang. Phuoc, à la demande du médecin qui m’a vu avant de quitter l’hôpital psychiatrique, devient responsable de la gestion des médicaments. Lors d’un renouvellement de ceux-ci, je rencontre le Dr Lu qui établit un lien entre mes maux de tête et les carotides, me proposant un traitement au “barolex” - injection quotidienne du produit devant éliminer ou du moins atténuer les étourdissements et maux de tête. Ce cardiologue s’exprime très bien en français, ayant vécu en France durant une dizaine d’années,  m’a également prescrit un examen IRM à la suite duquel on diagnostique un anévrisme qu’il faut, selon lui, corriger rapidement. Un neurologue parle du “gamma knife”, chirurgie disponible qu’à Saïgon ; tous les moyens de transport pour s’y rendre étant inaccessibles en raison des restrictions liées à la pandémie, on reportera jusqu’en octobre.

En plus de gérer la médication, mon voisin de palier m’impose une routine quotidienne comprenant deux pôles : marche seul autour du quartier en avant-midi et une marche plus longue avec le chien CaCao et lui à 17 heures. Je dois aussi continuer à m’alimenter.

Ce régime concomitant doit s’harmoniser avec les règles sanitaires imposées par la ville de Da Nang auxquelles s’ajoutent celles du gouvernement vietnamien. Elles auront pour conséquence de m’empêcher de prendre un avion pour revenir au Québec au mois d’août ; les aéroports ayant annulé tous les vols quelques jours avant le départ. Il faut décoder ici que ma décision est prise : ça sera retour au pays.

Ma condition physique devient bifonctionnelle : un jour il me semble que ça va mieux, puis le lendemain, repli à la case départ quand ce n’est pas un recul plus prononcé. Phuoc exige qu’à tous les matins j’attribue une cote en pourcentage afin de qualifier mon état général. Ça fluctue entre 45% et 75%, ce qui n’est pas rigoureusement scientifique et sans doute bien difficile pour lui d’en décoder le caractère.

Il y eut un temps - cela dura plus de deux semaines - au cours duquel nous fûmes contraints de demeurer dans l’appartement, interdiction de sortir sans raison valable. C’est au moment combien tendu du renouvellement de mon visa. Le principe est simple à comprendre : pas de visa, on est dans l’illégalité, ce qui signifie qu’il faut quitter le pays avec interdiction formelle d’y remettre les pieds, mais sans visa, impossible de quitter le pays. Par chance (certains ont dit par imprudence) risquant de le perdre, je poste mon passeport à une amie à Saïgon afin qu’elle voit à le renouveler. Cela mettra un certain temps, exigeant un certain... “pushing”, en d’autres mots, sortir le porte-monnaie.

C’est à cette période que, tous les jours, je discute avec F*, mon amie de Montréal devenue une confidente. À mes plans A qui trop souvent s’effritent, elle suggère des plans B.

 

SAIGON

 

    Lorsque Phuoc et moi partons pour Saigon, vers la fin du mois  d’octobre, je m’installe chez des amis dans le District 2. Le rendez-vous avec un neuro-chirurgien à l’hôpital Cho Ray a été programmé par le Dr Lu à Da Nang. Nous dûmes le déplacer en raison d’une tempête tropicale nous paralysant dans le wagon du train, de sorte que la durée du trajet passe de 19 à 29 heures.

La chirurgie (“gamma knife”) aura lieu fin octobre à l'hôpital Cho Ray ; rassuré par le médecin que cela ne m’empêchera pas prendre l’avion le 4 novembre 2021, à 23h50.

 

Hôpital Cho Ray (Saïgon)

 

À minuit mon visa ne sera plus valide.

J’ai souvenance qu’une fois assis dans l’avion, la pression qui flottait au-dessus de moi depuis des mois sans que je ne puisse la faire disparaître, me tombe dessus comme une tonne de briques.

Tout mon système nerveux s’écroule.

Le voyage durera vingt-neuf (29) heures.

En transit à Doha (Qatar) je réalise que les dernières heures avant Montréal seront infernales..

Ça sera le pire voyage de ma vie...

 

À la prochaine


 

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