lundi 3 juin 2024

KAFKA... 100 ans après.

K A F K A

( 3 juin 1883 - 3 juillet 1924)


« Une cage s'en fut à la recherche d'un oiseau.»

 

- Il faudrait, pour votre culture monsieur Turcotte, que vous laissiez un peu de côté les recueils de poèmes que vous lisez ad nauseam pour d’autres lectures qui permettraient de diversifier votre point de vue sur l’écriture. Je vous conseille Kafka. Franz Kafka.

    Je me souviens de ce conseil qui me fut donné par un professeur de français alors que  j’achevais ma dernière année au secondaire ; il précisait sa pensée en ajoutant qu’un point de vue n’a pas le même sens qu’une opinion : un point de vue c’est l’endroit où on se situe afin d’examiner une question et de ce regard cela nous permet d’émettre une opinion. Cet enseignant - je me permets de le nommer malgré qu’il ne soit plus aujourd’hui de ce monde, Monsieur Ghislain Dextradeur - nommé par la direction de l’école que je fréquentais à ce moment-là «superviseur» du journal étudiant dont je faisais partie, avait une approche que je qualifierais d’unique pour l’époque - entre 1960 et 1965. Moins, beaucoup moins porté sur la grammaire, la syntaxe que les autres professeurs que j’avais connus auparavant, il préconisait et encourageait la lecture. Il fallait, pour lui, lire… beaucoup lire. « Et pour lire, disait-il, il faut s’accompagner d’un cahier de lectures dans lequel, par respect pour l’auteur et la langue française, on notera des extraits à ne pas oublier, des phrases qui nous auront permis d’apprécier la qualité esthétique ainsi que les questions qui naissent à notre esprit.» J’ai, depuis, toujours conservé cette pratique, devenue chez moi une routine.

    Ses choix littéraires ne m’ont jamais tellement attiré - il adorait Bernanos, Mauriac et Maurois - alors, qu’avant ce conseil, je me délectais dans la poésie québécoise - Saint-Denys-Garneau, Nelligan, Charles Gill, Grandbois, Lapointe et deux illustres inconnus chez les profanes à ce moment-là, mais adulés par les intellectuels, à savoir Gaston Miron et Roland Giguère. Mon père recevait de plusieurs éditeurs québécois une masse de livres qu’il ne lisait pas, les laissant plutôt traînasser dans cette pièce mythique de la maison que nous surnommions «le bureau».

    Mais je suis loin de Kafka. J’y reviens à l’occasion du centenaire de son décès (3 juin 1924), lui qui est né le 3 juillet 1883 à Prague. D’origine juive, il écrira en allemand - rappelons qu’à son décès il avait demandé que l’on détruise son oeuvre composée de quelques romans inachevés ainsi que d’une correspondance d’environ 1500 lettres.

    Tous nous connaissons ses problèmes familiaux : un père strict qu’il qualifiera même de tyrannique ; une mère ne cessant de pleurer la mort de ses deux autres fils ; deux soeurs qui mourront dans les camps nazis et une soeur plus jeune que lui (Ottla) qui sera sans doute la seule relation familiale significative. Des problèmes de santé importants (tuberculose, en 1917, hypocondrie, dépression et phobie sociale, pour ne nommer que ceux-là, lui feront la vie dure.

Deux femmes auront été importantes dans sa vie, d’abord Melena Jesenka à qui il écrira plusieurs lettres et Dora Diamant avec qui il vivra à Berlin. Juif, il adoptera les principes du sionisme et souhaitera s’installer en Palestine


Il mourra dans un sanatorium près de Vienne le 3 juin 1924, il y a maintenant cent (100) ans. 

 

Le Procès
Franz Kafka

« La seule attitude judicieuse consiste à s'accommoder de l'état des choses.»

 

    Ai-je suivi le conseil de mon éminent professeur ? J’ai alors 16 ans… en route vers 17. C’est fou, mais ce qui m’a amené à emprunter LA MÉTAMORPHOSE à la bibliothèque, en plus du conseil de mon éminent professeur, a été le fait que KAFKA est né sous le signe du Cancer, tout comme moi ; et comme le dit l’expression populaire «la cerise sur le sundae» son animal dans l’horoscope chinois est le Cochon, tout comme moi. Nous devions inévitablement, un jour, nous rejoindre.

 

La Métamorphose
Franz Kafka

« Cette grave blessure, dont Gregor souffrit plus d’un mois - personne n’osant enlever la pomme, elle resta comme un visible souvenir, fichée dans sa chair - parut rappeler, même à son père, qu’en dépit de la forme affligeante et répugnante qu’il avait à présent, Gregor était un membre de la famille, qu’on n’avait pas le droit de le traiter en ennemi et qu’au contraire le devoir familial imposait qu’à son égard on ravalât toute aversion et l’on s’armât de patience, rien que de patience.»

 

    Entrer dans une oeuvre telle celle-ci, ouvrir la porte à un monde qui m’était absolument inconnu, inimaginable, et cela en pleine adolescence, ne peut que marquer l’être en mutation que j’étais. Habitué à détecter la métaphore dans les poèmes que je lisais, cette fois elle se manifestait de manière sordide, envahissante et obsédante à un point tel que j’en suis arrivé à comparer l’abject insecte à l’adolescence qui me grignotait autant physiquement que moralement. Kafka est devenu - et cela s’accentua à la lecture du PROCÈS dans lequel son asocialité se manifeste avec autant de malaise que dans LE CHÂTEAU - devenu un sujet d’interrogation pour l’esprit influençable qui m’animait. C’est dans LA COLONIE PÉNITENTIAIRE que Kafka atteint, selon moi, le sommet de son art alors que nous sommes plongés dans l’injustice, la cruauté d’une machine que son utilisateur vénère au mépris des souffrances que subit le condamné à mort. Plus tard, alors que je me  captive pour sa vie, j’en arrive à établir un lien entre l’endroit où se déroule une action - ici, une île tropicale - et son affection personnelle pour les îles. Ce type de lien entre des éléments de l’écriture d’un auteur et son passé devient pour moi une quasi obsession.


Franz Kafka

« Il est difficile de dire la vérité, car il n'y en a qu'une, mais elle est vivante, et a par conséquent un visage changeant. »

 

    Qu’est-ce qu’on entend exactement par l’expression « univers kafkaïen » ? En trois mots, voici comment on définit une situation kafkaïenne: oppressant, absurde et cauchemardesque. C’est exact, mais la réalité n’est-elle pas oppressante, absurde et cauchemardesque lorsqu’on y regarde de plus près ? Et c’est ce que je voulais absolument  vérifier : me rendre à Prague, devant sa maison, marcher dans les rues qu’il a lui-même empruntées et surtout m’imbiber de cette atmosphère qui fut sienne. J’ai réalisé ce rêve en octobre 2019. D’autres auteurs tchèques m’y ont également poussé : Leo Perutz, Milan Kundera, Bohumil Hrabal, Jan Trefulka, mais d’abord et surtout Kafka.

 

Franz Kafka

« La musique est une amplification de la vie sensible. La poésie, par contre, est une façon de maîtriser, de sublimer.»

 

Franz Kafka

« Un écrivain qui n’écrit pas est, en fait, un monstre qui frise la folie.»

 

Franz Kafka

« …nous devrions nous autres hommes nous tenir les uns devant les autres avec autant de respect, autant de gravité et d’amour que devant les portes de l’enfer.»

 

    Se promener sur la Place Venceslas, traverser le Pont Charles, se balader sur la Moldau tout en écoutant le poème musical de Smetana, flâner dans la vieille ville imaginant Kafka trottinant vers chez lui, s’émerveiller devant le Château de Prague… cette trop courte semaine fut absolument fantastique.

  


    

   

     J’achève ce billet consacré à celui que je considère comme mon auteur fétiche, en m’attardant à cette LETTRE AU PÈRE dont il est intéressant de voir la copie originale au musée consacré à l’auteur.


                                                  

Lettre au père
Franz Kafka

« C'est comme pour quelqu'un qui a cinq marches basses à monter, tandis qu'un deuxième n'en a qu'une, mais une qui, du moins pour lui, est aussi haute que les cinq autres réunies ; le premier ne se contentera pas de venir à bout de ses cinq marches, il en montera des centaines, des milliers d'autres, il aura même une vie pleine et fatigante, mais aucune des marches qu'il a gravies n'aura eu pour lui autant d'importance que n'en a pour le second cette unique marche, la plus haute, celle qu'il ne pourrait pas monter quand il y mettrait toutes ses forces, celle qu'il ne peut pas

Lettre au père
Franz Kafka

« Je t'accorde que nous luttons l'un contre l'autre, mais il y a deux sortes de combats. Le combat chevaleresque, où des adversaires libres mesurent leurs forces, où chacun reste seul, perd ou gagne par ses propres moyens. Et le combat du parasite qui, non seulement pique, mais encore assure sa subsistance en suçant le sang des autres.»

Lettre au père
Franz Kafka

« Je crois que tu as un certain talent d'éducateur ; ton éducation aurait certainement pu être utile à un être fait de la même pâte que toi ; il aurait aperçu le bon sens de ce que tu disais, n'aurait point eu d'autres soucis et aurait tranquillement accompli les choses de cette façon ; mais pour l'enfant que j'étais, tout ce que tu me criais était positivement un commandement du ciel, je ne l'oubliais jamais, cela restait pour moi le moyen le plus important dont je disposais pour juger le monde, avant tout pour te juger toi-même, et, sur ce point, tu faisais complètement faillite.»

 

    Je ne me permets pas de commentaires sur cette lettre sauf celui-ci : le père a souvent été glorifié dans la littérature québécoise, considéré comme un colonisateur, un coureur des bois, un défricheur, en gros celui qui, le premier jour de l’année nouvelle, devant ses enfants agenouillés, les bénissait ; on lui devait respect inconditionnel et déférence absolue.

    Est-ce que Nelligan aurait pu écrire une lettre telle celle de Kafka ? Le modèle du «père» développé par Marie-Claire Blais ne ressemble-t-il pas, un peu du moins, à celui de Hermann Kafka, père de Franz ? Tout ce qui se fait actuellement en recherche sociale sur la place du père dans la famille, de l’homme dans la société, cela puise-t-il, un peu du moins, dans des situations telles que l’a vécu ce Kafka pour qui, aujourd’hui, nous célébrons le centième anniversaire du décès. Tellement d’autres par la suite en ont signalé l’importance.


)(  Si vous le souhaitez, voici quelques liens YOU TUBE qui permettent de voir des illustrations de LA MÉTAMORPHOSE ainsi que d'entendre à partir du KAFKA BAND, des textes de l'auteur mis en musique.


https://www.youtube.com/@KafkaBand/videos

https://www.youtube.com/watch?v=iCXKtx0IsHk&t=386s

https://www.youtube.com/watch?v=e8ZILYov9Tg

https://www.youtube.com/watch?v=Yd8sRHhV2Qw







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