mercredi 26 décembre 2012

Les chroniques du Café Riverside




LES CHRONIQUES DU CAFÉ RIVERSIDE
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La misère est moins pénible au soleil

Charles Aznavour a rendu célèbre cette phrase dans une magnifique chanson. Sait-on exactement ce qu’il entendait par «misère», «pénible» et «soleil»? À n’en pas douter, s’il l’avait écrite au Québec en plein mois de décembre, nous aurions reçu quelque chose comme : « La misère est pénible sans soleil.» 

Mon ami Gérard qui se prélasse actuellement sur les plages floridiennes en compagnie de la belle Maryse, me «courriellisait», après avoir admiré mon vélo «Baby», un lien vers la chanson d’Yves Montand, À bicyclette. Il y a du soleil dans cette chanson, tellement de chaleur dans la voix de Montand qu’elle m’est devenue  ver d’oreille chaque fois que je me balade dans mon quartier et son arrondissement.

En fait, partout il y a du soleil, sans être tout à fait le même selon l’endroit où nous nous trouvons. On ne devrait donc pas, si l’on se fie au grand petit Charles, ressentir outrageusement la misère. Va pour la Floride et le Vietnam, où sa présence dépasse les limites si calculée en heures/année, alors que le soleil québécois doit actuellement se désâmer à tenter de faire fondre la neige. Associer soleil et misère tient donc un pari difficile à soutenir. Si j'examine la question, verres fumés aux yeux et caquette sur la tête, du point de vue de mon soleil vietnamien, celui qui se lève vers 6 heures le matin, recouvre le pays durant les douze heures suivantes avant de disparaître vers 18 heures, je dois dire qu'il compose tout un monde autour de lui. Monde fascinant.

Longtemps au Québec, on a associé la misère à la couleur «noire», au pauvre monde, aux malheurs qui empoisonnent la vie. On parlait très peu du soleil. Misère et noirceur furent même considérée comme synonymes à l’époque de la grande noirceur québécoise (la «black nun» comme le disait Les Cyniques). Et pour seul espoir, non pas le soleil mais la grande clarté libératrice d’une vie future dans un autre monde duquel on ne savait rien, même pas s’il y fait soleil.

Tous les matins, à vélo, il m’est permis de savourer la fraîcheur du temps, heureuse rencontre d’un léger vent du sud-est s’associant au soleil pour former un microclimat unique, difficile à exprimer correctement, peut-être une forme très avancée de bonheur paradisiaque. Pendant que je roule à bicyclette, autour de moi ça grouille d’odeurs de petit déjeuner, ça sent la besogne que déjà on a entreprise, ça roule et ça marche, ça jase et ça rit… sous un soleil que certains évitent, que d’autres font avec; je vous jure que la misère n’est pas au rendez-vous. Même scénario tous les matins avec de petites variantes dans les odeurs, mais le même quel que soit le quartier dans lequel je me retrouve.

Parler soleil serait ne plus envisager la misère? Dans ce Vietnam continuellement abrité sous le soleil, malgré que je puisse, et cela tous les jours, constater les différences frappantes entre ce qu'on appelle richesse et pauvreté, je ne perçois pas de misère. Misère des riches (celle de ne plus savoir quoi posséder en plus) misère des pauvres (celle de ne plus savoir comment assurer l’essentiel). Elle semble se diluer dans l’atmosphère. Être autre chose. J'entends par là que les Vietnamiens habitent leur territoire avec une immense affection: territoire de terre, d’eau, d’air et de soleil. Pas surprenant que le gouvernement actuel, tout comme ceux qui l’ont précédé, interdisent la commercialisation de la terre. Elle est vietnamienne, le restera. Impossible d’acheter un lot, même un petit lopin de terre. Propriété publique. Il y a dans cette décision une volonté évidente de s’enraciner davantage sous le soleil. Ne devrait-on pas envisager une telle mesure dans notre Québec qui semble ne pas se reconnaître sur son propre sol, sous son propre soleil?

La misère peut mener au malheur. L’écrivain vietnamien Nguyen Du associe, en bon taoïste qu’il a été, bonheur et malheur : «La base du malheur et du bonheur est semblable à quelque chose qui se maintient sans qu’on ait besoin de soutenir.» Selon lui, leur origine est similaire de sorte que d’aucuns sarclent du bonheur, d’autres le malheur. Difficile alors de se plaindre ou rendre les autres responsables de ce que le destin dépose dans nos mains; on doit utiliser les instruments reçus pour sarcler ce que l’on a à sarcler. Et je vous le confirme, on sarcle sous le soleil. Tôt le matin jusqu’au moment où la lune, toute claire et chaude de la couleur de son grand frère prenne le relais pour la nuit.

L’astre du jour fabrique également toute une palette de couleurs là-haut dans son atelier brûlant: de celle de la peau qui basane si vite à l’éclat immobilisé du firmament; celle de l’ombre, terrible alliée souvent recherchée afin de respirer autre chose que cette chaleur utérine; celle des cheveux des femmes transformés en miroir; des verdures qui tranchent sur l'eau brune de la rivière; toutes ces couleurs métamorphosées en un instant quand deux nuages obstruent le soleil... Le ventre de cette femme, porteuse encore d'un enfant à venir, mère couleur «chaleur solaire», couleur qui permet à l’enfant à venir de savoir, déjà, que la misère n’existe pas ou n’existera pas.

Mes balades à vélo, ici tellement différentes de celles dans ma campagne saint-pienne, se changent en antennes enregistrant les battements du cœur de ce petit coin de Vietnam.  Par la suite, j’écoute ces sourires sincères, ces regards surpris, ces coups de chapeau conique, ces mains qui lancent de grandes salutations, ne pouvant m’empêcher de penser que la misère est peut-être moins pénible au soleil, mais surtout que la misère, ici, c’est beaucoup comme la neige québécoise par une journée d’hiver qui frôle les 10 degrés Celcius.

Me dire également que certaines personnes, politiques ou autres, profitent de cet abandon à la chaleur d’une population dont le souci premier, primaire, reste celui d’apprécier le fait d’être encore, aujourd’hui, vivant sous le soleil. Il y aura toujours deux éléments dans la beauté: son en-soi et son exploitation.

Je ne sais trop si c’est en raison du type de régime social ou autre chose enfouie dans les gênes vietnamiens, mais vivre ici semble se résumer à manger, et bien manger, à dormir, et bien dormir, travailler pour la famille, et être bien en famille, cette cellule essentiellement fondamentale.

Vous trouverez certainement ces paroles naïves mais je crois que le Vietnamien moyen pourrait les dire à ma place : être heureux c’est répondre à ses besoins de base ainsi qu’à ceux de la collectivité proche;  ne pas se soucier du lendemain, il y a de fortes chances qu’il soit tout comme la veille. De toute manière, prendre du temps pour souffrir une quelconque misère ne génère aucune énergie positive. Il me semble que la volonté vietnamienne tient beaucoup de l’énergie solaire.

La misère est moins pénible au soleil. En fin de compte, je suis tout à fait d’accord.

dimanche 23 décembre 2012

2ième vidéo de Noël



Voici, toujours à motocyclette - désolé pour ceux et celles qui ont vomi la dernière fois - la rue Le Duan (elle se rend du Jardin Zoologique jusqu'au Palais de la Réconciliation en passant derrière la Cathédrale Notre-Dame), rue décorée pour la Noël.

Surprenant de voir à quel point on souligne cette fête. Je dois dire que les chansons de Noël, eh bien pour moi ça peut aller.

Bonne balade.

Joyeux Noël, une autre fois.

À la prochaine

jeudi 20 décembre 2012

Spécial pour Noël

Eh bien non...
Pas de fin du monde le 21 du 12 de 2012.
La prédiction maya s'en donc avérée fausse malgré que je ne sais trop combien de «maillets» y ont cru.

Cette vidéo a été tournée dans le District 8 de Saïgon. Une tradition veut que la rue (nous la parcourrons ensemble en motocyclette) se transforme pour Noël et s'habille de mille et une décorations qui vous rappelleront sans doute le décor, neige en moins, que vous avez sous les yeux en ce moment.

Je vous souhaite un Joyeux Noël tout blanc de neige immaculée.

À bientôt

mardi 18 décembre 2012

Mon nouveau vélo sur vidéo


Il me fait plaisir de vous présenter mon nouveau vélo. Chaque matin, nous partons pour plus d'une heure à la découverte du quartier, même un peu plus loin. Comme il n'est pas évident de circuler, ces randonnées me permettent d'affiner ma conduite, de prendre quelques risques avant d'affronter les grandes artères.

L'après-midi c'est davantage une balade... en sifflant.

À la prochaine

dimanche 16 décembre 2012

Les chroniques du Café Riverside






LES CHRONIQUES DU CAFÉ RIVERSIDE

4


Jeune fille à la Vespa jaune et le valet de trèfle


Il y a certainement un lien entre le fait de m’être procuré un vélo et vous parler (alors que vous lirez) de la jeune fille à la Vespa jaune. Lien facile à établir comme vous le verrez bien. Mais pour se faire j’emprunterai deux chemins qui ne sont pas tout à fait des raccourcis.

Le premier. Saïgon est une ville dont la population tourne autour de 11 millions d’habitants et, semble-t-il, on y dénombrerait autant de motocyclettes (Honda et Yamaha parmi les plus répandues). Depuis que je suis l’heureux propriétaire-utilisateur d’un vélo (Martin 107 avec pas de vitesses), je cherche à savoir combien serions-nous à se balader avec ce moyen de transport: beaucoup moins que les motos, autant que les voitures peut-être.


Le deuxième. Dans cette même ville, selon vous quelles seraient les chances de croiser la même personne plus d’une fois? Pas nécessairement dans la même journée, disons dans la même vie, en tenant compte que vous ne vivez à Saïgon que 182 jours par année. Statistiquement difficile à dire surtout si les critères suivants s’ajoutent: 

la personne devrait être 

-      une jeune fille à longs cheveux noirs;
-      rouler sur une Vespa jaune portant un casque de la même couleur;
-      être habile, très habile sur motocyclette.

Les chances semblent aussi nombreuses que celle de trouver un valet de trèfle par terre. Je vous disais que les Vietnamiens croient à la chance, en fait ils se la souhaitent. Le fait qu’ils soient de grands consommateurs de billets de loterie le démontre bien. Un peu dans la même veine, celle des jeux de hasard, ils raffolent des cartes. Il n’est pas rare de trouver une carte égarée par terre sur les trottoirs ou dans une artère ombragée d’un parc. J’en ai même trouvé une sur ma route du matin, celle qui me mène en vélo vers la périphérie du District 7, petit coin de campagne quasiment en ville.

Si revoir cette jeune fille à la Vespa jaune qui manifestait une incroyable habileté dans la conduite de sa motocyclette était aussi aisé que de marcher sur une carte égarée, pas nécessairement le valet de trèfle, alors je la croiserais tous les jours tellement les cartes tapissent le sol.

Nous roulions en direction du centre-ville en cette fin d’après-midi, pas encore tout à fait l’heure de pointe mais déjà le flot des motocyclettes grossissait à chaque rue. On a doté les grandes artères de feux de circulation, pas les rues secondaires, de sorte que la priorité de tourner, de doubler sur la gauche ou sur la droite fait partie d’un code non écrit que pourtant chacun respecte. Le principe directeur me semble être : protéger sa droite ou quelque chose dans le genre. Circuler en motocyclette exige une attention constante et soutenue car tout peut survenir à tout moment. 

C’est à cet instant que la fille à la Vespa jaune se glissa tout à côté de la Yamaha. De longs cheveux noirs flottaient dans son dos comme alimentés à l’électricité statique. Délicate. Très vietnamienne dans sa tenue traditionnelle. Son azimut en tête, rien n’allait lui barrer la route. Une détermination sans équivoque la faisait de plus en plus ressortir du groupe de motocyclistes rassemblés telle une meute de loups attendant un signal à peine perceptible pour sauter dans la mêlée. A-t-elle vu que je la remarquais? Étais-je le seul? Elle se distinguait par cette assurance, celle de ceux qui possèdent quelque chose comme la beauté globale; cette beauté qui attire regard et admiration. En un mouvement brusque et assuré, elle se faufila entre deux motos. La voici tout juste devant nous. Je pouvais l’admirer de dos. Tout était gracieux. Parfait. Les klaxons des voitures, des camions et des autobus hurlaient. Cela ne la préoccupait pas. Évident qu’elle nous préparait une autre manœuvre. 

Vive comme l’éclair, frôlant un vélo-pousse, la jeune fille à la Vespa jaune bondit carrément en tête de file. Ses hanches aux mouvements de baladi synchronisées avec la moto. Le dos délicatement arqué sur sa droite la rendait plus féminine encore. La voici qui accélère à l’endroit même où les autres motos rétrogradent ou stoppent vivement. Déjà au loin, une tache jaune s’éloigne, laissant pantois, nous et nos regards subjugués qui  cherchent encore, dans le parfum du pétrole et la clarté qui baissait, une jeune fille évaporée.

Revoir, dans Saïgon, une jeune fille roulant sur Vespa jaune, vêtue du traditionnel costume vietnamien, la manœuvrant de main de maître relève autant du hasard que, une fois encore, trouver par terre un valet de trèfle sorti d’un jeu de cartes maintenant incomplet.

Nos rencontres relèvent-elles de l’aléatoire? Du résultat d’un tirage au sort? La chance ne serait-elle qu’attente ininterrompue? Un billet de loterie gagnant… Être au bon endroit au bon moment… Être né sous une bonne étoile… Un peu comme ce rapide éclair jaune dans le smog vietnamien de fin d’après-midi, comme fouler du pied un valet de trèfle, la chance n’aurait-t-elle pas la mauvaise et sinistre habitude de ne jamais se présenter lorsque nous l’exigeons? Ou de bondir au moment où on s'y attend le moins? Certains diront qu’il faut faire sa chance, qu’il faut croire en sa chance. Sans doute. Mais cela ne me ramènera pas ce fugace instant jaune.



À la prochaine

jeudi 13 décembre 2012

La vidéo de la semaine


Tous les mardis, c'est journée 2 pour 1 chez Dominos's Pizza.
Mardi dernier, j'y étais avec Lisa, sa fille et YoYo.
Voici quelques images prises à la sortie du restaurant bondé de monde.

À la prochaine

mardi 11 décembre 2012

Petites histoires drôles

Rue devant la gare de Saïgon


Deux autres petites histoires locales et quatre courtes phrases - de celles qui dépannent - en langue vietnamienne.



Celui qui refusait d’être un flatteur

         Il y avait un vieil homme très riche qui aimait être flatté. Tout près de chez lui vivait un homme pauvre, mais qui jamais n’adressait de flatterie à ce vieux richard. Une fois, le vieux appela cet homme pauvre et lui dit :

- Tu sais que je suis un homme riche. Très riche même. Alors, pourquoi ne me flattes-tu pas?

- Que Monsieur soit riche, très riche même, je n’en ai cure. Pour quelle raison devrais-je le flatter?, répondit l’homme pauvre.

- Si, reprit le vieil homme riche, je te donne la moitié de mon patrimoine, est-ce que tu me flatteras?

  - Monsieur, sachez qu’avec la moitié de votre patrimoine je deviendrais un homme riche, tout comme vous. Pourquoi devrais-je encore vous flatter?

   -  Alors je te donnerai tout mon patrimoine. Me flatteras-tu à présent?

L’homme pauvre, le regardant droit dans les yeux, répondit :

-   À ce moment-là, ce sera à Monsieur de me flatter, moi.



Le canard à deux pattes

Un jeune homme flattait un mandarin. Un jour, apercevant le canard du mandarin dormant sur une patte, l’autre étant rétractée, ce jeune homme dit par manière flatteuse :

-      Honorable, très Honorable mandarin, votre canard a noble apparence.

-      Comment noble apparence, rétorqua le mandarin?

À l’improviste, le canard se réveilla, étendit sa patte rétractée vers le sol. Le jeune homme, ne sachant trop quelle louange encore inventer, redressa la tête en disant d’un air sérieux :

-      Honorable mandarin, le canard du mandarin a … deux pattes, ah!

Furieux, le mandarin fit passer la porte au flatteur.



D’une langue à l’autre


Tôi moi noi duoc it tieng Viêt thoi 
( Je ne parle qu’un peu de vietnamien.)

Tôi không hieu
(Je ne comprends pas.)

Tôi hieu
(Je comprends.)

Tôi muon hoc tieng Viêt
(Je veux apprendre le vietnamien.)


À la prochaine

samedi 8 décembre 2012

Les chroniques du Café Riverside



LES CHRONIQUES DU CAFÉ RIVERSIDE

3

Le crayon coupe-papier et le harem de Khadafi



Le temps est lourd, pesant. À l’orage. Sans doute en raison du typhon Bopha qui détruit  actuellement une partie des Philippines. Tellement lourd, tellement pesant qu’un seul petit courant d’air circule au Café Riverside; il provient du ventilateur qui s’enrage à vouloir le distribuer partout sur la terrasse. Quelques rayons de soleil ce matin puis ces nuages qui enveloppent Saïgon ne laissant au firmament aucune chance de se pointer le bout du nez. Sur la rivière plusieurs feuilles rassemblées en touffes suivent le courant. Un lotus rouge parmi elles donne de la couleur à ce brun sur gris. 

J’étais ici hier soir, non pour écrire mais y achever la lecture du roman d’Amos Oz, SEULE LA MER. Absolument bouleversant. Quelques chapitres troublent par leur sincérité, leur sensibilité; ils décrivent sur un ton poétique le quotidien de ceux qui, après la mort, restent, de ceux pour qui l’en-allée sera toujours restante. En fait, les chapitres qui s’éloignent de la ligne continue du livre - le double deuil, d’un mari et d’un fils, de cette femme atteinte du cancer et qui brodait à la dentelle tout en regardant la mer - ces chapitres enveloppent l’idée maîtresse cherchant à nous en éloigner comme si le deuil pouvait s’intégrer (se vivre) plus aisément par le mouvement, le départ ou le changement dans nos habitudes quotidiennes. Cette femme souhaitait achever son ouvrage avant que l’oiseau du matin lui annonce que ça allait advenir aujourd’hui; elle ne croyait pas à l’espoir que médecin et famille entretenaient sur son état. Elle savait. Aura raison, celle qui deviendra «leur sommeil».

Le roman se situe quelques années après la fin de la deuxième guerre mondiale, écrit par un israélien critique du sionisme qui prend forme. Si je vous disais que l’on y retrouve deux phrases sur les camps de concentration, sur les misères dans lesquelles les Juifs se complaisent parfois, eh bien j’exagérerais. Pas du tout dans cette thématique si souvent abordée par plusieurs auteurs au cours des cinq dernières années.

Après ce roman et le fait de réaliser que je suis ici depuis plus de trois semaines déjà, je me rends compte que la distance s’amuse à réveiller certains souvenirs, comme si des grands coups de mémoire fracassaient tout, les faisant surgir d’un inoffensif détail. Est-ce que ça existe la mémoire émotionnelle?

Le crayon coupe-papier en est un exemple.

J’étais à la plage de Phan Thiet, près de Muiné. Le lunch achevé, se présente le garçon du service aux tables, facture en main, nous demandant de la signer pour qu’il puisse l’assigner aux frais de notre chambre. Pour se faire, il nous présenta un stylo blanc . Je suis demeuré stupéfait, un instant. Ce crayon blanc était la copie exacte, couleur en moins, du stylo qui reposait sur le petit secrétaire de la salle d’entrée chez mon grand-père Bergeron. Le crayon d’Eudore (le prénom de mon grand-père) était brun. En plus d’être un stylo à bille, il pouvait servir de coupe-papier en raison de sa forme.

Le crayon coupe-papier brun d’Eudore, placé tout à côté du téléphone n’était utilisé que par lui. Personne d’autre n’y touchait. Eudore ne savait écrire que son nom, il s’en servait donc rarement. Jamais ne l’ai-je entendu interdire à qui que ce soit d’approcher ce crayon coupe-papier mais par une sorte de convention non dite et non-écrite, personne n’y touchait. Je m’en souviens parfaitement bien manifestant pour cet objet presque mythique une attirance particulière. Aujourd’hui, rationalisant la situation, je dirais qu’en raison de l’analphabétisme d’Eudore, toucher à ce crayon eut été comme violer l’intimité de cet homme qui croyait que le travail valait davantage que l’éducation. Écrire son nom - il ne disait pas «signer mon nom» - voilà jusqu’où l’école l’avait mené.

J’utilise le mot éducation mais le terme instruction conviendrait mieux, car de l’éducation il pouvait en vendre et en revendre alors que de l’instruction se résumait à fort peu.

Revoir un crayon coupe-papier… plus de cinquante ans après … m’a amené à penser qu'un objet ayant en soi fort peu d’importance peut signifier beaucoup. Un évènement aussi, j'imagine. Une couleur, une odeur, un visage, une voix. Je sais que ce stylo coupe-papier presque jamais ne servait; signer un document parfois, occasionnellement. S’en départir, jamais pour rien au monde car sa seule présence, toujours au même endroit, était pour le grand-père, l'assurance qu’avec quelques lettres mises bout à bout on peut obnubiler l’ignorance.

L’ignorance va au-delà du manque d’information. Ignorer c’est se rendre esclave de préjugés, de qu’en-dira-t-on; ne pas se fier à son opinion, ne pouvant en formuler aucune; se résoudre à percevoir et comprendre le monde à partir de ce que les autres nous disent être la vérité; vérité et foi se confondent souvent.

J’en ai pour exemple un reportage qui m’a ému et troublé à la fois. Pour entendre parler français à Saïgon j'ai bien peu d’options. La plus simple : TV5 MONDE. Comme je ne suis pas amateur de télévision, je m’astreins à n’écouter que les informations présentées en «flash» ou en bulletins provenant de France, quelques fois du Québec.

Je ne me souviens plus exactement quel soir on diffusait sur TV5 MONDE un reportage sur la Libye de l’après Khadafi. Passons rapidement sur les analyses des spécialistes de la région pour en arriver à mon propos : l’ignorance.

Un journaliste français a réussi le coup fameux de retrouver une jeune fille ayant fait partie du harem du Colonel Khadafi. Elle a accepté de suivre la télévision française en route vers le palais personnel du dictateur, aujourd’hui en ruine, tout en racontant son histoire.

Elle fut enlevée par des membres de la garde rapprochée de l'ancien maître incontesté de Libye alors que celui-ci, visitant une école, la remarqua. Elle avait à peine 16 ans. Il en fit sa préférée. À un point tel que son appartement, qu’elle parvint à retrouver dans les ruines de ce palais sous haute surveillance, était directement situé sous la chambre du colonel. Elle fondit en larmes.

C’est à ce moment que des hommes armés font irruption, sous l’œil de la caméra, exigent des explications qu’elle leur donne le souffle coupé comme si elle revivait ces moments où on l’arrachait à son petit réduit pour la conduire dans le lit de l’ogre affamé. On ne la croit pas. On lui dit que cet endroit est interdit, que si elle connaît si bien les lieux, c’est qu’elle entretient toujours des liens avec l’ancien régime. Elle réplique, élaborant sur le type de liens qu’elle devait obligatoirement avoir avec le dictateur. On l’arrête, la fait grimper dans une jeep et elle sera conduite dans un lieu secret pour un interrogatoire. Plus personne n’a entendu parler de cette jeune fille, la préférée parmi toutes celles qui s’entassaient dans le harem du Colonel Khadafi.

Je relie cette courte histoire à l’ignorance. Non pas celle d’Eudore, mon grand-père, mais celle qui prévalait en Libye. Ailleurs également. On est tous des ignorants à certain niveau. Maintenir les gens dans cet état c’est les empêcher de réfléchir par eux-mêmes, pire encore, leur induire des concepts, par la force et par la peur, afin qu'ils les multiplient inconsciemment. Ils deviennent comme un stylo coupe-papier reposant sur un secrétaire. Plus rien ne bouge. On ne touche à rien. On arrive même à oublier, on fait partie d'un environnement qu'on ne questionne plus.

Ceux qui ont arrêté cette jeune fille l'ont victimisée une deuxième fois: victime du système initial, maintenant de celui qui s'installe. Ignorant ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a subi, ils sont convaincus qu’ayant côtoyé l’ancien régime, elle en fait  encore partie. Et ils ont exécuté le protocole les yeux fermés tout comme on le faisait à l'époque où l'ignorance faisait la loi.

On a fait la révolution en Libye. Tué le tyran. Mais a-t-on éradiqué l’ignorance? Les concepts qui font agir maintenant sont-ils si différents que ceux que l’on a voulu voir disparaître avec cet homme rapidement enterré dans le désert?

La véritable révolution, encore à faire, sera sans doute celle contre l’ignorance : de l’analphabétisme au péché contre l’esprit.

À la prochaine

jeudi 6 décembre 2012

La vidéo de la semaine



Ce jeu (Da' Cân) se joue dans plusieurs parcs de Saïgon. Ici, j'ai filmé quelques adeptes de cette activité dans le Parc du 23 Septembre, tout près du Marché Benh Thanh,

À la prochaine


mardi 4 décembre 2012

Petites histoires drôles

Lotus, fleur emblème du Vietnam


L’humour aide beaucoup à mieux comprendre certains traits de la culture. Au Québec, au risque de me tromper, l’humour semble glisser vers le «pipi-caca» et le sacre facile. Ce que je trouve au Vietnam s’inscrit dans un tout autre registre.

J’ai déniché à gauche et à droite quelques petites histoires drôles et, à l’occasion, vous en offrirai une afin de vous faire partager ce qui fait rire – et réfléchir tout à la fois – le peuple vietnamien. Rien à voir avec «c’est l’histoire du gars qui …». Vous constaterez par vous-même.

J’ajouterai, pour votre culture personnelle et stimuler mon apprentissage combien ardu de la langue vietnamienne, un ou deux mots, une ou deux expressions que tout voyageur au Vietnam devrait connaître. Pour ce qui est de la prononciation juste, c’est une autre histoire… Tout cela, juste pour rire!

La première petite histoire drôle s’intitule : MAÎTRE et SERVITEURS.

Ça va comme ceci.

         Un vieil homme, très riche, avait recruté trois serviteurs. Il les avait choisis selon leur caractère. Il en souhaitait un premier qui soit soigneux, un deuxième prévoyant et le dernier, poli.

Un bon jour, l’aîné des enfants du vieil homme tomba dans un ruisseau profond. Le serviteur (soigneux) vit la situation et courut le dire à son maître:

-        - Pardon, Monsieur, votre fils aîné est tombé dans le ruisseau, je vous demande l’autorisation d’aller le secourir!

Une fois repêché, le fils avait bu tellement d’eau qu’il fut impossible de le sauver. Le vieil homme, furieux, congédia le domestique (soigneux) sur le champ et ordonna au serviteur prévoyant d’aller acheter un cercueil. Celui-ci partit immédiatement et revint avec deux cercueils.

Le maître, voyant cela et fort étonné, exigea des explications.

-     -              Voilà, j’ai fait cet achat en prévision, si jamais un accident arrive au second fils, nous l’aurons immédiatement sous la main.

Furieux, armé d’un bâton, le vieil homme chassa le serviteur prévoyant. Il ne lui restait plus qu’un seul serviteur, le poli. Un jour, alors que le maître et son serviteur passaient par un village, ils se retrouvèrent devant un ruisseau torrentiel. Le serviteur poli transporta le maître sur son dos et ne proféra aucune plainte. Le vieil homme le complimenta :

-      -     Excellent! Excellent! Tu supportes cette charge supplémentaire sans jamais te plaindre. L’an prochain, je te donnerai en récompense un habit splendide.

En entendant ces mots, le serviteur tout confus déposa aussitôt le maître au beau milieu du ruisseau, joignant les mains, il répondit poliment :

-      -          Je me permets de remercier beaucoup mon maître!





D’une langue à l’autre
(Je ne pourrai pas vous transcrire tous les signes
mais le ferai quand mon clavier me le permettra.)

Chào ông!                     Bonjour monsieur!
Chaò bà!                       Bonjour madame!
Chaò cac anh!              Bonjour messieurs!
Chaò cac ban!              Bonjour les amis!
Xin chaò cac anh chi!  Bonjour messieurs, mesdames!
Tôi xin chaò ông!       Je me permets de vous saluer, monsieur!


À la prochaine

Un être dépressif - 14 -

  Un être dépressif - 14 - C’est à partir du poème de Jean DUGUAY, mon ami psychologue-poète, que je lance ce billet.                      ...