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Saïgon
Le café Nhớ Sông vidé de ses ivrognes étrangers, ne restent plus que trois hommes confortablement installés au fond de la place. L’après-midi tranquille de ce jeudi s’annonçait ennuyeux pour la serveuse tatouée qui avait laissé un message à l’intention de Thi, celui qui la relève le soir.
C’est ainsi qu’ils communiquent, un bout de papier à l’entrée du café signifiant que l’un souhaitait voir l’autre durant son quart de travail. Elle se dirigea vers les derniers clients encore présents, leur offrit de renouveler les breuvages. Ils paraissaient préoccupés par une affaire commune les empêchant de parler à haute voix.
- Oui, la docteure Méghane est bien rentrée cette semaine du Canada, dit le seul des trois arborant des verres correcteurs qui ne sauraient passer inaperçus : son nom est Đại Tá Thứ Một.
- On reprend notre surveillance, répondit le second, Đại Tá Thứ Hai, que la remarquable maigreur fait triste à voir.
- Je me suis toujours demandé comme il se fait que son nom de famille n’a rien de vietnamien, reprit l’homme aux verres.
Le troisième, l’obèse Đại Tá Thứ Ba, prit la parole, expliquant cette bizarrerie.
- Très simple à comprendre, Một, il l’a tout simplement changé une fois obtenue sa nationalité canadienne. Avant, cela lui était impossible. Le nom de famille Méghane est québécois, cette province francophone du Canada où il a installé sa famille après avoir fui le Vietnam.
Nous serions portés à les croire proches parents si l’on se fie à la ressemblance des noms. En fait, pas du tout. Les hommes ont choisi de conserver leur grade militaire, celui de colonel - đại tá en langue vietnamienne - y accolant chacun un numéro, soit (Một) - un, (Hai) - deux et (Ba) -trois, afin de les distinguer.
Ils furent responsables, l’un à la suite de l’autre, sur une période de cinq ans chacun, d’une unité secrète qui aura existé durant une longue partie du temps que subsista le conflit opposant les frères ennemis que sont les Vietnamiens et les Cambodgiens. Constituée au moment de son déclenchement début 1979, elle relevait directement du haut commandement militaire au ministère de la Défense et supervisée par le ministère de l'Intérieur, ici à Saïgon et cessera ses opérations en 1993.
Le but de la mission : capturer Pol Pot - le chef des Khmers Rouges cambodgiens - pour le faire passer au Vietnam. Si l’opération s’avérait difficile , voire impossible et que le liquider se révélait être la seule solution, on était autorisé à agir dans ce sens, mais le corps devait obligatoirement se retrouver à Saïgon. Pour atteindre l’objectif, tous les moyens pourront être utilisés en autant que rien ne puisse identifier le commanditaire de l’expédition.
Dès lors, il fallait trouver les bonnes têtes, celles qui mèneraient l’affaire avec doigté. On se mit à leur recherche chez l’état-major campé à Saïgon, devenue, depuis 1976, Hô-Chi-Minh-Ville. Les recherches débutèrent une année avant son déclenchement.
Gardons en mémoire que nous sommes trois ans après la réunification du pays, qu’un nombre considérable de soldats fidèles aux autorités sud-vietnamiennes vaincues le 30 avril 1975, de miliciens et autres, armés jusqu’aux dents, n’allaient pas facilement renier leurs allégeances, encore moins accepter sans coup férir de rendre galons et armes. Il fallut une campagne favorisant la délation pour nettoyer le paysage. Les camps de rééducation appuyèrent cette démarche, semant crainte et anxiété parmi ceux qui reçurent, comme une étoile jaune des Juifs à l’époque du ghetto de Varsovie, la fâcheuse étiquette de collaborateurs.
Des fiches qui dormaient dans les commissariats de police, les agences de sécurité et celles récupérées à l’ambassade américaine, permirent aux responsables de l’unité spéciale et secrète de constituer un premier groupe dont les sujets pouvaient s’avérer aptes à en faire partie.
Les dangers encourus, les risques et périls liés à cette opération éliminèrent ipso facto tous les gradés việt cộng, mais pouvaient aisément convenir à d’anciens serviteurs du régime pro-américain. Dans ce répertoire, on découvrit, sans trop de surprises d’ailleurs, d’interminables listes de gens ayant participé ou furent complices du système militaire sud-vietnamien. On n’avait plus qu’à choisir, sachant pertinemment que l’on aurait affaire à des associés véreux, d’anciens ennemis féroces des Việt Cộng.
Dans ce groupe constitué d’une cinquantaine d’anciens militaires, on en dénicha quelques-uns dans les camps de rééducation ou emprisonnés ici et là. Les autres, on les arrêta, les séquestra, scrutant parcimonieusement leurs antécédents. À la fin, un peu moins de la moitié fut éliminée. Pour respecter le premier critère, celui du secret absolu autour de cette unité, les candidats retranchés disparurent de la circulation - on ne laissait rien au hasard - les autres, conduits dans un cantonnement retranché sur l’Île de Côn Dau (autrefois nommé Poulo Condor et située à 230 km de Saïgon). Les trois prisons qui servirent à enfermer les Việt Cộng lors des deux dernières guerres devinrent, l’espace de quelques semaines, un laboratoire clandestin où n’en ressortiraient vivants que trois individus recevant le grade de colonels, plus une trentaine d’autres, devenus soldats.
Il ne s’agirait ni d’un bataillon ni d’un escadron et on craignait qu’en nommant ce groupe “unité” cela puisse porter à confusion, on opta pour la Phalange afin d’identifier cette faction paramilitaire qui, une fois formée, disparaîtrait immédiatement de tous les registres officiels. Aucun procès-verbal, aucune note, aucun rapport, aucun compte-rendu, absolument rien ne devait transparaître. Elle n’aurait aucune structure propre, pas de classement parmi les échelons militaires et personne ne survivrait si par mégarde une information transpirait de l’opération, cela indépendamment de son niveau de collaboration.
Elle entreprit sa marche vers le Cambodge, début 1979. En aucun moment, elle devait croiser les militaires vietnamiens qui allaient occuper la ville-fantôme qu’était devenue sa capitale. À l’intérieur du groupe, les fonctions étaient scindées en trois cellules : les microbes, les bactéries et les virus. Impossible de passer de l’une à l’autre et les responsabilités, définies de manière inflexible, martelées jour après jour, faisaient office de règlement.
Le contingent, sous la responsabilité de Một, s’approchera de la frontière cambodgienne, en partance de l’île de Côn Dau. Les microbes exploreraient les lieux où la Phalange avait un contrat à remplir, les bactéries sèmeraient la pagaille dans l’environnement afin d’attirer l’attention sur eux, alors que les virus, les plus implacables de tous, déposeraient le poison permettant de progresser dans l’exécution de leur mission.
Ils seraient informés à partir de deux sources : les espions éparpillés sur le territoire cambodgien leur indiqueraient l’endroit précis où Pol Pot se trouvait, la deuxième, en provenance des quartiers généraux de Saïgon, les dirigeraient vers les lieux de repli des Khmers Rouges qui se refoulaient précipitamment aux frontières de la Thaïlande. Que la situation sur le terrain aille ou non de mal en pis, la mission était en marche, rien ne devant la stopper.
Les membres de la Phalange n’étaient pas des enfants de coeur, conscients que devant eux se dressaient la mort ou la liberté. Éloignés de Saïgon, ils n’entretenaient qu’une idée, celle de fuir. Trois s’y aventurèrent, ce qui leur fut fatal et combien exemplaire pour les vingt-sept autres. Ils furent suspendus par les pieds à un arbre, la tête vers le sol, la langue arrachée afin d’étouffer leurs cris, devenus des objets de supplices jusqu’à ce que la déshydratation et la faim les aient anéantis. Le premier colonel recourut à cette torture qui resserra les rangs, persuadant les survivants que leur situation pourrait possiblement changer, une fois la mission achevée.
Aujourd’hui, plus de dix après l’extinction du programme, trois participants auraient survécu, auxquels s’ajoutent ces trois hommes présents dans ce café de Saïgon : les colonels. À un niveau plus élevé de l’état-major, difficile de savoir ; s’agit-il toujours des mêmes personnes qu’à l’époque des activités sur le terrain, sauf que des ordres leur parviennent toujours et ils doivent y répondre.
Một, nettoyant ses verres avec un chiffon de papier qui traînait sur la table, reprit la parole.
- Notre visite à l’hôtel où loge l’homme qui se balade avec son molosse, n’a pas été fructueuse. La réceptionniste n’a rien voulu nous dévoiler à son sujet. Si l’on résume : il fréquente la professeure, ce qui nous laisse à croire qu’elle lui aurait probablement parlé de nous et il a rencontré la jeune étudiante. Quels sont leurs liens, leurs intentions ? Aucune idée pour le moment.
- Ce n’est pas dans nos habitudes de faire du sur-place, lui répondit Hai.
- Tu as raison, c’est pour cela que nous devrons être plus agressifs.
- De quelle manière ?
- Obtenir les services d’une taupe, reprit Một.
- Tu penses à quelqu’un ?
Achevant de frotter ses verres, les replaçant sur son nez, il esquissa un sourire.
- Bien sûr.
Ba, toujours en retrait de la conversation, s’y invita.
- La jeune serveuse qui travaille de jour dans ce café ?
- Tu as tout compris.
Les trois colonels esquissèrent un sourire, leur complicité se rejoignait. Une triste aventure survenue à la serveuse du café aurait pu lui occasionner des problèmes majeurs. Elle dut recourir à leur service ; comme un service n’est jamais gratuit, ils attendaient le bon moment pour réclamer un retour d’ascenseur. Il semblerait que l’heure soit venue. Một pointa un doigt en sa direction, elle s’approcha tout de go.
- Nous aurions un service à te demander.
- Oui ?
- Tout simple, tu verras.
- Encore ?
- Le type qui se présente ici avec son chien...
- Monsieur Dibi ?
- ... je ne connais pas son nom, mais j’aimerais bien que tu nous fournisses plus d’informations à son sujet.
- Je vois.
- Entre amis, on peut s’aider.
La jeune fille prit un pas de recul avant d’énoncer le très peu qu’elle savait sur Daniel Bloch. Elle sabote la véritable identité pour s’adresser à lui utilisant Dibi afin d’abréger. À chacune de ses venues, accompagné de sa chienne Fany, il rencontre une professeure qui se nomme Bao. Ils prennent toujours la même chose, un café robusta pour lui, un thé vert citronné pour elle. Une jeune fille s’est joint à eux dimanche dernier et le mercredi suivant, une voiture les a recueillis pour se diriger vers elle ne savait où.
- Rien d’autre ? Questionna Một.
- Il séjourne à Saïgon pour un mois avant de retourner à Hanoi. Oh ! oui, ceci également. Il semble être un grand lecteur, car son sac de cuir contient quelques livres, mais je n’ai pas pu lire les titres, ils sont imprimés en langue étrangère. C’est continuellement en français que lui et la professeure discutent.
- Pourrais-tu continuer d’accumuler des renseignements et nous les transmettre ?
- Je vous dois bien cela.
- Nous te savions reconnaissante.
Au moment où Hoa, la serveuse tatouée, reprenait sa place derrière le comptoir, Thi parquait sa motocyclette devant le café. Il fut évident que le jeune poète à l’habitude étrange de froisser ses papiers, d’en faire une boulette puis les lancer dans le fleuve, venait tout juste de se lever.
- Tu as accroché un papier blanc ? Dit-il d’une voix enrouée.
- Merci d’être venu.
- Ils sont encore là ? Reprit-il après avoir jeté un regard circulaire autour de lui.
- Depuis plus longtemps qu’à l’habitude.
- Je ne sais pas pourquoi, mais ces types me font peur.
- Tu as peut-être raison, vaut mieux t’en méfier.
- Ils t’ont embêtée ?
- Tu te souviens de mon aventure dans le parc Phạm Ngũ Lão. J’avais de sérieux ennuis avec les revendeurs. Cela devait certainement paraître dans mes yeux, car dès le lendemain, ils m’ont interrogée sur ce qui n’allait pas.
- Ils t’ont été utiles ?
- Que oui ! En quelques jours, le parc fut nettoyé de tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin au marché de la drogue.
- Je t’ai pourtant dit que cela te nuirait un jour.
- Je suis donc en dette envers eux.
- Comment veulent-ils être remboursés ?
La serveuse tatouée lança un regard vers la table des trois colonels, vérifiant s’ils s’intéressaient à leur conversation.
- Faire la lumière sur Dibi.
- L’homme au sac de cuir, le maître de Fany ?
- Voilà.
Les deux employés remarquèrent qu’à leur départ, s’étant faufilés à pas feutrés, ils n’avaient laissé ni traces ni indices derrière eux. Spécialistes de la feinte, de l’évitement, programmés pour qu’une fois disparus, leur présence soit balayée de l’espace, les chaises qu’ils avaient utilisées ont été troquées pour d’autres. Retrouver une table parfaitement nettoyée sur laquelle le cendrier, vide de mégots ainsi que les verres dans lesquels ils avaient bu, une manie à laquelle la serveuse tatouée s’était rapidement habitué. Les trois avaient fondu dans le paysage. Ces hommes ne souhaitaient pas que leur présence soit consignée de quelque façon que ce soit.
- Le papier blanc n’était certainement pas une invitation à venir parler d’eux ? S’enquit le jeune homme.
- C’est au sujet de la prochaine réunion.
- Tu sais qu’on ne doit jamais aborder ce sujet.
- Oui, mais ça relève de l’urgence.
- Urgence ?
- Hier soir, la police a arrêté Mister Black.
- Quoi ? Tu en es certaine ?
- J’en ai eu connaissance.
La douche d’eau froide lancée par Hoa lui glaça le sang. Comme le café était vide de tout client, Thi ne voyait pas d’inconvénient à discuter à voix basse de cette nouvelle. Il cherchait ses mots, ne cessant de frotter ses mains l’une contre l’autre.
- Est-il encore au bureau de la police ?
- Tu comprends, lorsqu’on l’a arrêté, je n’allais pas traîner dans les parages et surtout ne pas me rendre au salon de massage. C’est ce que je devais faire dans les circonstances. Chose certaine, les policiers l’ont surpris à dessiner un graphe.
Peinturlurer les murs ne fait pas partie du décor coutumier de Saïgon, alors une grande prudence est de mise afin de ne pas être interpellé par les policiers.
- Lotus est au courant ?
- Difficile à rejoindre.
- Je prends cette affaire en main, couvre-moi si jamais je suis en retard pour mon quart de travail, d’accord ?
Le jeune homme quitta le café, remonta sur sa moto puis disparut le temps de le dire.
Le Lotus en question loge à une drôle d’enseigne ; celle de Mister Black, est plus embrouillée encore. Pour chacun d’eux, avancer les expressions “vivre dans l’ombre”, “faire partie de l’underground” ou encore “être en marge de la société” conviendraient parfaitement.
Si l’on ajoute les deux employés du café Nhớ Sông à ces personnages s’avivant la nuit comme des ombres discrètes, mais actives, plus d’autres jeunes gens, nous sommes au coeur d’un groupe clandestin qui a pris JANUS pour appellation et le ruban de Mobius comme symbole.
Janus, le dieu romain des portes, est représenté avec deux visages opposés, l’un regardant devant lui, l’autre derrière ; chaque porte s’ouvre sur deux possibilités.
Le bizarroïde ruban de Mobius, ni cercle ni géométrie, symboliserait la mémoire. Une surface compacte dont le bord homéomorphe est inséré dans un cercle.
Mister Black utilise les graffitis pour véhicule artistique, il s’en sert également pour code. En effet, selon l’endroit, la couleur utilisée et l’heure de la création d’un graphe, cela indique aux membres du groupe Janus qu’une rencontre se tiendra dans le district précis où il a été tagué, un salon de massage servant de lieu de rencontre. Toujours, elle se tiendra au milieu de la nuit alors que Saïgon dort encore.
Lotus anime ces rencontres qui ne s’étendent pas ad nauseam, une heure, le temps maximal que dure une séance de massage. Il vit en couple homosexuel avec le graffitiste depuis quelques années. Les deux logent au President Hotel, endroit qui aura servi de résidence aux GI’s américains durant la période que dura la guerre du Vietnam. Situé dans Cholon, le District 5 de la ville, dans la rue Trần Hưng Đạo, l’endroit est désert et occupé principalement par des squatters qui jouent au chat et à la souris avec la police. Il semblerait que l’on songe actuellement à le démolir. Sans trop se tromper, on peut dire que c’est le lieu de prédilection de l’underground vietnamien.
Ce jeune homme, leader de Janus, est le fils unique d’une famille qui a bénéficié durant de longues années des avantages du régime sud-vietnamien. Lors de sa naissance, en 1975, son père, voulant échapper aux camps de rééducation dont il avait entendu parler dans les sphères de l’administration et sa mère enceinte devant accoucher dans les jours qui suivent, cherchèrent à fuir avec le flot de Vietnamiens s’agglutinant aux portes de l’ambassade américaine, en attente d’une possible place dans les hélicoptères allant vers l’exil. En vain, malgré les dollars américains qu’ils offrirent aux soldats chargés de maintenir un semblant d’ordre.
Étrangement, le fils naîtrait le même jour que Hô Chi Minh, soit un 19 mai. Cela marquera-t-il sa vie ? Une enfance vécue dans le Mékong, à Rach Gia. Rapidement, Lotus sera soumis à la loi du silence sur tout ce qui touche aux activités antérieures de son père, devenu un citoyen honnête continuellement obsédé par une possible arrestation, cela malgré le fait qu’il ne fut jamais embêté.
Son temps scolaire sema des doutes dans son esprit quant à l’interprétation que les enseignants donnaient à l’histoire de son pays, principalement après la réunification du Vietnam. Bien avisé de ne s’en tenir qu’à l’écoute, de ne jamais poser une question de quelque nature qu’elle soit, l’enfant grandit dans l’atmosphère pesante de l’omerta (luật im lặng). Il allait hâtivement s’y habituer, surtout lorsqu’il découvrit que son attirance sexuelle le portait vers les garçons. Rien pour faciliter son évolution personnelle. Difficile d’être différent en 2005, imaginons un seul instant ce que cela était auparavant.
Son adolescence, il l’a principalement vécue à Saïgon, ses parents l’ayant inscrit dans une école privée récemment ouverte et qui offrait des cours généraux la première année, puis certaines spécialisations par la suite. Tout se déroulait en anglais, une langue qu’il maîtrisa rapidement. Le droit le passionnait ainsi que la politique étrangère, mais cette option était contingentée, les candidats triés sur le volet. Lorsque son père, mis au courant des intentions de son fils, il le lui déconseilla fermement sachant qu’on allait scruter à la loupe ses antécédents, éplucher le parcours de sa famille et disséquer ses visées. Encore à cette époque, la mainmise du Parti communiste sur l’orientation des étudiants optant pour des disciplines dites “sensibles”, influençait le choix des responsables universitaires. Il s’en est abstenu.
C’est au moment où, contraint d’abandonner ses études, qu’il coupa les liens familiaux. Vivant clandestinement avec Mister Black, il trouva un emploi chez un importeur-exportateur de café. Petit salaire, mais une excellente couverture pour les activités qui, bientôt, surgiraient avec la naissance du groupe Janus.
Le compagnon de Lotus, pour sa part, connut un parcours filandreux. Son goût pour le dessin l’aura toujours guidé dans ses entreprises. Il n’a connu que Saïgon, y a toujours vécu. Son père, GI’s de race noire, disparut du Vietnam lors du retrait des forces américaines sans jamais donner de nouvelles à sa mère qui toujours en attend. Les moqueries en raison de la couleur mulâtresse de sa peau, sa carrure très peu asiatique, son esprit rebelle le poursuivent inlassablement. Face à des propos malveillants, la manière de se protéger est de rugir intérieurement et peindre.
Plusieurs employeurs lui refusèrent un emploi en raison de son allure physique jusqu’au jour où, traînant près du port, apostrophé par un ami vietnamien qui l’invita à appliquer pour un poste de débardeur. Il se démarqua assez vite, car il pouvait soulever des charges importantes et était pourvu d’une remarquable endurance. Il réussit à se faire accepter par le groupe de camarades qui l’apprécient puisque travailler de nuit ne l’embarrasse nullement et qu’il se montre disponible à libérer celui-ci ou celui-là d’une obligation ne lui plaît pas.
Toujours avec lui, ainsi qu’un fidèle compagnon, ce petit carnet dans lequel il accumule croquis, dessins et esquisses. Son remarquable talent, il allait le projeter sur les murs de la ville. Rapidement il affina son style, ce qui déplut aux autorités policières ; à la suite de plusieurs plaintes, ils se mirent à la recherche de ce gribouilleur impénitent. Ce qui arriva dans la nuit de mercredi à jeudi alors que Hoa, témoin de sa capture et ne pouvant rejoindre Lotus, se précipita au café Nhớ Sông qui avait fermé ses portes depuis quelques instants, y accrocha un petit bout de papier, un signal à l’intention de Thi.
Quand on se souvient
il faut lutter contre soi-même.
Si on ne résiste pas
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