Lundi, c’est journée de congé
pour Monica et Toni, mes amis propriétaires du restaurant espagnol OLÉ de
Saigon. Congé, oui, mais pas repos, il y a trop à découvrir dans cette
Saigon aux multiples facettes.
Ils m’ont invité à les suivre
dans une excursion guidée par Stéphane (un Viet Kieu français : viet kieu
signifie le vietnamien de retour au pays). Il est guide touristique et offre
quelques randonnées à travers la ville. Selon qu’il s’agisse d’une première
fois ou s’approprier des lieux plus spécialisés (l’underground),
Stéphane propose différents circuits. Celui que nous allions suivre se
composait des éléments suivants : visite d’un hôpital du District 5
(ancien Cho Lon), de la maison où se terraient les responsables du FNL (Front national
de libération) du Sud-Vietnam, quelques églises et pagodes tout en faisant un
détour sur les lieux où le moine bouddhiste Thích Quảng Đức s’est
immolé par le feu le 11 juin 1963 afin de protester contre la répression
anti-bouddhiste ordonnée par le président catholique Ngô Đình Diệm.
Comme dans toute ville, si on
ne s’arrête pas pour s’instruire des monuments historiques en place, nous
passons à côté de bien intéressantes informations qui nous permettant de mieux
saisir les actions du passé et d'y mettre une certaine perspective.
À l’époque, cet hôpital recevait les patients souffrant
de problèmes ou de troubles psychiatriques. Comme on peut s’en douter, le
traitement qui leur était offert… datait de l’époque dinosaure de la psychiatrie.
On y voit deux pavillons adjacents l’un à l’autre où les hommes séparés des
femmes se retrouvaient dans des chambres (plus des cellules qu’autre chose)
pouvant rassembler plusieurs personnes. Des salles individuelles les côtoient,
dans lesquelles on y installait les "cas graves". On peut encore y voir les
anneaux de fer que l’on enserrait aux mollets des personnes afin de les
immobiliser. L’atmosphère est macabre, me rappelant les prisons de Phu Quoc et
de Con Dao. De style colonial français, cet hôpital jouxte une construction
hyper moderne de plusieurs étages. L’endroit est interdit au public mais grâce à
l’initiative et aux contacts (tout fonctionne ici par contacts) de notre guide
Stéphane, nous avons pu y pénétrer et prendre quelques photos. Le plus
intéressant toutefois se situe ailleurs.
Je ne connaissais Tran Phu que
de nom. Une très importante rue de Saigon (ainsi que dans toutes les villes du
Vietnam) porte son nom. Né le 1er mai 1904, il fut le premier
secrétaire général du Parti communiste d’Indochine. Il y est mort (certains
disent "exécuté") dans cet hôpital, le 6 septembre 1931.
Stéphane nous faisait remarquer
que les mouvements nationalistes étaient nombreux sous le régime colonial
français et que Hô Chi Minh est celui dont on retient le mieux l’action, en
raison sans doute de ses qualités de politicien. Tran Phu et Oncle Hô se
connaissaient, ils furent tous les deux des enseignants et, bizarrement, natifs
du Centre du Vietnam. Le Général Giap, également. Il y aurait beaucoup à
apprendre de cette époque où l’on parlait de guerre civile, de mésententes
opposant les divers mouvements de libération nationale.
Nous avons quitté l’hôpital
afin de nous diriger vers le District 3, tout près du District 1 où se trouve
le Palais présidentiel de l’époque maintenant rebaptisé Palais de l’Indépendance
ou Palais de la Réunification. Nous y attendait monsieur Thanh que Stéphane
connaît bien. Grâce (encore) à ce contact nous avons pu entrer dans une
maison classée maintenant au Ministère de la
Culture, des Sports et du tourisme comme lieu historique.
Ce qui nous y avons découvert fut passionnant.
Un ami écrivain français,
Patrick Taisne Nguyen, vient de publier un magnifique roman dans lequel il
aborde les dernières années de Saigon, avant sa chute aux mains des communistes
du Nord, soit de 1958 à 1975. Il relate quelque part dans ce livre que je vous
recommande (aux Éditions Ella) des rencontres entre les responsables du FNL
(Front national de Libération du Sud-Vietnam) tenues dans des lieux secrets.
Lieux qui campaient à l’aboutissement de la Piste Hô Chi Minh (elle avait Hanoi
pour point d’origine).
On entre dans une maison
totalement conventionnelle qui, à l’époque, abritait une petite usine de
fabrication de rideaux. Le propriétaire dont j’ai malheureusement oublié le
nom, était membre du Viet Minh, situation dont personne ne pouvait se douter. L’intérêt
se trouve dans la cave. Impossible pour tout œil aguerri de découvrir cette
cache puisque son entrée entièrement camouflée n’était connue que du maître de
céans. S’y tenait des réunions dont celle qui précéda l’attaque du Palais
présidentiel lors de l’Offensive du Têt en 1968.
On voit sur les murs des
photos des dirigeants viet cong de l’époque, des habits militaires, des
décorations et… cette ouverture menant à la cave. Nous y sommes descendus, se
rappelant qu’elle n’a pas été pratiquée afin que des Occidentaux comme Toni et
moi puissions l’emprunter. Je me suis cru dans les tunnels de Cu Chi.
En bas, des armes disposées au
mur et au sol selon leur grandeur, leur importance. Tout au fond, une échappatoire
donnant sur une ruelle, une deuxième sur la rue principale. Un moment, je me
suis imaginé en 1968… prostré dans ce sous-terrain, attendant l’ordre d’agir.
Le plus comique dans cette histoire réside dans le fait que le fameux ordre
suivait le calendrier du Nord du Vietnam et non celui du Sud, de sorte que l’Offensive
du Têt fut donc enclenchée une journée plus tard que celles de Khe Sanh et Hué.
Nous nous sommes par la suite arrêtés devant aux monuments
dédiés au moine Thích Quảng Đức également
sis dans le District 3. Stéphane nous rappelait que le Parti communiste du
Vietnam, peu friand d’hommages aux héros sauf s’il s’agit de membres du Parti ayant
une renommée telle celle de Hô Chi Minh, fit une dérogation pour cet homme que
les Vietnamiens considèrent comme un personnage immensément important.
Lors du lunch - nous avons opté pour une cuisine du Centre puisque
Toni n’apprécie pas le trop sucré des plats du Sud - nous y sommes allés de
mille et une questions auxquelles les réponses offertes par notre érudit de
guide ne pouvaient qu’aiguiser l’appétit.
Entre autres, et celle-là je ne la connaissais pas, il nous a
parlé de "la famille 54"; ces gens qui ont tout abandonné au Nord afin de se
soustraire aux communistes. Ses parents en furent. Arrivés au Sud, ils se retrouvent vingt ans plus tard à nouveau sous le joug
des communistes : double défaite.
Des camps de rééducation… de la corruption sous les différents
régimes sud-vietnamiens et maintenant celle des dirigeants actuels… des
variantes phonétiques existant dans la langue vietnamienne selon la région dans
laquelle on se trouve… du contenu de la carte d'identité vietnamienne... de l'histoire de ce viet cong qui reçoit une balle dans la tête de la part d'un général sud-vietnamien, moment filmé, photographié et qui fit le tour de la planète aussi rapidement que la jeune fille brûlée au dos par le napalm.
Nous avons achevé notre excursion - sous la pluie - dans une
pagode appelée "la pagode flottante". Située dans Gò Vấp, tout à côté du fleuve, cette pagode fût
érigée par les Chinois afin de les protéger contre l’âme errante d’une noyée
inconnue.
Puis nous sommes rentrés – sous la pluie - fort satisfaits de
cette excursion. Je demandais à Stéphane s’il pouvait aller plus dans l’underground
saigonnais. Son sourire me laisse
croire que nous nous reverrons bientôt.