8B
La réception s’étira sur une grande partie de l’après-midi. Une question intriguait la docteure Méghane, cela la fit s’approcher de la tante qui ne mangeait pas, ne parlait pas, ankylosée par les événements subits récemment. Elle lui demanda, dans un vietnamien plus qu’élémentaire.
- Pouvez-vous me dire ce qui arrive du chien de votre soeur ?
La dame la fixa de son regard vide. Elle paraissait surnager au-dessus de tout, trop d’incrédulité pesait lourd sur son dos voûté.
- Réfugié chez des voisins. Je ne sais pas ce qui m’arrivera. Revenir dans cette maison est impossible. Mon neveu propose que j’aille vivre chez lui.
- Ce chien, il est âgé ?
- 10 ans, dans quelques mois. S’en remettra-t-il ? Je ne le sais pas. Il était si attaché à nous.
- Je comprends qu’il s’agit d’une deuxième bête domestique qui aura vécu avec vous ?
- Troisième, c’est la deuxième qui est restée le plus longtemps accrochée aux jupes de ma soeur ; elle était spéciale.
- Spéciale ?
- Ma soeur lui avait installé un collier au cou.
- Pas les autres ?
La tante, cela devint clair pour la docteure, se fatiguait à ressasser de vieux souvenirs. Voulant profiter du peu de lucidité risquant de s’évaporer d’un moment à l’autre, elle hasarda une dernière question.
- De l’époque qui a suivi le départ de son mari ?
- Le temps de Cú đêm, c’est le nom que ma soeur lui avait donné.
- Oiseau de nuit.
- Oui, toutes les nuits, elle dormait à côté de son lit.
La docteure Méghane ne put en apprendre davantage de celle qui était retournée dans son absence. Un choc émotionnel inattendu peut brouiller temporairement la mémoire. Chez la tante, sans parler d’amnésie, de troubles du langage ou d’un trouble de la mémoire à long terme, la spécialiste en neurosciences conclut que d’ici quelques semaines, tout se replacerait et elle sera en mesure de revenir sur cette journée, la dernière pour les membres de sa famille.
Bao et Daniel Bloch discutaient avec les parents des défuntes ; ce dernier, occasionnellement, jetait un oeil méticuleux sur l’assemblée, afin de vérifier si un ou les trois colonels n’en feraient pas partie. Nenni.
- Pourquoi a-t-on pratiqué deux autopsies sur chacun des corps ? Demanda le père de Sứ Giả.
- La seule explication, dit la professeure, serait qu’elles ont été empoisonnées. Cela n’est pas habituel. Difficile de se procurer des drogues qui provoquent la mort.
- C’est du registre du ministère de l'Intérieur ?
- Tout le phénomène de la drogue passe dans leurs bureaux.
- Je comprends mieux leur intérêt.
Bao aurait ajouté quelque chose comme “ si ce n’était que cela “, mais s’en abstint, ne voulant pas semer la confusion dans un esprit pantelant, choqué par le mystère entourant la disparition inopinée de sa mère et sa fille.
La docteure Méghane rejoignit la table où se tenaient ceux qui l’accompagnent dans le Mékong.
- Je crois que vous devriez prendre soin de votre tante. Le choc qu’elle a subi, se manifeste par des allées et venues dans une sorte d’irréalité. Cela peut l’affecter durant une certaine période de temps. Il ne faut pas qu’elle retourne dans sa maison, pour le moment du moins. Si vous pouviez la convaincre de s’installer à Saïgon, je pourrai lui prescrire quelque chose qui soulagerait ce qui risque de devenir permanent.
- Nous y songions. Merci, Docteure, vous êtes notre ange gardien.
La professeure appela le chauffeur qui aussitôt se pointa. Chacun salua la famille une dernière fois et monta, en route vers Saïgon.
Mỹ Tho disparaissait derrière eux lorsque la docteure Méghane, ouvrant sa trousse, en sortit le fameux sac plastique qu’elle remit à Boa. Celle-ci le soupesa, tâta l’emballage avant de l’ouvrir avec une extrême délicatesse. Nullement surprise d’y voir une lettre, elle découvrit un second paquet dans lequel se trouvaient quelques comprimés. Elle regarda du côté de la docteure.
- Selon vous, qu’est-ce que cela pourrait être ?
- Je peux les faire analyser et vous dire de quel genre de médicament il s’agit.
- Je vous le laisse alors. Puis, s’adressant à Daniel Bloch, lui dit que voici certainement la fameuse clé qui permettra de décrypter la série de lettres en leur possession.
- Si ce type est aussi rusé que je le crois, il peut très bien avoir utilisé un deuxième code pour transmettre celui-ci. Si tel est le cas, permettez-moi de dire que nous serions en présence d’une affaire plus complexe encore.
- Un code pour en déchiffrer un autre, ouf !
- C’est souvent ainsi que les choses se produisent. Si vous le voulez, prenons connaissance du contenu de cette missive.
La lettre ne comprenait qu’une seule page, l’écriture était exactement la même que celle utilisée pour le lot qu’on avait déjà entre les mains. Le fait qu’elle ait été enveloppée dans du plastique l’aura préservée de toute détérioration. On reconnaissait facilement le style, la tournure des phrases, la même structure que celle des documents antérieurs dans lesquels s’entremêlent un alignement d’aphorismes semblant n’avoir aucun lien entre eux. Si on s’en tient aux dates
- 1979 à 1993 - absolument rien n’avait été modifié dans la facture du texte. Pouvait-on anticiper que la clé ne se camouflait pas sous un nouveau code ? Étant écrite en vietnamien, il faudra que Bao la traduise pour le bénéfice de ses deux partenaires. La lettre aurait été rédigée, à l’instar des précédentes, dans un endroit propice à une excellente graphie, sans ratures, laissant présager que son auteur comptait sur une table ou un bureau facilitant l’ouvrage.
Elle la lit une première fois pour elle-même et s’aventura dans une traduction sommaire, s’excusant de s’y lancer sans préparation.
“ Comprendra bien celui qui lit correctement.
Les mots envolés parviendront dans le bon nid, au bon moment.
Porteurs de secrets, coltineurs de messages, annonciateurs d’avis,
les mots seront estafette, courrier ou agent de liaison ; ils picoreront
là où ils devront le faire.
Écoute en lisant, lis en mêlant tout avant de tout démêler.
Tu te fieras au bon oiseau et la route te conduira vers le rubis.
Le rubis est rouge et vert, le jade.
N’oublie jamais que ce qui est écrit, l’est à la mine de plomb.
Recherche ce que tu ne cherches pas et tu trouveras.
Découvre ce qui n’aura pas été dit.
L’aigle dans le nid de l’aigrette est nourri comme s’il était de la famille.
Le Mékong traversera les lieux qui n’auront pas été brûlés,
Il baignera ces terres que le vent balayeur n’aura pas asséchées.
Ce jour-là, le chant de la colombe fera se taire le charivari des couleurs. “
Tous trois se regardaient sans dire un mot. Ce n’est pas la déception qui perçait le silence, mais une incompréhension totale.
- Vous y voyez quelque chose Daniel ? Questionna Bao.
- À la première écoute, non, mais nous creuserons davantage. Ce que nous savons, c’est que la clé s’y trouve. À nous de la repérer.
- Docteure ?
- De l’ésotérisme, voilà ce à quoi je pense.
- Ou un manuscrit à saveur alchimique, ajouta l’homme au sac de cuir.
- Permettez-moi d’ajouter que si nous entrons dans ce monde, nous ne sommes pas sortis du bois, commenta la professeure.
- Oui, Bao, mais il nous faudra tout de même y plonger. La première question est de savoir s’il s’agit d’un écrit primaire ou d’une conclusion, un épilogue à tous ces chapitres que nous avons déjà.
- En quoi cela peut-il éclairer ?
- S’il est initial, cela peut signifier que le fameux code aurait été choisi ou élaboré avant le départ, en 1979. Que l’on se serait entendu au préalable sur ses diverses significations. Cette hypothèse renforcerait l’idée que Saverous Pou nous a soumise : il y aurait peut-être plus d’un destinataire. Qui serait l’autre ou les autres ? Rappelons-nous les mots du premier message : il ne faut pas chercher à savoir et remettre le second pli à un homme portant un bracelet de jade qui se présentera à la pagode de Mỹ Tho, celle que fréquente la grand-mère. Vous avez bien dit, Bao, “Le rubis est rouge et vert, le jade.“ Est-ce porteur de sens ? J’extrapole, mais le rouge pourrait identifier les lettres demeurant dans le Mékong et le vert, celles qui partiraient, disons, pour Saïgon. ?
- On utilise ces deux couleurs en ophtalmologie afin de mesurer la qualité de la vision, ajouta la docteure Méghane.
S’approchant de la ville, la chaleur s’atténuait légèrement. Le 30 avril venait à grands pas et les préparatifs pour célébrer de la libération de l’ancienne capitale du Sud-Vietnam remplissaient l’espace de tout le rouge qu’il est possible d’imaginer : drapeaux du pays et du Parti, immenses panneaux de propagande relatant ces années de marche vers l’indépendance et la liberté, une multitude incroyable de photos de Hô Chi Minh et du Général Giap. On pavoisait à qui mieux mieux. La fierté de ce peuple se déployait sans équivoque. Tous savent que cette fête revêt un cachet particulier que l’on ne peut pas comparer à celle du Têt, mais permet d’afficher son âme vietnamienne. Elle incite à relever les manches, à se mettre à la tâche, celle de forger leur destin, eux-mêmes et par eux-mêmes .
Les manifestations qui se préparent, tant à caractère militaire, politique que national, seront une occasion d’apprécier le bout de chemin fait depuis maintenant 30 ans et tracer les grands axes du développement futur. Y parvenir fut une tâche ardue, coûteuse en vies humaines, en déchirures de territoire, mais continuer s’avérera aussi exigeant.
En 1986, avec la politique du Renouveau (Đổi mới), on a ouvert les portes sur le monde, lancer une invitation à ceux qui ont quitté le pays de revenir s’y installer, mais peut-on, à moins de 20 ans après, en faire le point ? Trop de blessures, encore, ne se sont pas cicatrisées, trop de rivalités idéologiques perdurent, trop de familles décimées par les guerres cherchent à oublier, si cela est possible, leurs morts, leurs pertes, cet assourdissant bruit des bombes, les ardeurs des feux allumés par le napalm.
Le rouge servant de matelas à une étoile jaune les guide vers de vertes espérances. Les idéaux sont à portée de main, la foi dans un avenir prometteur se renouvelle tous les jours et le mouvement vers un authentique renouveau, celui qui installera la paix dans les coeurs vietnamiens, demeure l’oeuvre à accomplir. Déjà, les manches sont retroussées.
Bao demanda au chauffeur de les attendre en face du café Nhớ Sông. Le trio fut accueilli par Thi qui ne cachait pas sa joie de les retrouver. Il leur indiqua une table dans cet espace que rafraîchissait le vent venu du fleuve.
- Un bon moment sans vous voir. Je vous sers un thé vert professeure, un café robusta pour vous monsieur Bloch, mais je n’ai pas souvenir, Docteure, de ce qui vous aviez commandé la dernière fois.
- Une bouteille d’eau suffira, merci.
Le serveur se dirigea vers le bar, fier d’avoir reçu de la part de sa nouvelle patronne, un sourire non dissimulé. Demain, il retournera à son cabinet pour une deuxième session.
- Ce jeune homme me semble guilleret, dit Daniel Bloch, avant d’interroger la professeure sur la suite des choses.
- Dans les heures qui suivent, je vous transmettrai la traduction du dernier document en notre possession, ainsi qu’à notre amie linguiste de Kep-sur-Mer.
- De mon côté, ajouta la docteure Méghane, je soumettrai les échantillons au laboratoire pharmaceutique. On est expéditif et je ne serais pas surprise que les résultats me parviennent rapidement. Ne soyez pas surpris si vous ne recevez pas le message sur vos portables, ceci doit demeurer secret.
- Une question me taraude. Croyez-vous que ministère de l'Intérieur soit au courant du fait que nous soyons possiblement en possession de la clé ?
- Chère amie, il ne faut pas être naïf. Tout se rend à leurs bureaux à la vitesse de l’éclair, répondit Daniel Bloch.
- Le ministère et le grand-père, ont-ils entretenu des liens depuis le début de l’affaire ?
- Mieux, je conclurais que ces liens relèvent davantage d’une collaboration et datent d’avant 1979. Il se pourrait même qu’ils perdurent encore. Le grand-père est vivant, on nous l’a confirmé et les anciens colonels sont toujours actifs. Cela tombe sous le sens. Ce qui ne me sort pas de l’esprit, c’est que tout ce beau monde semble loger à la même adresse, mais avec des agendas différents.
- On se promène dans un labyrinthe, chacun y est entré par une même porte et cherche celle de la sortie, empruntant différents couloirs, ajouta la docteure Méghane.
- Le fil d’Ariane serait alors la fameuse clé que le grand-père a fabriquée, possiblement de connivence avec un haut placé du ministère. Vous savez, Docteure, que le premier code que l’on connaît serait celui de César. Il s’agit d’un système de cryptographie et pour bien le comprendre, il faut remplacer les lettres par d’autres du même alphabet, selon un chiffrement. Par exemple, on s’entend sur le fait que chaque lettre est décalée de dix places dans l’alphabet. Cela a beaucoup évolué depuis et je serais très étonné qu’on ait utilisé cette manière de faire, malgré que je ne sois pas en mesure de bien comprendre la langue vietnamienne.
- De plus, Daniel, continua la professeure, notre linguiste cambodgienne y a reconnu quelques traces de la langue khmère.
- Voici une piste intéressante que vous nous rappelez là. Si le code utilisé était un mélange de ces deux langues, mais dans une perspective strictement graphique alors que l’essence du message se cacherait dans ce qu’il dit, “ N’oublie jamais que ce qui est écrit, l’est à la mine de plomb.
Recherche ce que tu ne cherches pas et tu trouveras.
Découvre ce qui n’aura pas été dit. “
Thi revint à la table occupée par un trio se torturant les méninges à tenter de percer le message qui leur permettrait de s’approprier la fameuse clé.
- J’ai une nouvelle pour vous. Le café fermera ses portes autour du 1er mai prochain. La patronne nous a avisés, ma consoeur et moi, qu’elle ne peut pas renouveler son bail puisque le propriétaire songe à y installer un parc de stationnement.
- Te voilà donc sans travail.
- Si l’on peut dire, professeure. Je devrai me relocaliser, dit-il en fixant la docteure Méghane.
- Pas tout à fait, reprit-elle. Vous pouvez annoncer à nos deux amis ce qui vous arrive.
Le serveur s’en trouva surpris, lui qui avait étampé le sceau du secret sur sa participation aux recherches de la docteure. Devait-il prendre le temps d’élaborer ou simplement demander un rendez-vous, ailleurs qu’ici, afin d’avoir cette conversation à coeur ouvert dont il s’était engagé d’avoir ?
- Ce lieu n’est pas propice à une telle discussion. Pouvons-nous nous rencontrer dans un autre endroit ?
- Que diriez-vous de vous présenter à mon cabinet, demain ? De toute manière, Thi y viendra pour la poursuite de son nouveau travail.
La conversation s’arrêta. Ils quittèrent le café. Deux véhicules attendaient. On se donnerait la journée du lendemain pour réfléchir et à la suite du second test que le serveur devait passer, le groupe se dirigerait vers le restaurant OLÉ pour le lunch. Monica saura les installer de façon à ce qu’ils puissent discuter sans se méfier de qui ou de quoi que ce soit.
Comme à son habitude, Daniel Bloch rentrera à pied vers la rue Phạm Ngũ Lão. Traversant Nguyễn Huệ pour prendre la rue Lê Loi, il remarquait à quel point les cérémonies du 30 avril se dérouleraient de façon grandiose. Au bout de cette grande artère, les lumières de l’édifice du Comité populaire éclairaient l’immense statue en bronze de Hô Chi Minh. Cet homme n’aura pas eu l’occasion d’entrer à Saïgon en héros, étant décédé en 1969. On avait toutefois annoncé que l’actuel président du Vietnam, Trần Đức Lương, serait présent.
À son arrivée, la réceptionniste qui se préparait à partir, l’interpella.
- Monsieur Bloch, j’ai ceci à vous remettre.
La jeune fille lui présenta une enveloppe du type de celles qu’on utilise pour des envois aériens.
- De la part de qui ?
- Un courrier anonyme.
- Sans aucune explication ?
- “ Une lettre pour monsieur Bloch.” Rien d’autre. D’ailleurs, ce type a eu beaucoup de difficulté à prononcer votre nom, ne parlant que le vietnamien.
- Merci. Bonne soirée.
- Je vous prépare un café ?
- Vous êtes gentille, j’apprécierais. Je serai sur la terrasse.
Le temps de s’installer qu’arriva son café. Il tournait, retournait l’enveloppe entre ses mains, l’ouvrit et lut à voix haute.
” Vous êtes, de par votre formation, un spécialiste des langues. Longtemps, vous avez étudié différents systèmes autant vocaux que graphiques, conventionnels, utilisés par des groupes d’individus pour l’expression du mental et de la communication. Autant des langues anciennes que vivantes toujours en usage aujourd’hui. Vous vous êtes beaucoup intéressé à l’abstraction des signes, aux vocabulaires propres à certaines activités dans différents milieux, leur évolution, leur origine, mais très peu à des systèmes d’expression spécifiques, souvent intemporels et fugaces.
La quête dans laquelle vous avez été invité à participer, sans doute le comprenez-vous mieux maintenant, est bardée d’intrications. Pour progresser, il faudra puiser ailleurs que dans vos connaissances antérieures. Pour continuer d’avancer et risquer de parvenir à une découverte, quelques traces malheureusement effacées par le temps, bien que cartographiées quelque part, se cachent dans une nouvelle logique, très peu cartésienne.
La poésie sera votre bâton du pèlerin. L’argot, aussi. Sachez regarder plus haut que la portée de vos yeux. Hochez vos découvertes entre ciel et terre ; entre cieux et terres. Les mots mentent, arrivent difficilement à circonscrire tout le réel. Ils sont les innocents complices d’une pensée fugitive.
N’oubliez pas, le mot quête porte en lui des nominatifs comme requête et enquête. Vous trouverez, nous en sommes presque convaincus ; ce qui tombera entre vos mains vous surprendra au plus haut point. Les hommes sont des êtres nébuleux, ils échafaudent des secrets pour mieux se dérouter eux-mêmes. Ils ne partagent les graines de leur connaissance qu’entre eux, ceux de la même nichée. Ils tombent sur terre, chutent de leur nid à la veille de voler. Leurs ailes sont encore si fragiles.”
Il avait devant les yeux un texte cabalistique, dont il n’arrivait pas, après une seconde lecture, à en déchiffrer le sens. L’auteur, qui se réfugiait derrière le pronom personnel “nous”, n’a pas signé, mais savait parfaitement bien à qui il l’adressait, le connaissait de réputation, savait ses intérêts pour les langues et allait même jusqu’à lui donner quelques conseils.
L’évolution rapide du dossier qui, en un mois seulement, prend des proportions inimaginées, doit être entendue de manière composite. Il y a plus que des lettres codées, davantage qu’une mission paramilitaire, il en devenait certain.
Pourquoi lui adresser cette missive ? Le moment choisi pour ce faire, à quelques heures du trentième anniversaire de la chute de Saïgon, doit-il être considéré comme un indice ? Si le ministère de l'Intérieur s’intéresse à tout cela, y aurait-il une menace quelconque pour l’appareil de l’État, passé ou actuel ?
Les acteurs disparus ne peuvent plus apporter d’eau au moulin, mais il en reste six, davantage peut-être, sont-ils engagés, de près ou de loin, dans une même corvée ? Qui sont véritablement ces trois hommes au profil aussi abstrait que la clé fournie par “Celui qui écrivait “ ?
Il lui fallait, comme premier pas dans sa mise en place de tous les éléments connus, découvrir le sens de la fameuse clé. Pour ce faire, il devait attendre que le message remis par la docteure Méghane à Bao soit traduit, ce qu’elle devait faire, il en était convaincu, au moment où il achevait sa tasse de café.
Avant de retourner à sa chambre, il laissa errer son regard au-dessus des toits autour de la terrasse de l’hôtel. La nuit se faisait claire ; il espérait la même chose pour son esprit. Les lumières de la ville n’allaient pas s’éteindre, elles l’avaient trop fait durant ces années de guerre pour ne pas s’autoriser, maintenant, à régner en maîtres plénipotentiaires.
La peur dont il faut avoir le plus peur,
ce n’est pas celle que tu secrètes soudain.
Celle-là on peut souvent la maîtriser.
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