10B
Vietnam
Il se présenta à l’heure prévue, celui que les deux membres du ministère de l'Intérieur vietnamien avait fixé, sans ouvrir de portes par lesquelles il aurait pu se dérober.
- Bonsoir Hai. Nous voici arrivés là où nous aurions dû être il y a bien longtemps. Ce soir, tu es convié à écrire l’épilogue de la Phalange, dit Tuan.
- Depuis toutes ces années, j’ai toujours répété n’avoir rien à ajouter à mes déclarations précédentes.
- C’est pour cette raison que tu es toujours vivant. Vois cet homme caché derrière le banian de l’autre côté de la rue. Je lève le doigt et notre meilleur tireur d’élite s’exécute. Il ne manque jamais sa cible.
- Je reconnais bien la menace.
- Alors, tu n’as que très peu de temps pour déballer ton sac, je te conseillerais d’y aller maintenant.
L’atmosphère lourde et tendue ne présageait pas un combat, mais un aveu. L’habile colonel 2 rencontrait pour la première fois celui qu’entre eux, on surnommait le contact ; “Celui qui écrivait “, il le connaît très bien. Difficile d’exploiter les faiblesses de celui dont on a aucune information, il n’avait aucune autre option que celle de lâcher le morceau, question de vie ou de mort.
- Les rubis des Khmers Rouges sont en sécurité.
- Combien de kilos ? Demanda Tuan, laissant à Ngọc Bích la tâche de suivre à la lettre l’exposé que s’apprêtait à faire le colonel adossé au mur pouvant se transformer en poteau d’exécution.
- Il aura fallu la collaboration expresse de Douch pour s’approcher de l’endroit cachant ces rubis que dans leur fuite, les Khmers Rouges n’ont pu récupérer. Personne, sauf Pol Pot, Nuon Chea et lui-même n’étaient au courant de l’existence de ces pièces inestimables qu’on se préparait à monnayer sur les marchés de Thaïlande. L’argent devait servir à l’achat d’armes auprès de la Chine qui commençait à ne plus se satisfaire du riz provenant du Kampuchéa afin de défrayer les coûts du gouvernement en place depuis 1975. On m’avait prévenu lors de la formation sur l’Île de Côn Dau que j’aurais une responsabilité additionnelle. Des trois commandants, je suis le seul à ne pas provenir des forces armées. Ma spécialité, vous la connaissez, aura servi bien des gens. Cette charge est venue avec toutes les informations entourant l’objectif officieux de la Phalange. J’ai laissé ce qui entourait les actions de nettoyage aux deux autres, même lorsque j’ai pris le commandement en chef des troupes. On m’avait bien décrit la personnalité de mes deux collègues, de sorte que cela a été facile de les manipuler. Je laissais Một jouer les semblants de héros et Ba s’adonner à ses perversités. Lorsque Douch s’est joint à nous, j’avoue humblement que là je grimpais à un niveau supérieur. Cet homme pour qui j’ai une grande admiration...
- Ce qui ne t’as pas empêché de le livrer au journaliste suédois et par le fait même à la justice cambodgienne, coupa Tuan.
- ... c’est exact, mais les circonstances m’y ont obligé.
“Celui qui écrivait” avait appris très tôt les raisons qui poussaient Hai à se rendre à Hà Tien, que cela ne faisait absolument pas partie du scénario prévu au départ des activités de la Phalange tout comme le fait d’accepter ce fugitif dans l’espèce d’état-major du groupe. Ce nouveau venu changeait la donne, mais la favorisait du même coup.
- Il prenait trop de place, en fait, il la voulait toute, ce qui pour moi a signifié que ses intentions cachées lorgnaient vers les rubis qui lui auraient permis de s’évaporer dans la nature et nous de rentrer bredouille, sans aucune explication à fournir, sinon d’expliquer au mieux notre retentissant échec. Je savais que cela équivalait à la réclusion à perpétuité.
- Il y avait aussi toute la question des tests sur la mémoire.
- Je peux vous assurer, sans jamais avoir lu tes comptes rendus, avoir cru que tu tenais un registre complet sur l’évolution de l’expérience. Tu avais une confiance indéfectible en Hermès, aucune raison de t’en méfier puisqu’il remplissait sa tâche correctement. Tu as peut-être eu tort.
- Que veux-tu dire ?
- Douch s’amusait de ce surnom, t’en souviens-tu ?
- Parfaitement bien.
- Je vais te le dire.
Hai reprenait du poil de la bête, n’oubliant pas la kalachnikov braquée sur lui.
- Hermès avait un double, une sorte de Mercure, si je peux dire. Il s’agit d’un Cambodgien, allié des Khmers Rouges et qui a travaillé avec Douch à la prison S-21. La distance séparant le Mékong et Phnom Penh est importante. Cela devenait impossible pour notre commissionnaire d’accomplir sa mission sans un transport sécuritaire, surtout qu’on commençait à fermer les frontières, du moins à se faire plus vigilants. C’est ici que Douch, malgré le fait qu’il ne percevait pas le bien-fondé de ces communications, a mis Hermès en relation avec le Cambodgien. Les deux bonshommes se rejoignaient quelque part dans Phnom Penh, les lettres passant de l’un à l’autre, puis une voiture banalisée se chargeait de le mener vers le Mékong. Pour le courrier cambodgien, bizarrement, le plus difficile aura été de se faire accepter par le chien habitué au premier facteur qui s’y présentait lorsque la Phalange était encore au Vietnam. Il n’a pas eu à utiliser de produit anesthésiant pour se défaire de la bête qui semblait s’être habitué à des venues nocturnes. Puis il rentrait, remettant la réponse à Hermès. Le tour était joué.
- Avait-il un autre rôle que celui de facteur ?
- Je suis heureux que tu poses la question Tuan. Le courrier cambodgien est médecin et pharmacien. Hermès n’avalait pas les pilules, cela le ralentissait dans ce qu’il avait à faire, disait-il. Il en a informé son homonyme cambodgien qui s’est mis à la tâche de découvrir la composition de la médication.
- Revenons au sujet de ce soir, dit l’homme au bracelet de jade.
- Une seule et unique personne peut vous instruire sur les rubis et ce n’est ni moi ni Ba.
Les dernières paroles de Hai jetèrent un froid. Mentait-il ? Voulait-il sauver sa peau ? Gagner du temps ?
- Nos pas vers ce trésor doivent donc s’orienter vers les deux courriers ? Enchaîna Ngọc Bích.
- Je vous répète que les rubis sont en sécurité. Eux seuls savent. Nous sommes, vous l’avez mentionné en début de rencontre, à écrire l’épilogue. Je sens qu’un coup fatal pourrait me faire taire, moi qui possède des informations provenant de Douch lui-même. Je n’ai plus rien à gagner, tout à perdre, alors aucun bénéfice à les retenir pour moi.
- Ta collaboration serait appréciée.
- Je n’ai jamais été en présence de près ou de loin du trésor des Khmers Rouges. Hermès et Mercure, oui, dès le début de leur association. Parleront-ils, j’en ai aucune idée.
- Divers moyens sont à notre portée, ajouta Tuan.
- Je n’en doute pas un seul instant. Je finirai mon plaidoyer par ceci. Lorsque la ville de Phnom Penh est libérée par notre valeureuse armée, pour moi, les deux objectifs confiés à la Phalange sont atteints : les tests médicaux sont une réussite sur toute la ligne et je connais ceux qui savent à quel endroit se trouvent ces rubis qui valaient à l’époque des centaines de millions de dollars américains. Imaginez un court instant leur valeur aujourd’hui, on doit assurément parler de milliards de dollars.
- Tu comprends aussi la raison pour laquelle vous trois, deux maintenant, car un AVC est si vite arrivé si on sait bien le provoquer, vous êtes demeurés en vie. Je suis celui qui sert d’intermédiaire entre vous et nous par l’entremise de Một. Ses angoisses nous ont fait craindre le pire, allait-il tomber dans un délire pouvant nuire à la conclusion de cette affaire ? Nous l’anticipions.
- J’avoue que depuis quelques semaines, son anxiété prenait le dessus le menant à la paranoïa.
- Voici ta dernière tâche : tu rencontres les deux types, même si pour cela tu dois te rendre au Cambodge rejoindre le médecin-pharmacien et tu nous reviens avec ce qu’on attend, acheva l’homme au bracelet de jade.
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Berlin
C’est une docteure Méghane complètement éblouie qui se trouvait devant le célèbre Wolfgang Plischke, ce vétérinaire devenu célèbre pour sa création d’un fauteuil roulant fabriqué à partir de blocs Lego qu’il fit installer chez une tortue ayant perdu l’usage de ses pattes. Pourquoi ce brillant homme se présentait-il au siège social de l’IIC, accompagné par son collègue, ex-responsable du dossier Douch, afin de la rencontrer ?
- Je ne crois pas nécessaire de vous présenter notre invité. Comme son temps est précieux, je lui demanderai de vous fournir les éléments qu’il détient, liés à l’affaire
- Merci. Je serai bref et le plus clair possible. Lorsque j’ai été invité à participer, en 1977, à ce groupe de recherches réunissant des sommités en neurosciences, pharmacologie et toxicologie, le tout sous l’égide de la compagnie pharmaceutique Bayer, je me suis questionné sur le pourquoi de la présence d’un vétérinaire à cette table. J’ai très vite compris que nous recevions le mandat de créer, je choisis ce mot à bon escient, un médicament unique, dont les propriétés spécifiques étaient d’affecter la mémoire à court et à long terme. Je savais pertinemment que les spécialistes neuro-scientifiques travaillaient à ce moment-là sur la question qui vous occupe Docteure, soit le transfert de la mémoire. Nous avions tout au plus dix-huit mois pour le mettre au point et que par la suite, un groupe de volontaires vietnamiens serviraient de cobayes. Si ma mémoire est fidèle, une trentaine d’individus composerait le groupe de contrôle et le groupe témoin, quatre personnes seulement. Nous ne comprenions pas tout à fait cette exigence qu’on nous imposait, mais nous avons fait avec. Les premiers tests ont été réalisés ici, en Allemagne, sur quelques chiens de la race spitz, deux catégories de spécimens : le spitz nain ainsi que le spitz-loup. On s’amusait à dire que ces chiens feraient bien l’affaire puisqu’ils ont la queue en faucille, tout à fait communiste. Je ne m’attarderai pas aux détails, mais je vous remets, Docteure, le protocole de recherche que vous pourrez examiner.
- Vous y êtes arrivés rapidement ? Questionna-t-elle.
- Plus rapidement que nous l’espérions, sauf que nous nous butions constamment sur un obstacle de taille, à savoir les illusions.
- Le médicament créait ce type d’effets ?
- Impossible de s‘en débarrasser, à tel point que joignant ce fait à nos conclusions, la compagnie Bayer, commanditaire du projet, déclara que cela ne comporterait aucun problème, que l’on pouvait aller de l’avant. Votre collègue m’a appris que vous êtes en possession d’échantillons de ce produit qui n’aura été utilisé qu’à une seule occasion, que vous l’avez fait expertiser par un pharmacien-toxicologue vietnamien. Vous avez les résultats en main.
- Tout à fait, répondit la docteure.
- Je mettrai un point final à cette démonstration en qualité de vétérinaire ; jamais au grand jamais ce médicament qui défie la science elle-même, ne devrait être administré à des animaux. Les tests que nous avons effectués avant qu’il ne quitte le laboratoire, ne se sont pas rendus jusqu’à l’absorption du produit final qui, de toute évidence, aurait rapidement causé la mort des sujets.
- Deux petites questions avant de vous quitter. La première porte sur les illusions, la seconde sur la qualité du produit à traverser le temps, comme si la péremption avait été annihilée.
- Le produit, soluble dans l’eau, aucunement nuisible aux fonctions gastriques, est enduit d’une substance qui m’est totalement inconnue, mais qui la préserve pour vingt-cinq ans. Ceci est certainement une avenue dont les compagnies pharmaceutiques ne veulent pas entendre parler. Vous en déduisez qu’elle joue sur la péremption. Quant aux phénomènes d’illusions, j’ai le souvenir des explications d’un neurologue, membre du groupe de travail, qui les reliaient directement à certaines fonctions cérébrales agissant sur ce qu’il a nommé “ la suspension consentie de l’incrédulité “.
- A-t-il précisé que cela pouvait aller jusqu’aux hallucinations, jusqu’au délire ?
- Exactement, mais je ne veux pas m’avancer en terrain inconnu. Il me semble l’entendre dire que cette médication pouvait, à long terme, induire la mémoire à un fonctionnement inverse, c’est-à-dire qu’elle ne percevrait plus de véritables souvenirs, mais plutôt des sentiments de “déjà-vus” qui confondraient les individus soumis à ce traitement, les plaçant dans l’incertitude, le doute et la confusion. Les écoutant, toute personne normalement constituée, en arriverait à la conclusion qu’ils sont dérangés mentalement, donc peu crédibles.
- Merci docteur.
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Vietnam
Bao et Daniel Bloch, main dans la main par ce soir agréablement doux, marchaient dans la rue Lê Duẩn, quasiment vide. Elle fut si encombrée lors du 30 avril, qu’elle s’accordait un repos bien mérité. À quoi ressemblait ce grand boulevard portant le nom de Norodom, avant la Libération de 1975 ?
Ils se dirigeaient vers le Palais de la Réunification, la tête bourrée de tant et tant de renseignements, qu’ils ressentirent le besoin de s’évaporer l’esprit. Sans se le dire ouvertement, l’assurance que d’ici vingt-quatre heures, la lumière se ferait sur cette histoire qui aura agi comme une potion magique enfermée dans un bien étrange grimoire.
L’homme aime cette femme. La femme le lui rend bien. Entre eux, s’est confortablement infiltrée une complicité rapidement transformée en amitié, puis ils n’allaient plus le cacher maintenant, éclairée par la lumière de l’amour. Ni l’un ni l’autre ne songeaient aux suites de cette aventure, ils étaient dans le moment présent, celui qui relie de manière indéfectible.
Être en amour à 70 ans, n’envisager que la minute succédant à celle-ci, ne songer qu’aux échanges de regards, aux élans du coeur et ceux de l’âme, sans penser ni à demain ni après-demain, savourer chaque matin qui vous ouvre aux merveilles d’être corps à corps, rapprochés, percevant l’éternité dans un sourire offert, l’électrique premier souffle redonnant l’énergie d’être en vie, rassure sur la béatitude d’être un humain.
Cet homme aime cette femme, le lui répète, tout de lui en est la réverbération. Ne pas chercher à comprendre, ne pas organiser l’avenir, ne souhaiter qu’être avec elle. Mille ans encore !
La femme qui marche à ses côtés, celle qui lui permet d’être heureux au quotidien, ralentit la fuite du temps inexorablement éphémère et transitoire, si totalement elle-même, lui tient la main, la mène vers son bracelet de jade, l’autorise à s’y arrêter comme s’il caressait le passé. Il lui demanda de devenir sa compagne.
Des larmes coulèrent de ses yeux, embuant les lunettes rondes qu’elle nettoya. Elle répondit par une légère pression des doigts.
Ils poursuivirent leur marche, tournèrent les yeux vers la Cathédrale Notre-Dame. Essoufflés de bonheur, ils prirent place sur un banc de parc.
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Le 9 février 2005, dans le calendrier chinois luni-solaire, lance à l’occasion du Têt, l’année du Coq de bois. Encore maintenant au Vietnam, certaines gens utilisent deux calendriers pour suivre l’ordre du temps et chez les plus incrédules, connaître le sexe du bébé que pote la femme enceinte. Si l’on cherche le 8 janvier 1979, jour du grand départ de la Phalange pour sa mission, on constate que nous sommes dans l’Année du cheval, à quelques jours de l’arrivée de celle de la Chèvre. Son correspondant dans le calendrier chinois, le 10 décembre 1978. Ce détail porte une intéressante question : auquel de ces deux calendriers “ Celui qui écrivait “ se référait-il en datant ses lettres ?
Cette deuxième journée au royaume de la Phalange, ils la souhaitaient aussi productive que la veille. Revenus à l’appartement de Bao, ils se mirent immédiatement au travail. La femme fit du thé, désolée de ne pouvoir offrir à son amant le café robusta dont il raffole.
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Kep-sur-Mer, Cambodge
Dans sa maison surplombant l’océan, Saverous Pou, celle qui a développé un système de translittération, ne cessait de jongler à cette transcription en langue khmère dans laquelle apparaissait régulièrement : ត្បូងទទឹម. Sans y avoir porté une attention spéciale, puisque cela lui semblait hors propos, ce mot khmer signifiant “rubis“, jamais elle n’avait pu le retrouver dans sa formulation vietnamienne, “hồng ngọc“ qui, reportée en langue française, la reliait à “perle rouge“. Sans crier Euréka ! elle s’empressa de signaler sa découverte à ses deux amis de Saïgon.
“ Vous deux. Je vous fais part presque en urgence, car vous devez respecter une échéance qui approche à grands pas, de cette découverte que je traduirai en mots simples. La Phalange avait pour objectif de récupérer non pas Pol Pot, mais les rubis des Khmers Rouges. Je sais pertinemment que cette nouvelle circulait dans les milieux bien informés, même qu’un émissaire thaï aurait été affecté à une opération visant à convertir les rubis en yuans chinois, mais on la qualifiait de légende urbaine. Les finances de ce gouvernement présentaient d’énormes difficultés et on devait rapidement y remédier. Vendre ces rubis qui devaient valoir, en 1979, des millions de dollars américains, représentait une solution envisageable, simple et rapide. J’en conclus que cette mission secrète, déguisée en une honorable opération de sauvetage du peuple cambodgien par les Vietnamiens et qui allait être saluée dans le monde entier comme un arrêt du génocide que menait les Khmers Rouges contre son peuple, n’avait pour objectif ultime que la récupération de ces fameuses pierres précieuses, les faisant passer du côté vietnamien. Vous conviendrez avec moi que tout cela dormait dans le plus profond secret et ne pouvait être connu que chez des responsables en mesure de le garder. Qui de mieux que le ministère de l'Intérieur ou celui de la Défense pour ce faire ? Cela expliquerait leur implication. La docteure, dont vous m’avez si souvent entretenu de ses recherches, serait qualifiée pour déblayer la question du médicament, mais cela tombe sur le sens qu’il pourrait s’agir d’un outil de dissimulation auprès des engagés dans la Phalange. Je sais qu’encore plusieurs mystères entourent une affaire qui ne réussit pas à s’éteindre. Doit-on penser que les rubis sont en possession de ceux qui, supposément, les attendraient encore ? Il ne reste qu’à accréditer cette hypothèse. Je vous laisse là-dessus, en attente de la suite. “
On échafaudait, détail sur détail, une hypothèse laissant place à une autre, questions et réponses amenant vers d’autres ; un édifice qui prenait forme lentement.
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Vietnam
Hermès arriva au café du District 10 en compagnie de p-M-24. On l’attendait, toutefois, les deux hommes du ministère de l'Intérieur se montrèrent surpris par la présence du soldat sourd-muet.
- Tu me laisseras mener l’interrogatoire, je les connais depuis si longtemps, fit Tuan.
- Sans souci mon frère.
- Asseyez-vous.
La dernière circonstance les ayant mis en contact remontait aux funérailles de la grand-mère et de sa petite-fille, quelques jours auparavant. Lorsque Ba, le colonel 3, avait provoqué ce mouvement irréversible chez les 30 soldats, leur annonçant qu’une section du groupe s’en prendrait à une autre, sans préciser exactement laquelle, “ Celui qui écrivait “ avait utilisé le terme de “mutinerie” pour le décrire, les trois hommes s’enfuirent, se réfugiant à Hà Tien.
Les trois fugitifs assis à la même table, se quittèrent, mais les liens tissés à cette époque ne furent entretenus qu’entre “ Celui qui écrivait “et p-M-24. Ce dernier revenait de chez l’enfer, entièrement détruit, envahi d’idées suicidaires. Retourné dans sa famille, il fut accueilli comme le plus illustre des étrangers ; on lui fit rapidement comprendre qu’il n’avait plus sa place parmi eux. Il se retrouva donc à Saïgon, végétant sous les ponts.
À l’occasion, Tuan, sachant où il rongeait son frein, lui confiait quelques commissions, ce qui le tint en vie. Un jour, ne s’attendant pas à revoir Hermès, ce dernier l’invita à l’accompagner à Phnom Penh pour accomplir une besogne particulière, dont il s’acquitta efficacement.
Quant au facteur, sa vie se déroulait plus aisément. Il se maria quelques mois après le démantèlement de la Phalange. Se faufiler partout sans être remarqué, lui aura été d’un précieux secours. En plus de cette responsabilité, celle de porter des messages, il assistait “ Celui qui écrivait “ dans ses travaux de cartographie du Mékong, de sorte qu’il s’y déplace maintenant les yeux fermés.
Prenant le bras de p-M-24 afin de l’installer à côté de lui, Tuan porta son attention à Hermès qui prit la parole.
- Vous n’aurez pas à faire de dessins, je sais pourquoi vous nous convoquez. Tu m’as-tu souvent cité des proverbes vietnamiens, Tuan, je vais t’en offrir un à mon tour : La vérité n’est pas toujours agréable à entendre. Eh bien la voici, celle qui répondra à la question que vous vouliez me poser. Les rubis des Khmers Rouges sont bel et bien au Vietnam. p-M-24 et moi les avons transférés ici depuis Phnom Penh, il y a maintenant dix ans de cela. Sois certain, ils se trouvent en toute sécurité.
- Tu nous indiques l’endroit ?
- Là où personne ne peut l’imaginer. Permets-moi d’abord de te dire que des Thaïlandais reconnus pour leur expertise dans le domaine des pierres précieuses, ont eu le mandat de les vendre. Les négociations ont été menées par mon collègue cambodgien qui participait à la livraison des lettres vers le Mékong, un médecin-pharmacien très sérieux. Lorsque nous sommes arrivés à son cabinet, il y a dix ans de cela maintenant, il nous a indiqué les résultats de son travail sur le fameux médicament. Il est un génie en pharmacologie et je suis certain qu’il saura vendre ce produit à des commanditaires internationaux. Il m’a également parlé des centaines de millions de dollars américains qu’il a obtenu de la vente des rubis. C’est par lui qu’ils ont été transformés en argent.
- Deux questions, s’interposa l’homme au bracelet de jade. Un, comment était-il au courant de l’existence de ces richesses et deux, les récupérant, elles ont été déposées à quel endroit ?
- Par Douch, bien évidemment. Collaborateur essentiel à S-21, une sorte de confiance est née entre eux. Lorsque l’armée vietnamienne entre à Phnom Penh, le directeur de la prison s’enfuit vers Hà Tien, lieu des rencontres entre lui et le colonel 2. Il tentera de s’y installer, mais la méfiance des habitants le rebute. Il communique alors avec le médecin-pharmacien cambodgien pour qu’il réponde, en son nom, à l’invitation de la Phalange, laissant entendre qu’une association pourrait être intéressante pour les deux parties. Il choisira de partir dans la jungle cambodgienne, sa présence et son rôle au sein du groupe paramilitaire vietnamien ne lui convenant plus.
Tuan le suivait chronologiquement et constatait l’exactitude des faits.
- Si tu me permets une opinion toute personnelle, je dirais que les agissements de Ba ont joué un rôle dans le fait qu’il quitte notre groupe.
- Tu t’éloignes du sujet, reprit Tuan.
- Personne ne pourra oublier cette période, p-M-24, le premier.
- Alors ?
- Au début, je conduisais Hai au lieu des rendez-vous, à Hà Tien. Vous vous doutez bien que je n’allais pas perdre l’occasion qui s’offrait à moi d’épier les conversations. Jamais Douch ne fait allusion au trésor, les rubis en provenance de Birmanie. Cherchait-il à ne pas échapper un panier aux oeufs d’or ? Il est assez rusé pour ça.
- Pourquoi, au retour de cette expédition, ne m’en as-tu pas soufflé un mot ?
- Tu es assez intelligent, Tuan, pour comprendre que chacun de nous, les 30 soldats, n’avions qu’une seule idée en tête : s’échapper de ce merdier et il me semblait que je pouvais détenir un espace pour le faire, mais mon engagement auprès de toi dans la transmission des lettres et les travaux de cartographie du Mékong qui pouvaient m’assurer un certain avenir une fois cette mission conclue, cela m’a poussé au silence.
L’homme au bracelet de jade tint à ajouter son grain de sel. Il insista sur le fait que l’arrivée du tortionnaire de Tuol Sleng ne faisait pas partie de la stratégie. Ce sont les colonels eux-mêmes qui élaborèrent le plan visant à s’adjoindre une ressource cambodgienne, de préférence un membre influent de la hiérarchie des Khmers Rouges et ont accepté qu’il se réfugie auprès de la Phalange.
Hermès reprit.
- À ce moment-là, il possède une carte majeure dans son jeu : il connaît la cachette des rubis. Son ex-associé à S-21 lui voue une admiration hors du commun. En 1995, quatre ans avant son arrestation, je suis convoqué par le médecin-pharmacien cambodgien afin de le rencontrer dans la jungle au sud du Cambodge, car vivre dans la capitale suite au démantèlement de la Phalange représente trop de risques pour la sécurité de Douch. Je peux vous jurer que Hai maintenait, à ce moment-là, des relations avec lui, mais qu’il n’a pas assisté à cette rencontre pour le moins étonnante. Pour quelle raison, pour servir quel objectif nous donne-t-il l’information sur l’emplacement qui abrite le trésor, je ne saurais le dire. Arrivés à l’emplacement que Douch nous avait indiqué, une pagode bouddhiste tout juste à côté de la prison Tuol Sleng, nous retrouvons les sacs contenant les fameux rubis. p-M-4, le médecin-pharmacien et moi les déposeront à son cabinet. La suite est fort simple : après avoir monnayé le tout, un mois plus tard, il me convoque à nouveau, cette fois avec le mandat de livrer l’argent à la personne qu’il m’a indiquée, ici à Saïgon.
- À qui remettez-vous le tout ?
- Un employé du ministère de l'Intérieur que l’on a rejoint rue Tran Long, dans le quartier Binh Thanh.
Il est sorti du monde des faits pour entrer dans celui des illusions,
et il m’arrive de penser que l’illusion
est peut-être la forme que prennent aux yeux du vulgaire
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