vendredi 4 novembre 2005

Le trente-deuxième saut de crapaud


Il y a deux mois, déjà, au matin de la fête du travail, j’entreprenais ce blogue portant le titre LE CRAPAUD GÉANT DU PARC FORILLON. Deux mois plus tard, trois jours après la fête des morts, je me propose d’en faire le bilan. Une sorte d’inventaire permettant de rajuster le saut ou encore un moment d’arrêt qui situerait dans le temps l’espace entre ici, maintenant et cet il y a deux mois.

Je le voulais, ce blogue, éclectique. Il le fut. Continuera de l’être. De ces histoires débutant par Il était une fois… racontées par ce grand-père marcheur sur une grave gaspésienne, issues de ces deux semaines étalées sur un peu plus d’un mois entre juillet et août dernier (lui) m’auront permis de recueillir là-bas des odeurs, des couleurs à nulle autre pareille. Dire que j’aurais pu les écrire directement de là, de ce Cap-des-Rosiers dont le phare aux yeux clairs projette de sa hauteur orgueilleuse des sillons de lumière sur une mer qui n’en est pas une mais qui en est une, de cette Anse-au-Griffon où la maison saumonée en plus d’avoir conquis mon cœur continue toujours de me hanter comme une sirène, dans cette Gaspésie maritime oui, éloignée, soit, mais de cette Gaspésie gardienne de la mer, courageuse et accueilleuse… La Gaspésie, écrin fragile d’un monde à continuer!

Ce crapaud, celui qui m’aura permis de définir et d’approfondir ce qui reste à continuer, les bris de silence. Un bris de silence, c’est un moment unique, à ne pas perdre, un instant où le cours des choses s’estompe car lui est soumis un temps de rêve, de réflexion, de méditation, temps venu d’on ne sait où et qui permet cet arrêt sur et autour de soi. Une inspiration, aussi. Ce crapaud m’a surpris par son plongeon inusité, exigeant la réflexion. Un flock! dans le géant de la vie. Tout peut devenir géant si l’on si attarde.

Quelques petites histoires, une plus longue, celle de Philip et de Clémence surtout qui aura mobilisé mes énergies, m’interpelant le matin, après le café, après les oiseaux et l’eau versée dans ce laurier à fleurs blanches. Il y en aura d’autres de ces personnages devenant autant d’occasions pour approfondir ce qui est sans doute le plus difficile à écrire, l’intérieur des gens et l’inévitable contact avec la réalité des autres.

Depuis deux mois, l’environnement a changé. Il y a quelques années j’aurais dit que c’était pour le meilleur ou pour le pire, aujourd’hui je dis qu’il a changé parce qu’il a besoin de changer. Se connaissant mieux, il sait quand et comment changer. Mes oiseaux du matin deviennent de plus en plus familiers. Ils savent quand les miettes viendront, mais surtout ils profitent de ma présence sur le balcon pour piailler leurs histoires d’oiseaux. Certains s’approchent au point de rencontre encore défini comme la limite entre la peur et la familiarité, c’est-à-dire à la base du bocal d’un laurier exigeant son humidité matinale, lieu neutre et convivial à la fois.

J’ai fait l’erreur d’entrer trop vite mon ibiscus qui a fleuri cette année tant et tellement, croyant le protéger à l’arrivée des nuits fraîches en le replaçant là où il allait passer ses longues heures d’hiver. Il a réagi. Il laissait tomber ses feuilles. Ne fleurissait plus. D’un commun accord, nous nous sommes entendus pour le jour dehors, la nuit en dedans. Il est heureux et me le dit par la repousse de feuilles d’un vert si délicat que j’ai peine à lui trouver une ressemblance.

L’environnement tourne à l’automne. Le grand érable rouge qui fait merveille dans la ruelle devient de plus en plus rouille. On voit que le soleil s’y est accroché aux feuilles. Les écureuils l’ont adopté, y faisant leur nid. Les oiseaux se prélassent toute la journée dans ce parasol qui tout doucement perd en efficacité comme protecteur de vent. Les feuilles mortes changent de bruit. Il devient de plus en plus un frôlement cartonné. La pluie : ses avares présences de l’été sont compensées maintenant par une surabondance mal mesurée.

Fleurette va bien. Arthur, aussi. Car des gens sont entrés dans ce blogue. Il y en aura d’autres. Émile et Léa, bientôt. Il est toujours difficile de parler de ceux qui sont là, que l’on aime et qui font vibrer en soi des élans de géant. Être géant, ce n’est pas être grandeur hors de l’ordinaire. Être géant, c’est être soi-même. Comme me le disait, il y a de cela très longtemps, un professeur d’une école secondaire, être soi-même, voilà le plus difficile car nous avons la mauvaise habitude de nous montrer toujours sous notre jour le plus agréable, dans nos plus beaux atours, avec des mots les plus justes, car nous portons vers l’autre au lieu de porter vers soi. Un géant pour moi sera toujours un instant de vie qui déclique des moments d’amour.

Puis, la poésie. Oui, la poésie. J’aime bien ce que Beaudelaire en dit :
La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même; elle ne peut pas en avoir d’autre, et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de défaillance, s’assimiler à la science ou à la morale : elle n’a pas la Vérité pour objet, elle n’a qu’Elle-même.

J’y suis arrivé assez jeune. En fait c’est grâce à une personne, décédée depuis, une vieille cousine de ma grand-mère, que l’on appelait amoureusement cousine Marie-Anne. Elle vivait à Montréal. Veuve d’un vétérinaire et mère orpheline d’un fils parti à l’orée de ses vingt ans, elle représenta pour moi la première manifestation du géant. Première à lire mes poèmes, elle les a aimés, critiqués et reçu un cahier dans lequel je notais des alexandrins fragiles, des sonnets aux rimes simples, des poèmes libres qu’elle aimait moins. Ce cahier, il survit certainement quelque part, chez quelqu’un qui aura hérité de ses souvenirs et de ses nostalgies que méticuleusement elle conservait. C’est elle qui m’offrit un premier recueil de poèmes : les œuvres complètes de Marie Noël. Elle était bien catholique et je ne lui reproche pas. Mais lorsqu’elle percevait des influences plus modernes, ne s’en offusquant pas, je la vois encore me dire sa difficulté à saisir les images hermétiques. Mallarmé ne faisait pas partie de ses lectures. Rimbaud et Verlaine, encore moins. Toutefois, lorsque je suis tombé en amour avec Saint-Denys-Garneau elle me vantait Nelligan. Miron et Roland Giguère, elle n’eut pas le temps de les lire. Je lui rends hommage aujourd’hui, la remercie et lui rappelle mon amour.

Voilà pour ce premier deux mois. Ces deux mois de matin remplis à courir avec les mots, bousculer l’imagination et réfléchir. Il me reste encore tant et tant à écrire, tel un grand-père, le matin, vérifiant la direction de sa girouette plantée face au temps.

Continuons, maintenant.

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