mardi 16 octobre 2007

Le cent quatre-vingt-deuxième saut de crapaud

Yvan-Alain Fournier
1943-2007

Mon ami Yvan est décédé.

De cette maladie insidieuse à la démarche résolument destructrice, du cancer. Mon ami Yvan l'était depuis près de quarante ans. De ces amitiés marquées au fer rouge... au coeur et au temps. Définissable par tant et tant de doux moments et de si profondes richesses ancrées dans la communication. Que maintenant cela, la communication, soit coupée m'est le plus difficile.

J'écrivais à ma très chère Claire, cette belle-soeur qui sait si bien toucher mon âme et mon cerveau par la pertinence de ses questions projetantes dans la réflexion, je lui écrivais ceci suite au décès de mon ami: « la dernière fois que j’ai parlé à Yvan (dimanche vers 21h) et qu’il ne me répondait que par un râlement, j’ai ressenti que mon ami partait, s’occupait à nettoyer son intérieur comme s’il ramassait l’essentiel avant de s’en aller. S’en aller tout en sachant qu’il n’allait pas revenir.

Danielle, son épouse, me disait qu’il a ouvert les yeux, une dernière fois, quelques secondes avant de mourir et qu’elle y a vu une telle douceur, un peu comme les yeux des personnages sur les anciennes images saintes. Un dernier souffle, puis plus rien. Tellement qu’elle se demandait si c’était cela la mort; juste cela.»

Danielle m'a demandé de préparer un texte pour les funérailles et toujours à Claire, je confiais ceci: « je le veux, à la fois, chargé de l’émotion qu’une telle circonstance dépose sur notre cœur et dire à toutes celles et tous ceux qui l’ont connu combien Yvan, que j’appellerai «l’homme au regard à fleur d’ange», combien cet homme nous aura marqués par son courage et flagellés par ses silences intérieurs.

Je sais, aussi, que ce décès, cette mort ou ce départ – je m’emmêle à trouver le mot juste – porte un message. Il me faut le découvrir. Il voltige entre la souffrance et la réconciliation, entre la solitude du temps et l’ouverture à l’éternité. Je ne sais pas encore. Yvan, mon ami courbé par les souffrances qu’il taisait, je lui demande de s’installer ici, chez moi, sous la vigne et ses raisins qu’il a tant aimés, qu’il trouvait «parfumés», jusqu’au moment où son esprit aura réussi à faire le tour de ce qu’il doit faire, et me souffler dans le dos comme de grands coups de soleil, comment faut-il accepter la mort d’un ami?

Ce que je trouve d’étrange dans cette mort c’est qu’une fois qu’elle a envahi le corps d’un homme, qu’elle y a délogé la vie parfois à grands coups de martyrs, parfois à grands coups de douceurs, elle s’en va. La mort ne reste pas. Elle est en marche, inviteuse puis quitteuse… une grande charmeuse sachant s’adresser à chacun dans le langage qui le rejoint. Elle part. Sans doute intéressée par quelqu’un d’autre. Elle ne s’occupe, la mort, que des hommes. Les choses ne meurent pas, elles demeurent «sang-froid» alors que les hommes sont «sang-chaud»… appeleurs de mort… »

Je finissais le courriel à Claire par ces mots: « j’aurais presque le goût de dire qu’il faudrait, quand on sait la mort à l’œuvre chez quelqu’un que l’on aime, tout de suite, se centrer sur son esprit qui n’a rien du «sang-froid» et du «sang-chaud». Si vite le corps devient une «chose» alors que l’esprit, l’au-delà du «sang-chaud», demande à être porté dans cette zone où l’immortalité est possible, voilà je pense, une façon de s’accompagner vers sa propre mort, la main déposée dans celle de l’autre.»


Voici le texte lu à la cathédrale de Saint-Hyacinthe, le lundi 15 octobre 2007, devant la tombe de mon ami Yvan que j'embrasse ici une dernière fois.


Cher Yvan,
Ce matin, j'ai fait un peu plus de café qu'à l'habitude... au cas où tu viendrais. D'un même mouvement, j'ai ramassé de la chaleur, du soleil afin de les déposer sur tes épaules; ces épaules qui depuis quelques mois s'arquaient... à la fin se courbaient.

Tu ne pliais pas, non, tu ne pliais pas, tu ne faisais que compresser l'autour de toi afin de mieux te l'accaparer, comme on fait sa valise qui suivra tout au long de son voyage.

Et nous aurions parlé. Jasé. Beaucoup moi, la grande gueule, mais aussi toi, mon ami silencieux. L'homme qui sans larmes pleurait.

Je savais, à la fin du mois de juillet, lorsque Jean-Luc m'apprit la teneur de la maladie qui t'affectait que je me magasinais de la peine. Mais sache que pour rien au monde je n'aurais souhaité autre chose que les heures toutes remplies d'une intense humanité, d'une tendre amitié, ces heures passées ensemble.

À l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, au neuvième, sous les ailes d'un papillon... sous les soins de ce personnel qui, rapidement, se mit à t'aimer. Déjà, à ce moment de l'été, tu utilisais le mot «merci» comme la porte à emprunter pour bien exprimer ce que tu voulais dire à tout le monde.

Tu t'y es pris dès cette époque, que dans ma frénésie à vouloir t'amener ailleurs je jugeais prématurée, tu t'y mettais dès cette époque, regardant derrière et tout à côté de toi, puis notait dans ces cahiers arc-en-ciel que tu distribueras plus tard aux gens que tu aimes, les mots enrubannés de mercis, afin de bien les leur rappeler.
À Douville également, dans ta maison retrouvée après quelques courts séjours à l'hôpital, la maison Viens, celle que tu auras si longtemps habitée, marchée par coeur, celle où ton esprit s'est logé, nous en sommes assurés, avant que tu partes. Il y restera. Il y a bien aussi celle qu'aux environs de 5 heures le matin tu retrouvais, cette deuxième demeure de la rue des Cascades.

Yvan,
Tu as beaucoup écrit. Peu parlé. Tu as beaucoup réfléchi. À tant de questions pour lesquelles les réponses, souvent, se transformaient en d'autres questions. Tu te rappelles nos grandes envolées philosophiques sur le temps que toi tu appelais… l'éternité… sur la vie que toi tu appelais… la liberté… La République de Platon.

Je suis convaincu que nous trouverons, bientôt, cachés à gauche ou à droite, à la maison ou à la pâtisserie, une feuille, un carnet sur lesquels de ton écriture à la si parfaite calligraphie, nous trouverons des textes permettant de mieux saisir encore qui tu étais.

Nous, ces tous et chacun qui eurent l'occasion de découvrir une partie de ce Yvan, l'être secret, intérieur, généreux et amoureux du bonheur, du tien et de celui des autres.
Nous, ces tous et chacun qui partagèrent avec toi, Yvan, l'homme au regard à fleur d'âme, des espaces de vie, des occasions privilégiées, des activités aussi diverses que diversifiées… qui partagèrent des espaces d'amitié, de fraternité et d'amour.

Tu nous as quittés. Dans la plus entière dignité. Te disant, sans doute, que tout se déroulerait sans acharnement. Tu nous as quittés. Apportant une partie de chacun de nous avec tes «mercis» qui, à la fois, nous appelaient à toi et nous en séparaient.

Jamais je n'aurai vu chez toi, ô mon grand ami, avant, pendant et maintenant, un seul instant de hargne ou de haine, jamais, un seul instant je n'aurai rencontré - et tous peuvent en témoigner - autre chose que cette chaleur et ce soleil que tu recherchais tant cet été, cet automne.

Souvent tu disais, comme dans la chanson, « Je n'aurai pas le temps »... Sache que tu as eu le temps de rendre Danielle heureuse. D'aimer Diane, Étienne-Manuel et Annabelle. Sache que tu auras eu le temps de vivre des instants uniques avec Mario, France et Jocelyn. Et Léola, Lorraine, Gérald. Nicole et Julie. Et tes chats, inséparables compagnons de silence.


Très cher Yvan,
Permets-moi de te dire que d'avoir vécu avec toi ces combien trop courtes heures qui remplirent quelques mercredis fut pour moi, pour Jean-Luc aussi, des instants d'une incomparable qualité.

Certainement plusieurs autres amis, de maintenant et d’avant, en diront autant.

Yvan,
Au nom des tiens, de celles et ceux qui eurent à te croiser, à un moment ou à un autre de leur vie, reçois tout comme tu le donnais si bien, un profond merci, un merci-gâteau...

Et retrouve, là où déjà tu es en marche, ceux qui t'attendent les bras ouverts.


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