vendredi 4 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (3)

Caro Poulin


Chapitre 7



Alors que la famille Poulin s'attablait pour le souper, Mario, depuis un bon moment, avait tondu le gazon et tout replacer dans la remise derrière la maison. C'est la méthode qu'il utilisait pour demander quelque chose à ses parents. Il obtenait tout ce qu'il voulait en faisant un petit extra qui satisferait papa et maman Chabot.


Sa mère le vit agir par la fenêtre et en avisa son mari. Ce que Mario ignorait, c'est que sa demande tombait à point puisqu'ils avaient prévu une sortie pour cette semaine. Une fois la demande fut acheminée, madame Chabot demanda:
- As-tu pensé à tes journaux, Mario?
- Il n'y aura pas de problème, répondit-il.
- Si tu pouvais achever de tailler la haie, je pense que ton père n'hésitera pas à t'accorder sa permission.
- Pas de trouble, je m'en occupe dès demain matin.
- Fais comme si tu pouvais y aller.

Madame Chabot pouvait partir l'esprit en paix. Ce n'est pas que son fils lui soit une charge mais elle préférait ne pas avoir à s'en occuper. Depuis tout petit, Mario a appris à se débrouiller seul, à faire plaisir afin d'obtenir ce qu'il voulait et simuler ne rien comprendre du fonctionnement de la maison. Ses parents sortaient beaucoup et leur fils, souvent, était laissé à lui-même.
À son tour, Mario pouvait courir vers le parc, sa permission sous le bras.




Chapitre 8



Joe vit venir les trois Poulin et remarqua l'air soucieux de Bob. Il se demandait quel problème cela cachait-il? Au fond de lui-même, il espérait que ce ne soit pas Caro à qui on ait refusé de participer au camp. Joe avait pour Caro une attirance qu'il se devait de cacher parce qu'Annie lui collait tellement aux talons. Il essayait, souvent, de se retrouver seul avec elle mais Annie se pointait continuellement pour lui offrir une cigarette ou encore, elle se pressait contre lui. Pour sa part, Caro ne faisait aucun cas du grand Joe. Les voyant arriver, il pressentit comme l'amorce d'un malheur.


Mario était parti en courant chez Rock pour lui annoncer la nouvelle mais surtout s'enquérir de ce qui lui arrivait. À la vue de son ami, Mario se douta que quelque chose de grave venait d'arriver.
- Viens-tu, Rock?
- Oui.
- T'as l'air d'un chien battu!
- Ma mère n'était pas d'accord; mon père était d'accord; j'étais d'accord; et là je ne le sais plus, balbutia un Rock se balançant de gauche à droite,
- C'est compliqué ton affaire, mais au moins tu viens.
- Ma mère a pleuré.
- Elle pleure juste à penser à toi, c'est pas nouveau, saint citron.
- J'ai l'air d'une balle de ping pong entre les deux. Surtout que c'est la première fois que j'entends mon père dire quelque chose qui n'est pas la même affaire que ma mère. Ça me fait tout bizarre.
- Tu sais, les parents c'est bien souvent de même. Moi...
- Quoi toi, y sont corrects tes parents?
- À leur manière, mais dans le fond ça les arrange de ne pas trop s'occuper de moi.
- Compliqué...
- Il va falloir courir pour tout faire avant de partir.
- Commençons par nous rendre au parc voir si les autres n'ont pas de problèmes.
- Sûrement pas Joe, en tout ca.


Rock prit un pas de recul et regardant son associé-camelot énonça d'une voix bien sérieuse:
- Pourquoi on est toujours sur son dos à Joe?
- On n'est pas toujours sur son dos, lança rapidement Mario. Des fois, on dirait qu'Annie et toi vous n'arrêtez pas de le défendre comme si c'était un enfant battu.
- T'exagères un peu, peut-être!
- Allons au parc.

Joe, les jambes à son cou, rejoignit Bob et ses soeurs. Annie, croyant qu'il se dirigeait vers elle sortit son plus beau sourire:
- Viens-tu, Joe?
- Pas de problème... tu sais bien que chez nous y a jamais de problèmes.
- Eh! bien nous, on en a un super, reprit Bob accélérant le pas en route vers les balançoires.


Les filles et Joe suivaient, quelques pas derrière. Mario et Rock se joignirent au groupe maintenant reformé. Bob prit la parole:
- Ça va pour tous?


Un oui général fusa vers les branches des pins qu'un vent paresseux faisait frissonner. Les regards tournés vers Rock comme pour s'assurer que le oui était également valide pour lui, revinrent à Bob.
- Nous, ça va et ça va pas.
- Lequel des deux, demanda Joe: ça va ou ça va pas?
- Nos parents sont d'accord à la condition que nous allions camper sur un terrain tout organisé, et une semaine.
- Comment? éclata Joe. Eh! ben là tu m'as pas. Cé pas vra que j'va aller m'écraser dans un terrain de camping avec des ti-culs qui braillent pis des mères qui courent apra. Jouer aux fers pis au bingo, non marci.
- Les nerfs, reprit Bob.
- On a un parfait problème, dit Mario. Jamais j'aurais pensé à une affaire de même. Comment on va s'en sortir?
- Ma mère serait bien fière si j'arrivais puis que je lui disais qu'on va pas camper sauvage, poursuivit Rock qui ne savait trop s'il devait se réjouir ou non.

L'atmosphère s'échauffait; Annie fumait; Caro boudait; Rock s'énervait; Joe hurlait... en-dedans de lui; Mario regardait du côté de Bob qui, visiblement, était à la recherche d'une solution. Joe n'en pouvant plus:
- J'ai une idée.
- Attention tout le monde, dit Mario, ça va sauter.
- As-tu une idée, toi, Mario? dit Annie qui pompait à en devenir bleue alors que Joe, fixant Bob, énonça son idée:
- On part pour un beau camping chromé. Ta mère dégage pis après, nous, on se déguise en sauvage. Il s'agit juste de trouver un terrain pas trop loin de ton affaire sauvage où les guernouilles crient toute la nuit.
- Mon cher Joe, vous êtes complètement génial, se permit Mario, scrutant Bob chez qui un étrange souci se dessinait.


Un scout se doit d'être franc. Comment raconter une telle histoire à sa mère? Son honneur de scout le chatouillait.
- Super, super, criait Annie à s'en étouffer.
- Annie, s'il te plaît, coupa Caro.


Toute la gang regarda Bob qui marchait de long en large devant les balançoires qui n'osaient pas faire de bruit de crainte de déranger la réflexion du chef. La triste réalité semblait l'abattre. Son projet venait de prendre un coup solide et cela à cause de ses propres soeurs; on lui proposait une alternative qui le tracassait mais au fond de lui-même, il ne pouvait pas lâcher. Se sentant examiné, un brin de nervosité se fit sentir.


- Envoye, chef, accouche, dit Joe.
- Ce n'est pas si simple que cela, ajouta Rock qui adressait ses paroles en direction de Joe.


Bob marchait toujours. Puis, brusquement il s'arrêta, fixant Caro dans les yeux avant de dire:
- Il n'est pas question que notre projet se réalise sans que toute la gang y soit.
- Tout ce temps-là à penser pour ça. Joe était surpris et dans sa surprise, il se toruna vers Annie comme pour lui faire comprendre que c'était l'heure de la cigarette.
- Veux-tu te la fermer, lui lança Mario.
- Si nous partons, nous partirons tous camper comme prévu, c'est-à-dire en pleine forêt. Mais il faudra réaliser notre projet sans mentir.
- En mots plus clairs pour les habitants de l'école du Patro, ça veut dire quoi?
Annie se meurt. Caro la regarde; elle ne se meurt plus.


- En mots plus clairs, ça veut dire que j'accepte l'idée de Joe si nous sommes tous d'accord.
Joe se leva et se mit à courir partout en criant qu'il était complètement génial. Annie le suivait derrière en criant qu'il était complètement génial. Mais Bob est nerveux.


- Voici comment nous allons nous organiser.


Au loin, on voyait six jeunes semblant discuter, virevolter, courir et revenir à leur point de départ. Une grand idée venait de naître, il ne leur restait plus maintenant qu'à la vivre.


Pour la première fois de sa vie de scout, Bob avait le sentiment qu'en disant la vérité d'une autre manière, ce n'était pas mentir. Et la manière qu'on allait utiliser pour respecter le projet devenu celui de la gang se résumait de cette façon...




Chapitre 9





... Bob, lorsqu'il marche de long en large avec son air de «je-me-gratte-la-tête-ça-aide-pour-réfléchir», eh! bien Bob, il pense sérieux. Sûr que l'idée de Joe le dérangeait au fond de lui-même puisqu'il devait organiser la vérité de façon à ne pas tout dire. Sûr aussi que ses soeurs devaient faire partie du voyage et que l'unité de la gang, c'était quelque chose de très important pour lui.
Lorsque Bob pense, son visage devient neutre. Personne ne peut vraiment dire ce qui se passe en lui et parfois on se retrouve surpris lorsqu'il reprend la parole.


Pendant que Rock, assis à côté de Mario, semblait ailleurs comme encore tout assommé par ce qui s'était passé à la maison, Bob prit la parole:
- Nous sommes mardi. Demain, c'est journée de préparation pour tous. Il faut absolument que chacun pense à ses propres affaires; ne rien oublier. Ensuite, chacun aura une responsabilité à assumer dans l'organisation du projet.


Les Six, suspendus à ses lèvres, voyaient Bob caché derrière ses grosses lunettes les passer en revue l'un après l'autre.
- Je m'engage à me rendre au bureau de tourisme pour obtenir les cartes dont nous aurons besoin et surtout voir à ce que nous puissions trouver un beau terrain de camping proche du parc nationale. Avec ces cartes, on saura se débrouiller. Je dirai à ma mère qu'elle vient nous reconduire à ce camping. Parmi les activités que nous organiserons cette semaine, il y aura une super excursion, style survie. Pas nécessaire de lui préciser combien de temps cette excursion va durer. Et là, nous partirons vers le parc national. Est-ce que cela va pour tous?
- Très bien, répondit Mario qui venait de voir chez le chef quelqu'un de responsable et surtout, sachant écouter l'opinion des autres.


Au fond de lui-même, Mario se demandait comment cette affaire tournerait et eut peur, un instant, que tout puisse s'écrouler. Il savait, lui, comme il est facile de monter un projet pour ensuite le voir imiter un château de cartes au vent. C'était mal connaître Bob Poulin, endurant comme un boxeur et surtout, bon chef. Mario n'était pas du genre à avoir besoin de quelqu'un pour le guider par la main, mais il appréciait chez Bob ses grandes qualités de chef même si parfois ça se présentait comme des ordres.


Joe, assis à côté de Caro, fumait tout en la regardant. Annie, face à lui, s'interrogeait toujours sur ce qu'elle devait faire pour que le grand bonhomme se retrouve près d'elle. Lui payer les cigarettes... Rire de ses farces... Le suivre comme un petit chien... Joe ne semblait pas la remarquer et n'avait d'yeux que pour Caro.


- Bob, j'pourrais m'occuper d'aller chercher les cartes, proposa Joe.
- C'est sur ton chemin?, demanda Bob.
- Tout est sur mon chemin, même chez vous, ironisa Joe en regardant Caro.


Depuis l'arrivée de Joe dans la gang, la présence de Caro l'avait rendu quelque peu différent. Avant, une seule chose l'intéressait: s'écraser au parc avec n'importe qui. On ne peut pas dire qu'il soit un modèle, n'a pas encore d'idées précises sur ce qu'il aime ou n'aime pas, adore toujours prendre des risques sur n'importe quoi, n'est pas le gars le plus poli du quartier, se moque d'à peu près tout ce qui arrive, ne parle jamais de ses parents... mais la seule présence de Caro semble la meilleure affaire qui lui soit arrivée...


Annie surveillait Joe tournant autour de sa soeur et cela la rendait totalement malheureuse. Pour faire passer sa mauvaise humeur, elle fit semblant que rien ne la touchait, ne la dérangeait mais le goût d'écraser sa rivale comme un vulgaire mégot de cigarette qu'elle aurait projeté au loin s'installa en elle.


Jamais elle ne laissait Caro seule, de peur qu'elle ne se retrouva avec Joe. Elle se promettait bien qu'au cours de la semaine de vacances, elle obligerait le grand à oublier Caro pour ne s'intéresser qu'à elle. Entre ses yeux plissés, Annie fomentait son plan.


- Vous attendez mon appel, mais on peut tout de suite fixer l'heure du départ: jeudi matin, 7 heures, venait de préciser un Bob ayant tout à coup retrouver ses moyens.
- Est-ce qu'on apporte notre stock au parc?
- Voyons, mon tout p'tit, tu sais ben que ta meman va venir te porter tout ça, cria Joe en se roulant par terre.
- Pourquoi es-tu si méchant, Joe? demanda Rock, le fixant droit dans les yeux.
- S'cuse, s'cuse, j'voula pas te faire de la pe-peine, répondit Joe, faisant semblant de pleurer.
- Ça va faire, reprit Bob. Le départ se fera de chez nous. Il y aura une inspection avant de partir.
- Oui, mon colonel, acheva Joe, avec un grand salut militaire.
- Moi, je n'ai pas de tente, ajouta Rock.
- Toé, cé pas compliqué, t'as juste ta mère, compléta Joe.
- Tu pourrais être un peu plus gentil, dit Caro s'adressant au grand.


Joe la regarda et, immédiatement, se calma. Annie pencha la tête, cherchant une réplique qui ne vint pas.

Un être dépressif - 15 -

  Un être dépressif -  1 5   - Une transplantation, c’est extraire de la terre pour la planter ailleurs.   Je tarde à le publier ce dernier ...