jeudi 3 juillet 2008

SAUT: 218



Pourquoi ne pas commencer juillet avec André Breton, le fondateur du surréalisme, mouvement qu'il a animé dès 1924 - il est né en 1896 - et dont le propos est de «changer la vie, transformer le monde, refaire de toutes pièces l'entendement humain.»

Les citations que je vous offre aujourd'hui sont tirées de NADJA.

(« Dis-moi qui tu hantes... », telle est la question que se pose, au départ, l'auteur de ce livre pour tenter d'en déduire qui IL est. Pour le théoricien du surréalisme qu'est André Breton - écrivain en quête d'une réalité supérieure résultant de la fusion du réel avec le rêve - le mystère du MOI ne s'élucide qu'en marge de la vie banale soumise à la contrainte du travail quotidien, grâce à ces rencontres que l'on dit fortuites.

Tel jour de 1926, quelque part dans Paris, il croise une inconnue dont la fragilité, le sourire imperceptible et le curieux maquillage inachevé retiennent l'attention. Nadja vient d'entrer dans son existence pour le temps bref où la jeune femme se joue pour lui des énigmes, « toujours inspirée et inspirante », avant de s'enfoncer dans la nuit.

Cette oeuvre datant de 1928 et revue en 1963 par l'auteur, est un témoignage capital sur l'état d'esprit originel et plus que jamais vivant du surréalisme.» ) - Tiré de la présentation du livre aux éditions Livre de Poche. -



. Qui étions-nous devant la réalité?

. J'ai vu ses yeux de fougère s'ouvrir le matin sur un monde où les battements d'ailes de l'espoir immense se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur et, sur ce monde, je n'avais vu encore que des yeux se fermer.

. Il se peut que la vie demande à être déchiffrée comme un cryptogramme. Des escaliers secrets, des cadres dont les tableaux glissent rapidement et disparaissent pour faire place à un archange potant une épée ou pour faire place à ceux qui doivent avancer toujours, des boutons sur lesquels on fait très indirectement pression et qui provoquent le déplacement en hauteur, en longueur, de toute une salle et le plus rapide changement de décor: Il est permis de concevoir la plus grande aventure de l'esprit comme un voyage de ce genre au paradis des pièges.

. Je ne sais quel sentiment d'absolue irrémédiabilité le récit assez narquois de cette horrible aventure me fit éprouver, mais j'ai pleuré longtemps après l'avoir entendu, comme je ne me croyais guère capable de pleurer.

. Qui suis-je? Si par exception je m'en rapportais à un vieil adage: en effet pourquoi tout ne reviendrait-il pas à savoir qui je «hante»? Je dois avouer que ce dernier mot m'égare, tendant à établir entre certains êtres et moi des rapports plus singuliers, moins évitables, plus troublants que je ne pensais. Il dit beaucoup plus qu'il ne veut dire, il me fait jouer de mon vivant le rôle d'un fantôme, évidemment il fait allusion à ce qu'il a fallu que je cessasse d'être, pour être qui je suis. Pris d'une manière à peine abusive dans cette acception, il me donne à entendre que ce que je tiens pour les manifestations objectives de mon existence, manifestations plus ou moins délibérées, n'est que ce qui passe, dans les limites de cette vie, d'une activité dont le champ véritable m'est tout à fait inconnue. La représentation que j'ai du « fantôme » avec ce qu'il offre de conventionnel aussi bien dans son aspect que dans son aveugle soumission à certaines contingences d'heure et de lieu, vaut tout autant, pour moi, comme image finie d'un tourment qui peut être éternel. Il se peut que ma vie ne soit qu'une image de ce genre, et que je sois condamné à revenir sur mes pas tout en croyant que j'explore, à essayer de connaître ce que je devrais fort bien reconnaître, à apprendre une faible partie de ce que j'ai oublié. Cette vue sur moi-même ne me paraît fausse qu'autant qu'elle me présuppose à moi-même, qu'elle situe arbitrairement sur un plan d'antériorité une figure achevée de ma pensée qui n'a aucune raison de composer avec le temps, qu'elle implique dans ce même temps une idée de perte irréparable, de pénitence ou de chute dont le manque de fondement moral ne saurait, à mon sens, souffrir aucune discussion. L'important est que les aptitudes particulières que je me découvre lentement ici-bas ne me distraient en rien de la recherche d'un aptitude générale qui me serait propre et ne m'est pas donnée. Par-delà toutes sortes de goûts que je me connais, d'affinités que je me sens, d'attirances que je subis, d'événements qui m'arrivent et n'arrivent qu'à moi, par-delà quantité de mouvements que je me vois faire, d'émotions que je suis seul à éprouver, je m'efforce, par rapport aux autres hommes, de savoir en quoi consiste, sinon à quoi tient, ma différenciation. N'est-ce pas dans la mesure exacte où je prendrai conscience de cette différenciation que je me révélerai ce qu'entre tous les autres je suis venu faire en ce monde et de quel message unique je suis porteur pour ne pouvoir répondre de son sort que sur ma tête?

. Tout ce qui fait qu'on peut vivre de la vie d'un être, sans jamais désirer obtenir de lui plus que ce qu'il donne, qu'il est amplement suffisant de le voir bouger ou se tenir immobile, parler ou se taire, veiller ou dormir, de ma part n'existait pas non plus, n'avait jamais existé: ce n'était que trop sûr.

. Elle était forte, enfin, et très faible, comme on peut l'être, de cette idée qui toujours avait été la sienne, mais dans laquelle je ne l'avais que trop entretenue, à laquelle je ne l'avais que trop aidée à donner le pas sur les autres: à savoir que la liberté, acquise ici-bas au prix de mille et des plus difficiles renoncements, demande à ce qu'on jouisse d'elle sans restrictions dans le temps où elle est donnée, sans considération pragmatique d'aucune sorte et cela parce que l'émancipation humaine, conçue en définitve sous sa forme révolutionnaire la plus simple, qui n'en est pas moins l'émancipation humaine à tous égards, entendons-nous bien, selon les moyens dont chacun dispose, demeure la seule cause qu'il soit digne de servir. Nadja était faite pour la servir, ne fût-ce qu'en démontrant qu'il doit se fomenter autour de chaque être un complot très particulier qui n'existe pas seulement dans son imagination, dont il conviendrait, au simple point de vue de la connaissance, de tenir compte, et aussi, mais beaucoup plus dangeureusement, en passant la tête, puis un bras entre les barreaux ainsi écartés de la logique, c'est-à-dire de la plus haïssable des prisons. C'est dans la voie de cette dernière entreprise, peut-être, que j'eusse dû la retenir, mais il m'eut fallu tout d'abord prendre conscience du péril qu'elle courrait.

. ... tinte à mon oreille un nom qui n'est plus le sien.

. Mais ainsi en va, n'est-ce-pas, du monde extérieur, cette histoire à dormir debout. Ainsi fait le temps, un temps à ne pas mettre un chien dehors.

. En dépit de ce prolongement et de tous les autres qui me servent à planter une étoile au coeur même du fini. Je devine et cela n'est pas plus tôt établi que j'ai déjà deviné. N'empêche que s'il faut attendre, s'il faut vouloir être sûr, s'il faut prendre des précautions, s'il faut faire au feu la part du feu, et seulement la part, je m'y refuse absolument. Que la grande inconscience vive et sonore qui m'inspire mes seuls actes probants dispose à tout jamais de tout ce qui est moi. Je m'ôte à plaisir toute chance de lui reprendre ce qu'ici à nouveau je lui donne. Je ne veux encore une fois reconnaître qu'elle, je veux ne compter que sur elle et presque à loisir parcourir ses jetées immenses, fixant moi-même un point brillant que je sais être dans mon oeil et qui m'épargne de me heurter à ses ballots de nuit.

. La beauté sera convulsive ou ne sera pas.



En octobre 2004, alors que j'étais à Paris, j'ai visité une exposition consacrée à André Breton, à la Mairie du 9ième Arrondissement (rue Drouot). Cette photo de mon amie Carole fut prise à la sortie de l'exposition.

Pour les véritables amateurs de Breton et du surréalisme, voici un lien immensément intéressant.

www.atelierandrebreton.com

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