…la suite…
La mère de notre grand-père n’eut pas le temps de réagir que celui-ci se retrouvait entre Émile et Ève, l’institutrice. Ils allaient sortir de l’église, en route vers le campement rudimentaire de ceux que les villageois surnommaient «les sauvages». Le père, surpris par cette subite fronde du garçon d’à peine huit ans, jeta un coup d’œil derrière lui mais déjà les grandes portes de l’église se refermaient.
Lorsque plus tard, beaucoup plus tard, quand grand-père se permit de parler de ces événements, la première chose lui revenant à l’esprit, constamment répétée, était que sa décision spontanée de suivre Émile et l’institutrice ne lui fut pas dictée par un élan de courage mais plutôt, on s’en doute bien, dans le seul but de se retrouver auprès de celle qui hantait ses pensées.
Et ce jour-là, celui qui ne semblait pas vouloir éteindre les clartés que l’incendie projetait partout, Ève Gaudreau illuminait plus que jamais. Aux yeux de notre grand-père, du moins. Personne ne l’avait entendue entrer dans l’église. Immobile à écouter l’invitation du marchand général que personne ne relevait. Porteuse d’une nouvelle aussi terrifiante que celle que venait d’entendre l’assemblée et qui désarçonna le curé, elle crut préférable de se taire. Et d’accompagner cet homme qui s’investissait d’une mission hors du commun.
- Vous avez raison, monsieur Émile. La famille Lacasse a péri. J’ai assisté, impuissante, à leur embrasement. Je crois qu’ils ont cru bon de se réfugier dans la grange voyant le feu s’attaquer si férocement à la maison. La mère et les enfants, les douze. Le père a tenté de sauver la grand-mère. Ils n’en sont pas ressortis, ni l’un ni l’autre. Et la grange n’a mis que quelques secondes pour s'envoler en fumée. Ils hurlaient. Seul le chien a su prendre la route contraire au vent.
- Il nous reste peu de temps si on veut se rendre chez les Micmacs.
- Que pourrons-nous faire?
- Les inviter à nous rejoindre à l’église.
Cette famille micmac, le moins qu’on puisse dire, n’avait pas la cote auprès des habitants de l’Anse-au-Griffon. Installés depuis maintenant près d’un an dans une cabane construite en dehors du village, les Epelgiag avaient quitté Paspébiac pour d’obscures raisons. La rumeur, cette assassine aux multiples tentacules, se chargea rapidement de les rendre personnes non grata. Des histoires d’alcoolisme se mêlaient à celles voulant que l’homme était encore plus sauvage qu’un animal, que l’ingratitude sans bornes dénaturait la mère, que les enfants non baptisés et nourris à la viande crue, n’avaient pas d’âme.
À son arrivée, Ève Gaudreau, mise au courant de leur existence, fut invitée à ne pas persister dans son intention de voir les enfants fréquenter l’école. Elle voyait dans l’incendie s’abattant sur tous, une occasion idéale pouvant faciliter leur intégration.
- Je n’ai pas voulu en parler tout à l’heure, mais les bateaux de pêche brûlent également.
- Rien ne sera épargné.
Grand-père écoutait la conversation. Ses pas avaient bien de la peine à suivre. La brave institutrice ralentissait à l’occasion lui permettant de ne pas trop traîner de la patte. Le sourire angélique qu’elle lui adressa, ragaillardit son ardeur.
Ils mirent quelques minutes, cherchant dans le spectacle désolant d’autres manifestations dévastatrices, pour arriver au bout du chemin. Impossible de décrire ce qui défilait sous leurs yeux. À n’en pas douter, si jamais le feu parvenait à s’éteindre, on se retrouverait face à une colossale tâche de reconstruction. Les heures d’incendie auront à se transformer en des mois de travail. La désolation complète.
Les enfants étaient nus. On ne pouvait dire s’il faisait froid ou chaud. Une température tiède, nauséeuse. Le père, une bouteille d’alcool à la main, reçut les visiteurs qui mirent peu de temps à le convaincre du danger qu’ils encouraient tous s’ils ne se décidaient pas à les accompagner. La mère, une femme grande et forte, au regard d’ébène tomba littéralement dans les bras de l’institutrice.
- Vous ne pouvez demeurer ici plus longtemps. Le vent vous est défavorable tout comme il l’est pour nous tous.
Émile s’aperçut bien que ces gens ne parlaient pas français. S’exprimant dans une langue inconnue que péniblement ils traduisaient en un anglais primaire, la première réaction du père fut de tendre la main.
Grand-père s’approcha d’un des enfants, lui offrit son manteau. Le jeune garçon micmac, effarouché, lui remit un talisman qu'il enserrait dans sa petite main rouge : une dent d'ours jaunie. De la couleur du ciel.
La mère de notre grand-père n’eut pas le temps de réagir que celui-ci se retrouvait entre Émile et Ève, l’institutrice. Ils allaient sortir de l’église, en route vers le campement rudimentaire de ceux que les villageois surnommaient «les sauvages». Le père, surpris par cette subite fronde du garçon d’à peine huit ans, jeta un coup d’œil derrière lui mais déjà les grandes portes de l’église se refermaient.
Lorsque plus tard, beaucoup plus tard, quand grand-père se permit de parler de ces événements, la première chose lui revenant à l’esprit, constamment répétée, était que sa décision spontanée de suivre Émile et l’institutrice ne lui fut pas dictée par un élan de courage mais plutôt, on s’en doute bien, dans le seul but de se retrouver auprès de celle qui hantait ses pensées.
Et ce jour-là, celui qui ne semblait pas vouloir éteindre les clartés que l’incendie projetait partout, Ève Gaudreau illuminait plus que jamais. Aux yeux de notre grand-père, du moins. Personne ne l’avait entendue entrer dans l’église. Immobile à écouter l’invitation du marchand général que personne ne relevait. Porteuse d’une nouvelle aussi terrifiante que celle que venait d’entendre l’assemblée et qui désarçonna le curé, elle crut préférable de se taire. Et d’accompagner cet homme qui s’investissait d’une mission hors du commun.
- Vous avez raison, monsieur Émile. La famille Lacasse a péri. J’ai assisté, impuissante, à leur embrasement. Je crois qu’ils ont cru bon de se réfugier dans la grange voyant le feu s’attaquer si férocement à la maison. La mère et les enfants, les douze. Le père a tenté de sauver la grand-mère. Ils n’en sont pas ressortis, ni l’un ni l’autre. Et la grange n’a mis que quelques secondes pour s'envoler en fumée. Ils hurlaient. Seul le chien a su prendre la route contraire au vent.
- Il nous reste peu de temps si on veut se rendre chez les Micmacs.
- Que pourrons-nous faire?
- Les inviter à nous rejoindre à l’église.
Cette famille micmac, le moins qu’on puisse dire, n’avait pas la cote auprès des habitants de l’Anse-au-Griffon. Installés depuis maintenant près d’un an dans une cabane construite en dehors du village, les Epelgiag avaient quitté Paspébiac pour d’obscures raisons. La rumeur, cette assassine aux multiples tentacules, se chargea rapidement de les rendre personnes non grata. Des histoires d’alcoolisme se mêlaient à celles voulant que l’homme était encore plus sauvage qu’un animal, que l’ingratitude sans bornes dénaturait la mère, que les enfants non baptisés et nourris à la viande crue, n’avaient pas d’âme.
À son arrivée, Ève Gaudreau, mise au courant de leur existence, fut invitée à ne pas persister dans son intention de voir les enfants fréquenter l’école. Elle voyait dans l’incendie s’abattant sur tous, une occasion idéale pouvant faciliter leur intégration.
- Je n’ai pas voulu en parler tout à l’heure, mais les bateaux de pêche brûlent également.
- Rien ne sera épargné.
Grand-père écoutait la conversation. Ses pas avaient bien de la peine à suivre. La brave institutrice ralentissait à l’occasion lui permettant de ne pas trop traîner de la patte. Le sourire angélique qu’elle lui adressa, ragaillardit son ardeur.
Ils mirent quelques minutes, cherchant dans le spectacle désolant d’autres manifestations dévastatrices, pour arriver au bout du chemin. Impossible de décrire ce qui défilait sous leurs yeux. À n’en pas douter, si jamais le feu parvenait à s’éteindre, on se retrouverait face à une colossale tâche de reconstruction. Les heures d’incendie auront à se transformer en des mois de travail. La désolation complète.
Les enfants étaient nus. On ne pouvait dire s’il faisait froid ou chaud. Une température tiède, nauséeuse. Le père, une bouteille d’alcool à la main, reçut les visiteurs qui mirent peu de temps à le convaincre du danger qu’ils encouraient tous s’ils ne se décidaient pas à les accompagner. La mère, une femme grande et forte, au regard d’ébène tomba littéralement dans les bras de l’institutrice.
- Vous ne pouvez demeurer ici plus longtemps. Le vent vous est défavorable tout comme il l’est pour nous tous.
Émile s’aperçut bien que ces gens ne parlaient pas français. S’exprimant dans une langue inconnue que péniblement ils traduisaient en un anglais primaire, la première réaction du père fut de tendre la main.
Grand-père s’approcha d’un des enfants, lui offrit son manteau. Le jeune garçon micmac, effarouché, lui remit un talisman qu'il enserrait dans sa petite main rouge : une dent d'ours jaunie. De la couleur du ciel.
...à suivre...