mardi 15 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (11)

Chapitre 29


Bientôt 15 heures et le soleil, haut dans le ciel, tapait fort. Bob annonça que c'était le temps de partir, d'entreprendre une marche d'au moins quatre heures pour atteindre le premier emplacement. Mario sortit sa boussole, fixa l'azimut avec son chef en rappelant à Rock sa responsabilité de placer les repères - ceux-ci seront rouges - tout au long de l'expédition: ils devront être installés assez haut sur un arbre et distancés de telle manière qu'on ne puisse en manquer.

Bob prendra la tête accompagné de Caro, cartes à la main. Annie et Joe suivront - avec Raccoon, évidemment - puis, à la fin du peloton, Mario et Rock. Le chef tenait à ce que tout se déroula selon son plan. Comme cette forêt possédait la réputation d'être capricieuse, les Six + un se mirent d'accord pour ne prendre aucun risque.
Les gourdes remplies de l'eau de source du Domaine du Rêve, Joe les porteraient et ne seraient ouvertes que lors des haltes prévues à des intervalles rigoureusement fixés à l'avance, en fait à chaque quarante-cinq minutes. Selon Bob, le groupe serait en mesure d'installer les tentes au premier campement vers 19 heures, tout près d'un petit ruisseau coulant en aval du lac d'Amour, un des nombreux courants d'eau du parc national.

- En route! L'ordre lancé, aussitôt les sacs à dos grimpèrent aux épaules, le temps de le dire et dans une discipline parfaite.
- Faut souffrir pour être beau, dit Joe se retrouvant sans jamais s'en être aperçu avec un sac tellement lourd, qu'il tomba à la renverse. Annie laissa échapper un petit cri, ce qui énerva tout le monde.
- Allez Raccoon, viens-t-en. J'sais pas si t'as l'âge pour les grandes marches mais là t'en as toute une. Joe poussa le raton laveur de son pied qui, d'instinct, s'installa derrière lui comme s'il suivait son maître, sa mère ou son frère, on ne le savait toujours pas.

Le premier trois-quart d'heure de marche fut facile. La route ressemblant davantage à un sentier allait devenir rapidement un espace entre les arbres que les sacs à dos percutaient. Plus on s'avançait, plus les arbres semblaient vouloir tout cacher devant et derrière eux.

Déjà, à la première halte, les membres de la gang constatèrent qu'il n'était pas naturel de se promener en pleine forêt avec un poids de quarante kilos sur le dos.

- Par chance qu'on a fait du jogging tous les matins, sinon on serait tous morts à l'heure qu'il est, dit Caro, reprenant son souffle.

Le temps de boire un peu d'eau, de vérifier les cartes, de s'assurer que la boussole fixait toujours la bonne direction et la voix autoritaire de Bob annonça qu'on repartait.
- Un p'tit boutte en courant, p't-être, lança Joe surpris de voir Raccoon se débrouiller dans son milieu naturel.

Lorsque la gang se retrouva au coeur d'un espace où les arbres étaient plus distancés, il faisait un peu plus frais autrement la chaleur devenait intense.

Bob avait prévu parmi son lot d'activités, quelque part durant la semaine, une exploration de la flore mais déjà ils étaient à même de constater comment les épinettes, les sapins et les érables faisaient bon ménage.
- Y a-t-y d'l'harbe à puce par icitte, questionna Joe.

La deuxième halte sera plus étirée en raison de ce qui devrait normalement suivre. Du trajet, voivi certainement le plus difficile et le plus long: gravir une colline, traverser un étang dont ni le chef ni Mario ne connaissaient la profondeur et la qualité de l'eau. La carte était formelle: aucun autre moyen d'arriver à l'emplacement numéro un, ici ou ailleurs. La colline était abrupte, couverte de mousse où il était probable de penser que les pieds peineraient à s'accrocher. Et l'étang? L'endroit que redoutait le plus Bob et, en même temps, avait bien hâte de voir.

Le chef préféra ne pas en parler pour l'instant, ayant déjà lu dans un de ses livres scouts que l'on reconnaisait un chef efficace à celui qui disait les bonnes choses au bon moment. Il voulait profiter également de cette halte avant de se mesurer à une première épreuve qu'il ne craignait pas pour chacun des individus mais... pour le groupe. Il avait appris également qu'un groupe ne réagissait pas de la même manière qu'un individu, c'était plus imprévisible et plus difficile à ramasser lorsque ça se décourageait.

- Passe-moi l'eau, Rock.
- Tu en as déjà eu tout à l'heure, Annie.
- C'est pas encore le rationnement à ce que je sache.
- Non, mais il ne faudrait pas en venir là, répondit un Rock qui ne démordait pas.
- O.K., ça va la survie.
- Fume à la place.

Bob entendit les premiers accrochages, y portant une oreille attentive. Il se dit que la fatigue commençait à faire son oeuvre et que lever le camp serait la même solution:
- La prochaine étape s'annonce un peu plus croquignole, informa Bob.
- Croque quoi? dit Joe se demandant bien ce que le chef voulait dire.
- Ça veut dire, d i f f i c i l e, expliqua Rock.
- Merci infiniment monsieur Béliveau, continua Joe tout en appelant son bébé raton laveur. Attention de ne pas t'faire manger par le « croque-qui-gnole » ma belle Raccoon.

L'après-midi avança... Le groupe ralentit... Le sacs à dos s'alourdirent... La fatigue s'empara de plus en plus de chacun... Le dernière nuit qui ne fut pas très longue, pesait autant que la chaleur de plus en plus suffocante. Bob s'interrogeait: devrait-il envisager un scénario d'urgence si jamais celui-ci ne fonctionnait pas, surtout que le premier emplacement lui apparut encore bien loin.

La colline de mousse que Mario gravit avec aisance ne se laisserait pas maîtriser aussi facilement par tout le monde. Arrivé en haut, Mario s'exclama assez fort pour qu'on l'entende, mais l'écho s'en chargea:
- Vite, venez voir comme c'est beau d'ici.
- Écoeure pas Ti-Cote, tu vois ben qu'on glisse de t'sour sur c'te maudite couvarte là.
- C'est de la mousse, lui dit Annie qui ne s'arrêtait pas non plus de monter un bout pour redescendre aussitôt.

Caro donna la main à Mario qui la tira vers lui jusqu'au sommet de la colline:
- C'est vrai que c'est beau. On dirait que des nuages verts tout le tour.

Bob les rejoignit, s'essuya le front avec le foulard rouge qu'il s'était enroulé autour du cou. Rock arriva. Annie ne cessait pas de glisser sur la mousse qui rendait ses souliers verts. Ne pouvant s'empêcher de rire, ce qui la déconcentrait et nuisait â son escalade malgré les conseils que Joe lui criait par la tête.
- Je suis plus capable, Joe, arrête de crier, c'est pire. Annie tentait de dire qu'elle avait des crampes dans les côtes à force rire et dans les jambes à force de glisser.
- Moé non plus chu pu capabe d'pousser, chu pas v'nu au monde avec un sac su l'dos, man. Raccoon, toé, monte pis dis pas un mot.
- J'essaye une autre fois, dit Annie après avoir pris une profonde respiration.

Finalement, les Six + un se retrouvèrent au sommet de la colline qui leur jetait aux yeux un magnifique paysage: des arbres à perte de vue; ici et là de petits trous, sans doute des clairières ou des ravages de chevreuils. Le soleil entreprenait des recherches pour se coucher. Un vent frais chatouillait cette étendue de forêt tout à fait impressionnante.

- Incroyable, dit Bob. En si peu de temps de marche, une si belle vue.
- Ça fait moins de deux heures qu'on est ici et on se croirait dans un autre monde, continua Mario.
- Comment fais-tu pour fumer, Annie, après un effort comme celui-là? demanda Caro qui ne reçut pas de réponse mais vit sa soeur offrir à Joe la cigarette qu'elle venait tout juste d'allumer.
- Cé don dur de dire non!

Bob savait que maintenant serait l'heure du passage de l'étang. Commme « initiation » au camping sauvage, il n'aurait pas pu mieux trouver. Il proposa à Mario d'aller vérifier ce qui en était pendant que le groupe reprenait son souffle. Ils en eurent pour cinq minutes avant de se retrouver face un étang dont l'eau stagnante les rebuta. Inutile de parler, ce qu'ils avaient devant les yeux était assez significatif: ça allait roupéter. Munis de leur bâton, ils réussirent à en déterminer la profondeur, cinquante centimètres. Mais l'eau...



Au retour, Bob s'adressa au groupe:
- Ce qui s'en vient ne sera pas de tout repos. Nous avons le choix entre une marche de plus d'une heure dans une direction dont on n'est pas certain que cela débouche vers l'endroit où nous devons camper ce soir ou traverser cet étang de cent mètres de diamètre et creux de cinquante centimètres d'une eau... pas tout à fait appétissante.
- Impossible de contourner par les bords, c'est du sable mouvant, appuya Mario.
- L'après-midi passe vite et notre seul choix, Mario et moi le croyons, c'est de traverser. On enlève nos souliers, on remonte le pantalon et surtout, ne pas être trop dédaigneux pendant quelques minutes. Bob essuyait ses lunettes avec son foulard rouge.

L'espace s'emplit d'un grand silence. Les filles se regardèrent, comprenant mieux maintemant ce que c'était qu'un camp sauvage. Aucune des deux n'osait parler sachant très bien ce qu'on pouvait lui répondre. Même Joe n'avait pas la tête à rire et songeait à Raccoon se demandant si un raton laveur, ça nageait. De son côté, Rock, ne resplendissait pas d'enthousiasme. Il peinait à respirer et craignait une crise d'asthme. Il préféra se taire afin de ne rien envenimer. Alors qu'il fouillait dans son sac, Mario lui demanda:
- Une crise?
- Ma pompe, au cas où, répondit le petit, pressé de trouver.



Bob, après avoir jeté un dernier coup d'oeil derrière lui à partir de son poste d'observation sur le haut de la colline, enleva ses chaussures qu'il attacha ensemble puis à son sac à dos, remonta son pantalon de jogging, prit une respiration, s'arma de son bagage:
- Je descends et je traverse. Si vous préférez, on peut faire une chaîne pour traverser le stock, mais je crois que cela ne sera pas tellement d'avance.
- Je te suis. Mario jeta un coup d'oeil vers Rock avant d'achever ses préparatifs et vif comme l'éclair, on le retrouva en bas de la colline de mousse, face à face avec l'étang dans lequel Bob pataugeait sans dire un mot.

Cette eau était tout simplement inerte. Morte; quelques nénuphars avaient sous doute tout récupérer l'oxygène qui aurait pu s'y trouver. Des araignées glissaient sur l'eau. L'autre côté se situait à cent mètres, personne n'en doutait; les calculs de Bob à partir de l'échelle de la carte ne pouvaient mentir mais il était fort à parier que dans l'esprit de quelques-uns ce cent mètres représentait cent... kilomètres. De l'autre côté, ni route ni sentier. La boussole deviendra essentielle et sans doute, pour avancer, défricher devant soi.

Rock plaça le repère puis descendit de la colline. Il ne sentait pas bien mais pour tout l'or au monde n'en soufllera mot à personne. Un vague sentiment de culpabilité l'envahit, l'étang devenait pour lui comme une punition de sa mère.

Lorsque Caro et Annie se présentèrent à l'étang, Bob en avait presque la moitié de traversé. Depuis son départ, pas un mot. Maintenant, il soulevait son sac à dos par-dessus la tête.

- Saint binne de sainte binne. Annie était bien d'accord à laisser sa soeur partir la première alors qu'elle entendit le grand » y-a-hou » de Joe, glissant la colline assis sur son sac à dos, Raccoon au cou.
- Raccoon va ponde des oeufs avant que j'travarse ça, dit-il au moment où Mario peinait à avancer dans l'étang, sachant tout comme Bob qu'il ne devait rien dire une fois dans l'eau. Il sentait le fond gluant d'une espèce de boue passant entre ses orteils. Une drôle d'impression qu'il n'arrivait pas à avaler. Il pensa qu'un pneumatique aurait pu être très utile, du moins beaucoup plus que son coffre à outils qu'il avait apporté et devait maintenant transporter avec le sentiment qu'ils étaient d'une complète inutilité. Se retournant vers le rivage:
- Bob est rendu, sans incident. Allez, à votre tour.

Les filles ne savaient que faire. Rock, figé, cherchait à calmer un souffle qui s'emballait, la crise d'asthme, de plus en plus proche.
- As-tu vu toutes ces araignées patineuses? demanda Joe cherchant un moyen l'assurant que Raccoon soit près de lui lorsqu'il sera dans cette flotte répugnante.



Caro se décida et entra dans l'eau. Elle n'avait pas dix mètres de franchis que Joe lui cria de faire attention aux sangsues. Entendant cela, elle détala comme si elle était poursuivie par le feu. Criant, hurlant, courant sans jamais imaginer une seconde qu'elle pourrait tomber dans cette eau dégoûtante. Elle éclaboussait tout autour d'elle; pour une fille pas reconnue comme étant sportive, elle venait certainement d'établir un record de traversée d'étang. Rendue de l'autre côté, elle se jeta par terre, se fouillant afin de vérifier si des bibittes à ventouse ne se seraient pas accroché à elle. Complètement exténuée, elle n'avait pas la force de dire sa façon de penser à Joe qui avançait à son tour tout en disant à Annie de se grouiller.

Il en avait plein les bras. Son sac à dos traînait un peu à l'eau mais étant donné sa grandeur il pouvait le laisser en place et se concentrer sur Raccoon. Il avait environ dix mètres derrière lui quand, à sa surprise, Raccoon se jeta à l'eau. Au grand désespoir de son maître, sa mère ou son frère - ce n'est pas le temps de débattre de cette question alors que le petit raton laveur se débattait avec l'eau, Joe avec son désespoir et Annie avec son écoeurement - Raccoon se mit à nager. Le temps de le dire, il se retrouva avec les trois membres de la gang déjà rendus de l'autre côté.

Joe était sidéré. Planté comme un piquet de clôture au beau milieu de l'étang , le grand constata qu'un raton laveur n'avait aucun problème avec l'eau. Raccoon se secouait et entreprit de se lécher.
- Y aura pu se neiller, dit Joe qui venait de se faire dépasser par une Annie tendue et horrifiée, reculant d'un pas après avoir avancé d'un et lancé on ne sait trop combien de « sainte binne ».

Joe se taisait: Raccoon à bon port, c'était maintenant les paroles lancées vers Caro qui l'agaçaient, n'ayant pas imaginé un instant l'effet qu'elles eurent sur la grande soeur Poulin. Ce fut alors qu'une grenouille sauta d'un nénuphar tout juste devant Annie qui lâcha un cri strident faisant reculer Joe de deux mètres. Elle tomba dans les algues vertes, coula sous l'eau quelques secondes puis se releva en hurlant sa répulsion.



- Accroche-toé, lui dit Joe qui l'aida à stabiliser ses pieds. Elle continua, pleurant de rage:
- Je vais vomir, répétait-elle tout en s'avançant comme poussée par une énergie nouvelle, celle de sortir au plus vite de ce merdier.

Mario, l'air défait, s'approcha de Bob:
- Imagine-toi que j'ai perdu les pièces de monnaie que l'Américain m'a données. J'y tenais pour ma collection. Bob écoutait distraitement, toute son attention étant sur Rock, figé de l'autre côté.
- Passe-moi les jumelles.

Le chef vit bien que Rock n'était pas du tout dans son assiette. Il ne connaissait rien aux crises d'asthme, n'avait jamais vu Rock lorsque celui-ci en était atteint, on lui en avait que parlé. Mais là, il lui semblait bien, à voir le petit hésitant et titubant, que quelque chose dans le genre se préparait. Il lui cria:
- Rock, veux-tu qu'on aille te chercher?

Celui-ci ne répondit pas. Sa gorge s'oppressait et sa respiration de plus en plus saccadée allait se couper. Toujours armé des jumelles, Bob vit que Rock venait tout juste de s'envoyer un coup de pompe mais que cela ne semblait pas avoir eu d'effet. Allait-il prendre son médicament? Rock se le demandait, mais il se rappela qu'une fois ingurgité, ce médicament exigeait une période de repos d'au moins trente minutes. Il ne pouvait pas se permettre d'inquiéter la gang plus qu'actuellement.

Il s'assit, regarda autour de lui. Rien de familier l'entourait. Il comprenait ce que cela voulait dire que de ne pas avoir sa mère tout près de lui pour régler ses problèmes, parfois même avant qu'ils ne se présentent. Si elle était là, en ce moment même, elle saurait quoi faire, trouverait la solution, il n'aurait pas besoin de se mouiller, de se salir en traversant ce fichu étang qui sentait de plus en plus mauvais... Brasser de la saleté ça vous dégage des odeurs!

Rock n'osait plus penser. Il n'entendait pas Bob crier. Par terre, son sac à dos à ses pieds, il ne savait plus où il se situait.

- Moé, j'travarse pu, ça cé sûr et cartain. Té mieux d'avoir une autoroute même payante pour r'venir sinon j'me déguise en raton laveur pis j'reste icitte.
- Fais attention, Joe, en te déguisant en raton laveur, tu sais qu'on en voit beaucoup sur le bord des routes frappés par les autos, lui lança Mario ne cessant de regarder l'autre côté de l'étang. Il savait qu'une décision devait être prise dans les plus brefs délais et laissait à Bob le soin de choisir le moment exact, mais lui était prêt dès maintenant à intervenir.

Caro partit avec Annie se changer, derrière les arbres; l'eau de l'étang lui collait une odeur insupportable.

- Cé pas vra, cria Joe.
- Qu'est-ce qu'il y a? demanda Annie, penchée derrière l'arbre.
- Une sangsue! J'ai une sangsue su l'pied.

D'un geste vif et précis, Bob la lui fit sauter d'un coup de couteau:
- Rien à craindre, Joe, une sangsue ne se nourit que de mauvais sang.
- Elle en a pour l'année, poursuivit Mario comme pour chasser son inquiétude.
- Est bonne Ti-Cote, est ben bonne, reprit Joe se lançant vers Raccoon qui depuis sa nage n'arrêtait pas de courir de gauche à droite.

Les soeurs Poulin revinrent. Caro braqua ses yeux vers Joe s'adressant à lui d'un ton sec:
- Encore une farce comme tout à l'heure, Joe et je te jure que je ne t'adresse plus la parole du camp. C'est clair?

Joe, piteux, venait de se la faire boucler. Annie, heureuse de cette altercation, s'approcha du grand et lui offrit une cigarette:
- Elle est mouillée. Mais il la prit quand même, réussit à l'allumer et alla s'étendre un peu plus loin, là où gambadait Raccoon.

Annie en profita pour sortir son appareil-photo - une des ses responsabilités tout au long du camp sauvage - le chargea et tira une première prise: Joe étendu de tout son long, près de l'étang. Pendant tout ce temps, le chef réfléchissait et appela Mario:
- Qu'est-ce qu'on fait pour Rock?
- S'il ne répond pas, c'est qu'il est paralysé par la peur de traverser l'étang ou pire, il est au bord d'une crise d'asthme. Je l'ai déjà vu en crise. Plusieurs fois. Pas beau à voir. Il devient tout bleu, respire difficilement et même qu'une fois il a perdu connaissance.
- Il est mal placé, avec les jumelles j'arrive péniblement à le voir, s'inquiétait Bob autant du temps qui passait que de Rock ne réagissant pas.
- Je vais y aller, proposa Mario se préparant à faire la route de l'étang à rebours.
- Essayons d'attirer son attention une dernière fois. On verra par la suite, selon sa réaction.

Rien ne se produisit. Rock délirait:
- Je le sais, je le sais, maman... je n'aurais pas dû venir... Tu avais raison. je me suis couché très tard hier, j'ai mal dormi puis je me suis levé de bonne heure. J'ai fait pipi au lit, mais personne ne s'en est aperçu... Je te le jure, maman, personne ne l'a remarqué... Je sais que tu aurais mieux aimé que je reste à la maison, surtout que Brigitte venait. Tu n'as pas aimé non plus ce que papa a dit l'autre jour, au sujet du camp sauvage. Je t'ai vu pleurer, maman... Je t'ai fait de la peine... Je te jure que je ne recommencerai plus jamais... Je vais être un bon garçon... Après tout ce que tu as fait pour moi, être si peu reconnaissant... Tu as raison, en camping notre linge est toujours sale... on n'est pas propre... en plus, des personnes que tu n'aimes pas tellement... Je sais tout ça, maman... Mais, tu... sais... des fois, je voudrais faire des choses un peu nouvelles mais ... je ne veux pas te faire de peine. Tu es si bonne pour moi...

Rock suait à grosses gouttes, la respiration bloquée dans sa poitrine en feu. Il sentait l'explosion toute proche:
- Oui, maman! C'est toi qui m'appelle? Je t'entends m'appeler... Veux-tu que je rentre tout de suite à la maison?

S'entendant appeler, il revint dans une espèce de réalité qui le poussa à se lever, voir cette forêt immense autour de lui, la colline derrière et, à ses pieds, l'horreur de l'étang. Il lui semblait que de l'autre côté, des bras s'agitaient. Tout doucement, il revint au monde... Le coeur se calma un petit peu; ses poumons le brûlant un petit moins.

- Il est debout, annonça Bob, soulagé.
- Ça va? cria Mario de toutes ses forces.

Rock, héberlué, un sac à dos par terre tout à côté de lui, se rappela qu'il était en vacances avec sa gang, en camping sauvage et qu'il devait les rejoindre, eux qui avaient déjà patouillé dans ce jell-o gluant:
- Deux minutes, et j'arrive.

Ce que ressentirent Bob et Mario ne pouvait se décrire. Ils demeuraient près de l'étang, les yeux braqués vers Rock qui s'y dirigeait.

Joe fumait et ne pouvait laisser Caro des yeux. Les dernières paroles qu'elle lui avait adressées, faisaient leur chemin à l'intérieur de lui, cherchant l'endroit précis où se loger mais le grand ne voulait pas recommencer à se poser des questions et conclut qu'il venait de perdre une belle chance de se taire. Ne sachant pas comment s'excuser, il renonça à le faire.

Annie achevait de prendre les photos: déjà cinq. Bob lui avait dit qu'à chaque endroit où il s'y passerait quelque chose de spécial, elle devait capter cela sur la pellicule. Et Dieu n'était pas seul à savoir que cet étang resterait gravé dans leur mémoire pour longtemps.

- Est-ce qu'on va vraiment revenir par le même chemin, s'enquit Caro.
Bob lui répondit « non » et toujours debout comme un général, il suivait les pas de Rock en route vers le groupe.

Étant vraiment petit, ce dernier était obligé de porter son sac à dos à bout de bras. Marchant d'un pas régulier, il fixait droit devant lui. Il détestait se salir, mais là il n'avait pas vraiment le choix et déjà, sans sa tête, cherchait des réponses aux inmanquables questions qui allaient lui être posées.

Mario l'encourageait:
- Encore vingt mètres puis t'es rendu. C'est pas plus dur que de passer des journaux, mon Rock. Qui mit enfin les pieds sur le sol et, sans dire un mot, se dirigea vers l'arbre le plus proche pour y accrocher le repère rouge, celui de la route.

- Il ne nous reste plus que deux haltes avant de parvenir au campement numéro un. Est-ce qu'on vient de passer une première bonne épreuve? demanda Bob.
- Mets-en, répondit Mario.
- Raccoon, arrive iciite.
- J'aimerais prendre une photo de toute la gang. Mettez-vous à côté de Joe, dit Annie toute ragaillardie dans son linge sec et propre.

On s'installa pour la photo au même que se fit entendre le cri de deux gros corbeaux passant au-dessus d'eux.

- Encore chanceux qui nous eillent pas chié sua tête.
- Comment ils pourraient faire ça pour toi, dit un Mario rassuré de voir son associé dans le groupe.
- Ça va faire maintenant, reprit Bob. On est ici depuis assez longtemps, il faut que l'on bouge un peu. Continuons notre route.
- Avec ces nuages qui s'annoncent, je savais bien que le beau temps ne pouvait pas durer éternellement.
- Le vent n'est pas à la pluie, Annie. Ce ne sont que quelques nuages perdus. Voici ce qui se passera d'ici le campement un.

Bob, marchant de long en large comme à son habitude, donna ses instructions sur la suite des choses. Il expliqua qu'à partir de la sortie de l'étang on allait entrer dans le bois « à la sauvage ». On emprunterait de mauvais chemins, sur du terrain vaseux. La carte n'indiquait pas si les bûcherons y avaient fait des routes. C'était vraiment à partir d'ici... la grande nature, la profonde solitude... des endroits où on serait peut-être les premiers à mettre les pieds.

- Ta carte est toujours correcte, Bob.
- Infaillible, Caro.
- As-tu déjà vu un seul scout avec des cartes pas correctes. dit Joe, s'assurant que ses paroles tombaient juste. Il serra encore plus fort Raccoon dans ses bras.
- Non, seulement des grands fous qui font peur aux autres, ajouta sèchement Caro.
- Ça va fère, Caro. Tu vas pas m'faire chier tout l'reste du temps parce que j'ai moffé une joke? Une fois cela lancé, il s'éloigna du groupe avec sa fidèle compagne

- L'atmosphère est à la tendresse, dit Mario qui se dirigea vers Joe mais Annie l'avait précédé cherchant à lui faire comprendre l'attitude de sa soeur... à sa manière.

Bob stoppa sa marche:
- Il est 17 heures. À deux haltes du premier campement, il serait important qu'on ne se déchire pas trop entre nous. En route!

Rock ayant repris son souffle, remit son sac à dos en place et passa près du chef ajustant sa boussole à partir de la carte:
- Ça va mieux, Rock?
- Ça peut aller.

Les derniers événements l'avaient boulversé et le goût d'en parler n'était pas là. Il regarda par terre, autour de lui, l'air abattu. La fatigue était présente, on la décelait facilement dans ses yeux mais il cherchait principalement à se faire oublier, considérant avoir été sur la sellette assez longtemps, merci.

Joe et Raccoon revinrent avec Annie; tous les deux une cigarette aux lèvres, ce qui semblait avoir replacé un moral plutôt chancelant. Raccoon, bien à l'aise dans le bois, courait et revenait vers Joe qui le regardait avec une affection remplie de surprise, ayant beaucoup de difficulté à s'expliquer comment quelqu'un pouvait le laisser pour revenir le retrouver aussi vite. Un des grands mystères de l'existence de Joe...

Caro les vit revenir et dirigea un regard vers le grand dans lequel une forme d'excuse se trouvait imprimée. Annie tenta de le cacher, mais trop tard.

Pour alléger l'atmosphère, Mario, tourné vers l'étang adressa au groupe:
- J'ai l'impression qu'il s'est passé pas mal d'affaires ici. L'étang, ok, mais d'autres choses que je pourrais pas nommer. C'est vrai qu'on a poireauté un peu trop, partons si on veut arriver.
- Arriver où? Caro tentait de saisir un message caché dans les propos de Mario.
- Des fois on avance sans trop savoir où ça nous mène, mais on avance pareil. Pis des fois on s'arrête sans trop savoir pourquoi, pis c'est comme si on avait avancé.
- Tu parles comme celui qui a posé les pattes aux mille-pattes, Ti-Cote, dit Joe tout en ramassant ses affaires. Il se dirigea vers les autres en jetant un dernier coup d'oeil derrière lui. En tout ca, j'm'ennuierai pas de c'te place là. Envoye Raccoon.

Un être dépressif... TIRÉ À PART # 6

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