jeudi 14 avril 2022

Chapitre - 4 C -

                                                                 4C

 

    Une tache de vin de la couleur du bougainvillier, l’image tourmenta Daniel Bloch une grande partie de la nuit. Cette enfant sera marquée toute sa vie du sceau qu’imprima le destin ou le hasard, qui saurait le dire ? Celui d’un agresseur qui mit fin à ses jours quelques heures après le viol et qu’on découvrit pendu à un grand pin, une fleur de bougainvillier à la main.

Il n’avait aucun doute quant à la force de caractère de sa mère, à la fidélité du compagnon qui promit à Đẹp de l’accompagner pour le reste de ses jours. Une marque, voilà tout, mais qui facilitera les explications lorsque viendra le temps de raconter à Mừng sa brusque entrée dans le monde.

Les épisodes de la veille avaient relégué l’intrigue de côté, mais la démarche se poursuivrait avec une nouvelle arrivée dans le décor, la docteure Méghane dont il n’arrivait pas à s’en faire une idée précise. Elle avait été aussi brève qu’évasive sur son cheminement l’ayant menée à Saïgon. Sa réserve, comment l’expliquer ?

Si Bao l’avait invitée à se joindre au comité exécutif de l’affaire des lettres, il était persuadé qu’elle élaborerait davantage à son sujet, en temps et lieu, à moins qu’elle n’en sache guère plus que lui.

À sa rentrée à l’hôtel, il annonça à la réception que la famille de Đẹp et lui-même prendraient le petit-déjeuner à la salle à manger, très tôt le lendemain, avant de partir en excursion autour de la ville.

- À quelle heure voulez-vous que l’on sonne aux deux chambres ? Demanda le préposé.

- Cela ne sera pas nécessaire, nous sommes des lève-tôt.

- Bonne nuit, monsieur Bloch.

Un rêve étrange le fit sursauter en plein milieu de son sommeil. Un songe dans lequel le rouge prévalait. Il reconnut les acteurs, toutes ces personnes avec qui il venait de passer la journée, réunies en trio, auréolées de ce rouge caractéristique du drapeau vietnamien. Même Fany aux pieds de Bao et lui. Impossible de situer l’endroit, les interactions entre elles, rien dans les physionomies ne présageaient quoi que ce soit. Un mouvement parfois, celui du vent peut-être, charriait encore plus de rouge, encerclant les personnages comme pour les emprisonner. N’y manquait que Mừng, à moins que cette accumulation, s’entassant dans tout l’espace, l’eut fait disparaître. Bizarrement, personne ne se préoccupait de son absence.

Puis, de manière inattendue, l’ensemble se transmua en un amoncellement enchevêtré de couleurs disparates. Le rouge disparaissait graduellement, laissant la place à un blanc phosphorescent. Tous clignèrent des yeux, fixant leur regard droit devant ; on voyait quelque chose qui ne se manifestait pas distinctement. Finalement, avant qu’il ne mit fin à ce qui allait devenir un cauchemar, tous se regardaient, hagards.

Il lui fut impossible par la suite de se rendormir. Dehors, il pleuvait sur le jour qui bientôt allait se lever. Aucun autre bruit, que celui de l’eau du déluge fouettant la fenêtre de sa chambre. Fany s’approcha du lit, plaqua son museau sur le matelas, fixant son maître, surprise par l’attitude d’un Daniel Bloch inquiet et alarmé.

- Je ne sais pas ma chère amie s’il t’arrive de rêver, mais ce qui m’a réveillé me tracasse. Par quel bout le prendre ? Dois-je y voir un signe ? Ce rouge envahissant, comme s’il voulait tout dévorer ou comme s’il venait d’avaler quelque chose. Comment interpréter cela, je ne sais pas. Se situe-t-il entre le subconscient et l’inconscient, aucune idée ?

Il se leva promptement et consulta un dictionnaire d’interprétation des rêves, curieux d’apprendre ce que le rouge et le trois portaient comme message.

Il lut que la couleur rouge est “celle de l’énergie vitale, du sang, de la chaleur et de l’action. C’est la couleur préférée des enfants. Elle est attractive et excitante. Les aliments de couleur rouge semblent toujours plus appétissants que les autres, notamment les desserts et les bonbons. C’est aussi celle de la planète Mars, le dieu de la guerre, Arès. C’est le rouge de la colère et de la passion. C’est encore celle de l’émotivité, de la timidité ou de la honte. Les rêves où cette couleur est présente sont chargés d’une grande énergie, celle du rêveur ou du moment. Mais cette énergie doit être contrôlée, maîtrisée, contenue. Elle ne doit pas être répandue, mais transformée. Elle peut être dangereuse. C’est pour cela que le rouge est parfois un signal de danger. Le feu rouge arrête une action.”

Il puisait ces renseignements dans le Dictionnaire des rêves de Tristan-Frédéric Moir. Maintenant, qu’en est-il du chiffre trois ? Il s’agit du chiffre de l’enfant, un symbole du monde. C’est l’addition de 1 + 2, la réunion du ciel et de la terre, le masculin uni au féminin, la transformation vers le principe divin. Ce chiffre possède un sens sacré, trinitaire, propre à toutes les cultures. Il symbolise aussi les trois phases de l’existence : la naissance, la vie et la mort. Les trois âges de la vie : la jeunesse, l’âge adulte et la vieillesse. La représentation onirique la plus fréquente de ce chiffre est celle de trois silhouettes. Cette configuration est celle des parents et de l’enfant. Dans la lecture d’un rêve, c’est cette figure triangulaire qu’il symbolise, la triangulation oedipienne.”

Les nuits du vieil homme ne furent jamais des aires de jeu, au contraire. Avant ce matin, il avait rarement porté attention aux rêves, ayant la fâcheuse habitude de s’enfuir aussitôt que l’état de veille le rattrapait. Il n’en retint que quelques-uns, disparus depuis de sa conscience, mais imprimés sur lui comme  une fronde lancinante.

**********

 

    Daniel Bloch se présenta à la salle à manger prête à recevoir les clients de l’hôtel. L’ascenseur en panne, cela se produisait assez régulièrement, l’avait obligé à emprunter l’escalier. Étrangement, le garçon qui veille la nuit derrière le comptoir de la réception, n’était pas le même. Le saluant aimablement, il lui assigna une table, sans une autre parole que le traditionnel “bon appétit”.

- J’attendrai mes amis pour le petit-déjeuner. Un café saura me faire patienter.

Le type se dirigea vers la cuisine dont la porte était fermée, ce qui n’était pas coutumier. Il revint quelques instants plus tard, porteur d’une tasse ainsi que d’un bol d’eau, gentillesse qu’il adressait à Fany. Celle-ci s’en délecta sous les yeux du nouvel employé.

- Vous m’excusez, je dois me rendre au marché, la cuisinière a besoin de quelques oeufs et du pain.

- Allez, je me charge de répondre aux urgences durant votre absence.

Le nouvel employé quitta les lieux. Tout devint si calme dans la salle à manger que le moindre bruit pouvait être détecté à des lieux. Daniel Bloch crut entendre de l’agitation provenant de la cage d’ascenseur. Fany, qui a pourtant l’oreille fine, n’en fit aucun cas ; elle semblait s’endormir. Sans doute dû au fait de s’être réveillée plus tôt qu’à l’habitude.

Il se leva, jeta un coup d’oeil vers la cuisine, ouvrit la porte pour s’apercevoir que l’endroit était vide. Se dirigeant vers l’élévateur, il appuya sur le bouton d’appel qui ne répondit pas. Il colla son oreille. Assurément, quelqu’un semblait enfermé à l’intérieur, incapable de communiquer. Comment débloquer cette mécanique ? Il frappa légèrement. Rien. À nouveau. Toujours rien, sauf qu’à l’occasion, on semblait remuer, peut-être un pied frappant la paroi de cet espace minimal.

Il utilisa son portable pour appeler au numéro particulier que lui avait remis la jeune fille qui travaillait de jour, celui de la propriétaire qui pourrait lui venir en aide si jamais il en avait besoin. Deux tintements de sonnerie.

- Je crois qu’une situation inhabituelle se produit dans le lobby et la cuisine de l’hôtel.

- D’accord, passez-moi l’employé de nuit, je verrai avec lui.

- Je ne vois pas celui qui habituellement est de service, mais le second vient de quitter pour se rendre au marché.

- Le second ?

- Oui, tout à fait. Il m’a servi un café avant de partir. De plus, l’ascenseur est en panne et je crois entendre quelque chose de l’intérieur, comme si quelqu’un s’y trouvait coincé.

- Cette situation est complètement anormale. Ne bougez pas, j’arrive.

C’était maintenant tout à fait clair, une personne se trouvait prise à l’intérieur de l’élévateur puisque des coups, légers encore, étaient assénés sur la porte. S’en approchant.

- Qui est là ?

- Monsieur Bloch, c’est vous ?

La voix, bien qu’affaiblie, parvenait au travers de l’étroite cabine.

- Oui.

- Ouvrez, s’il vous plaît.

- C’est bloqué et je ne sais pas comment remédier à la situation.

Le silence retomba, comme si on tentait de reprendre son souffle.

- Allez vers la pièce tout à côté de la cuisine, vous trouverez au mur une boîte électrique. Actionnez le commutateur qui est au point mort.

Ce faisant, le réseau se remit aussitôt en marche. L’habituel employé de nuit, étendu au sol, tout à côté de lui reposait la dame de la cuisine visiblement sous l’effet d’un puissant sédatif ; il semblait revenir d’un sommeil profond, rapide et subit.

- Que vous est-il arrivé ? Demanda Daniel Bloch qui l’aidait à se relever.

- Peut-on soulever cette dame et l’étendre quelque part, répondit-il dans un flou de langage.

Ils se mirent à l’oeuvre au moment où se présenta la propriétaire de l’hôtel. Affolée, elle se dirigea vers eux sans faire attention à Fany endormie sous la table du petit-déjeuner. L’établissement avait réservé une chambre au rez-de-chaussée afin d’offrir un service de douche aux passants ; on y étendit la cuisinière toujours inconsciente.

La propriétaire passa un appel pour s’assurer d’un personnel de remplacement, car il était évident que ces deux-là allaient devoir rentrer chez eux. Revenue dans la chambre d’appoint, Daniel Bloch s’apprêtait à retourner vers la salle à manger.

- Demeurez avec nous, s’il vous plaît, nous ne serons pas assez de deux pour comprendre ce qui a pu se passer.

- Je vois ma chienne et je reviens.

Fany, immobile, affalée sous la table, cherchait difficilement à reprendre son souffle. Il s’en approcha, une coulée de bave se répandait par terre, là où elle gisait. Une vive inquiétude s’empara de lui et malgré l’heure matinale, il appela Bao, lui expliquant la situation comme il se l’imaginait, l’employé de nuit n’ayant pas encore relaté la suite des événements.

- Elle a absorbé un poison, cela me semble assez évident.

- Laissez-moi rejoindre la docteure Méghane, elle a peut-être une solution d’urgence. De toute façon, je me dirige vers votre hôtel.

Il revint dans la pièce où débuta la relation des derniers événements que difficilement le jeune homme parvenait à mettre en ordre. Le souvenir qu’il en avait, faisait mention d’un individu vietnamien d’à peu près son âge qui aurait sonné à l’entrée, se disant mal pris et aucun endroit pour achever la nuit. Il a ouvert et l’intrus, pointant un couteau dans sa direction, lui demanda s’il était seul à l’exception des clients. Précisant qu’il n’y avait que la cuisinière et lui, l’importun exigea que l’on se rende auprès d’elle et les aurait aspergés d’un jet puissant, puis plus rien. Aucune idée de comment il s’est retrouvé dans l’ascenseur, du temps passé accroupi tout à côté de madame la cuisinière. L’air commençait à se raréfier, c’est alors que Daniel Bloch a rétabli le réseau.

- Quelle heure pouvait-il être lors de l’irruption de cet individu ? Questionna la propriétaire.

- Environ quatre heures du matin, en fait quelques minutes à peine après l’arrivée de la cuisinière.

- Crois-tu qu’elle pourra nous en dire davantage lorsqu’elle reprendra conscience ?

- Cela me surprendrait, elle a été éclaboussée tout de suite lorsque nous sommes entrés dans la cuisine.

Daniel Bloch, sur le seuil de la porte, fixait son attention sur Fany qui ne bougeait plus depuis un bon moment. De plus en plus anxieux, les interrogations se bousculaient dans sa tête. Ne sachant pas encore si l’objet de cette irruption nocturne pouvait être relié à un vol ou un autre motif, il se disait que le bol d’eau offert à sa chienne par le faux employé aurait pu être contaminé par un produit cherchant à la neutraliser. Il apaisait ses craintes en minimisant les effets anesthésiants de la substance inconnue.

Le temps ne semblait pas bouger, paralysé dans une langueur insoutenable. Il fallut près d’une demi-heure avant que n’arrivent Bao et la docteur Méghane qui se dirigea vers l’animal de plus en plus mal en point.

- Puis-je voir les deux autres personnes qui ont été mises en contact avec le produit anesthésiant ? 

On la conduisit vers la chambre d’appoint. Un bref examen lui fit croire que cela ressemblait à de la sévoflurane ou d’isoflurane, des anesthésiques utilisés en chirurgie. Elle ne pouvait dire avec précision quel effet cela aurait sur un animal, lorsque mis en contact avec les mêmes substances. Comme la situation relevait de l’urgence, elle demanda à l’homme au sac de cuir s’il acceptait qu’elle lui injecte un antidote, celui qu’elle avait sous la main, sans être certaine que la chienne y réponde positivement ; l’intralipide représentait la seule chance pour sauver l’animal insensible depuis un long moment.

- Allez-y, docteure, répondit-il, n’arrivant pas à imaginer que les dernières minutes de sa compagne puissent être proches.

Il s’éloigna, retenant difficilement son souffle. Cette agression, allait-on en connaître l’origine ? Un examen des lieux permit de constater que tout l’argent contenu dans le tiroir prévu à cet effet avait disparu, ainsi que les passeports des clients. Les hôtels du Vietnam exigent des voyageurs qu’on leur remette cet important document, restitué au moment du départ ; même chose pour la carte d’identité vietnamienne.

Đẹp, Visage-Ravagé et Mừng se présentèrent dans le lobby, surpris d’y retrouver tout ce monde entourant la chienne inanimée, étendue sous une table. Elle ne fut pas étonnée de voir Bao, puisqu’elle devait faire partie de l’excursion touristique de la journée. Que faisait la docteure Méghane auprès de Fany ? La petite famille se dirigea vers l’homme appuyé au châssis de la porte d’entrée.

- Que se passe-t-il, Daniel ?

- L’hôtel a été dévalisé durant la nuit. La propriétaire vient de constater le vol. Pour ne pas être dérangé dans son action, le cambrioleur aurait arrosé les employés d’un produit anesthésiant, les clouant dans l’ascenseur dont il bloqua l’utilisation. Il semble que Fany aurait pu aussi être contaminée, quand celui-ci lui a offert un bol d’eau.

- La docteure Méghane lui a administré une injection, tout juste à l’instant où nous sortions de l’ascenseur.

- Elle n’est pas formelle quant au résultat de son intervention, on ne peut qu’espérer que l’antidote soit le bon et nous la ramène.

- Si vous le souhaitez, on peut reporter l’activité prévue pour aujourd’hui.

- Attendons... On verra...

La propriétaire réussit à convaincre deux anciens employés de prendre la relève et s’apprêtait à recevoir le responsable de la police du quartier, un ami, avait-elle précisé. Si vous n’avez pas de bons contacts avec les autorités administratives dont relève le service policier, il vaut mieux renoncer à faire appel à leur service. La situation devenait plus sensible du fait que des passeports étrangers ainsi que des cartes d’identité vietnamienne ont été subtilisés. Cela exigerait un certain doigté et d’excellentes relations pour corriger rapidement cette mauvaise conjoncture.

Fany ne bougeait toujours pas malgré les manoeuvres cardiaques qu’exécutait la médecin. Aucun soubresaut, aucun mouvement, le néant s’introduisait en elle. Si cela pouvait être perçu comme un encouragement, elle ne bavait plus. Son maître ne cessait de la surveiller, passif à lui venir en aide.

D’interminables minutes s’égrenaient dans un interminable silence. Les employés victimes du drame semblaient prendre du mieux et la propriétaire les invita à retourner chez eux.

- Un vague souvenir me revient, dit le jeune homme qui ne cessait de cligner des yeux et dont la cadence des battements cardiaques faisait bouger sa chemise blanche encore salie par le temps passé, étendu sur le sol de l’ascenseur.

- Vous nous le dites, exigea Daniel Bloch d’un ton fébrile.

- Ce sont les cognements à la porte d’entrée qui m’ont réveillé. Je suis habitué à ce bruit. Me dirigeant vers le type qui faisait des signes d’ouvrir, j’ai cru remarquer, mais je n’en suis absolument pas certain, qu’il n’était pas seul.

- Toutefois, il n’y a que lui qui soit entré, exact ?

- Oui, monsieur Bloch. La vue de son arme m’a secoué de sorte que je n’ai pu m’attarder aux trois personnes de l’autre côté de la rue.

- Vous êtes certain qu’il y avait trois autres personnes dans son entourage ?

- Non, je ne saurais pas dire s’il s’agissait de complices, mais je suis positif, elles regardaient dans la direction de l’établissement.

- Vous sauriez les reconnaître si on vous les présentait ?

- Définitivement pas.

La fatigue se lisait sur son visage, exiger qu’il soit plus catégorique ou qu’il apporte de plus amples informations s’avérait impossible.

- Laisse ta moto ici, je ne veux pas que tu l’utilises pour retourner chez toi dans l’état où tu te trouves. Je fais venir un taxi, il vous raccompagnera, la cuisinière et toi.

- Merci madame. Je suis tellement désolé pour ce qui arrive.

Les deux victimes s’apprêtaient à quitter les lieux, alors qu’un policier entrait. Il en vint à la même conclusion que la propriétaire ; les deux pouvaient disposer puisque, de toute évidence, on ne tirerait rien d’autre de plus que ce qu’ils avaient péniblement réussi à expliquer. Invité à la rejoindre dans la chambre d’appoint, il s’arrêta auprès de la chienne et de celle qu’il prit pour une vétérinaire.

- L’animal a été intoxiqué. Elle est en mauvais état, ne réagit pas encore à l’antidote que je lui ai inoculé. Je crains pour la suite des choses si dans vingt minutes, rien ne se produit. Son pouls est très faible et son système nerveux sérieusement attaqué. On lui a sans aucun doute fait avaler une drogue hybride.

- Qu’est-ce que cela signifie, docteure, questionna Daniel Bloch.

- Le chien est sensible aux odeurs. S’il détecte quoi que ce soit de nocif, il ne s’en approchera pas. Cela me porte à croire que le produit aurait été inodore et qu’une fois mélangé à de l’eau, sa force en soit décuplée, atteignant un niveau de toxicité maximal.

- Létal ?

- Je n’en suis pas certaine.

- Rien d’autre à faire que d’attendre ?

- Voilà.

Bao s’approcha, lui prit la main et le fixa droit dans les yeux.

- Que diriez-vous de sortir prendre un café ? La petite famille doit déjeuner. De toute manière, demeurer ici ne nous rendra pas plus utiles.

- Vous avez raison. Docteure Méghane...

- Soyez sans crainte, je m’occupe de votre chienne même si je ne suis pas vétérinaire. Je ne crois pas qu’il y ait autre chose à faire dans la situation actuelle qu’attendre et espérer.

- Nous serons à deux portes.

- J’accours si c’est nécessaire.

Le groupe quitta l’hôtel. Dans la chambre d’appoint, le policier et la propriétaire résumaient la situation : un vol d’argent et de documents, deux employés prisonniers dans l’ascenseur après avoir été anesthésiés, une chienne allongée sur le sol entre la vie et la mort.

- Vous me dites ne pas envisager de complicité entre l’auteur du cambriolage et les employés. Il s’agit d’un premier incident de cette nature à se produire ici. La réputation de votre établissement est irréprochable. Les clients qui le fréquentent sont principalement des touristes étrangers. Vous encouragez l’économie du quartier de façon exemplaire, de sorte que personne ne peut vous en vouloir au point de commettre un tel méfait. Il faudra vous munir d’un système de sécurité, je vous conseillerai quelqu’un de bien. Il ne me reste plus qu’à vérifier si quelqu’un autour de l’hôtel aurait été témoin de quelque chose de suspect cette nuit. Vous me dites que cela s’est produit vers 3 heures.

- L’employé de nuit a plutôt parlé de 4 heures, ce matin.

- Je crois avoir assez d’informations pour le moment.

- J’oubliais de mentionner, cela sous toute réserve, que mon employé a cru apercevoir au moment du cambriolage, trois personnages de l’autre côté de la rue. Il ne peut jurer qu’ils soient de mèche avec le voleur.

- Trois hommes ?

- Il semble bien.

- Je m’occupe de cela et vous fais rapport dans le courant de la journée. N’oubliez pas d’aviser les consulats de vos clients, ils devront émettre des documents temporaires ; cela sera urgent pour ceux qui quittent le pays dans les heures qui viennent.

- J’y vois. Merci.

Le policier quitta les lieux, s’arrêtant d’abord auprès de la docteure toujours au chevet de l’animal.

- Une très belle bête.

- Surtout une compagne absolument indispensable pour son maître. Je n’ose pas imaginer comment il s’en remettra si...

- Elle pourrait mourir ?

- Je le crains. Son pouls régresse de plus en plus. Je fais une seconde injection d’ici quelques minutes, mais l’effet risque de l’achever.

- Vous avez toute une décision à prendre.

- Cela arrive souvent en médecine.

Le jour s’était installé. Un petit groupe, à deux pas d’un l’hôtel, prenait le petit-déjeuner sans grand enthousiasme. La chaleur, torride déjà, se révélait annonciatrice de ce que serait cette journée dont le programme venait d’être chambardé. Un autre groupe espérait un dénouement, deux femmes devant une chienne inerte sous la table de la salle à manger de l’hôtel.

La docteure Méghane quitta l’hôtel, se planta devant Daniel Bloch.

- Je n’ai pu rien faire pour la sauver.

Un coup de tonnerre résonna dans la tête de l’homme au sac de cuir.

 

Lorsqu’un homme trouve une chose qui lui est nécessaire,

ce n’est pas au hasard qu’il le doit,

mais à lui-même.

C’est son propre besoin, son propre désir qui la lui procure.

Hermann Hesse

 

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