Un être dépressif
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Dans le brouillard, un bathyscaphe dérive...
Début avril 2021, la situation sanitaire au Vietnam, loin de s’améliorer, devient catastrophique. Le pays, en attente des vaccins distribués par le programme COVAX, ne réserve ceux disponibles qu’aux membres du gouvernement, de l’armée et de la police. Toutefois, une vaste campagne de dépistage est lancée obligeant tout le monde à s’y soumettre, minimalement une fois par semaine.
Me présenter aux rendez-vous - obligatoires - se révèle un pur supplice pour l’asthénique de plus en plus mal en point que j’adviens. Nous sommes certainement deux cents (200) personnes, formant une queue d’au-là de cent (100) mètres sous un soleil torride, invitées à se taire malgré le masque que tous nous portons - ils sont distribués gratuitement aux Vietnamiens, les expats doivent les payer et nous devons obligatoirement les porter - avançant centimètre par centimètre. Phuoc, par je ne sais trop quel stratagème, réussit à m’y soustraire après ma troisième présence.
Da Nang devient une ville inanimée. Déserte. L’armée y veille. Entre les fermetures générales - ne restent que quelques dépanneurs... vides de tout pour assurer un approvisionnement minimaliste - et une absence totale d’informations sur l’évolution de la situation, je croupis lamentablement doucement, irrémissiblement.
Alors que deux semaines auparavant j’accompagnais Phuoc et son chien CaCao à chacune des visites chez le vétérinaire et au marché pour nous procurer sa bouffe, maintenant je me cloître misérablement dans mon un et demi, de plus en plus inquiet devant une santé qui se dissipe, se détruit.
Je ne mange plus. Les kilos perdus s’amoncellent au point que ça devient risible de me vêtir décemment avec les vêtements que j’ai. Les maux de tête deviennent intolérables. Phuoc m’oblige littéralement à boire et consommer des oranges. Nous sommes rationnés. Lui aussi doit se battre pour trouver de la nourriture. Il est débrouillard. Il ne veut pas que nous mourions de faim. Je ne sais plus ce qu’est la faim, mais je sais, maintenant, que les idées noires n’apparaissent pas seulement la nuit, mais le jour aussi.
Je constate que mes intestins ne fonctionnent plus. Les étourdissements me jettent par terre au beau milieu de l’appartement. Phuoc a décidé - il doit prendre toutes les décisions primaires car j’en suis incapable - de laisser ouverte la porte du 402, j’habite le 401. Il me contraint à marcher d’un studio à l’autre, à ne pas demeurer allongé au lit toute la journée ( un article sur la clinophilie lui sert d'argument) et surtout de l’accompagner à 17 heures pour le promenade de CaCao.
Descendre du quatrième plancher au rez-de-chaussée s’avère une compétition de haut niveau. Le regard que la propriétaire porte sur l’épave qui se développe devant ses yeux depuis mon arrivée à Da Nang en dit long sur ce que je ne vois pas...
S’il fallait utiliser une image pour mieux décrire l’état dans lequel je suis, celle du bathyscaphe répond le mieux : “ un appareil destiné à conduire des observateurs dans les grandes profondeurs sous-marines “.
J’associe, à ce moment-là, mon brouillard cérébral se manifestant par des maux de têtes accablants, omniprésents comme étant le ressac des idées noires et autres manifestations sinistres qui agitent mon cerveau. Je dois tenter d’y entrer, d’essayer d’approfondir qu’elles en sont les causes... mais le bathyscaphe dérive dans le brouillard...
Et je m’approche du 13 avril 2021.
À la prochaine