dimanche 7 septembre 2008

SAUT: 230



Il faudrait bien que s'achève ici, en ce deux cent trentième saut, les lignes consacrées à Hector de Saint-Denys-Garneau, certainement le poète que j'affectionne le plus; celui qui, encore maintenant, plus de quarante ans après l'avoir découvert, lu, relu, visité jusqu'à sa tombe de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier le 2 août 1995, dans le comté de Portneuf, sait par la magie de ses mots, leurs jeux dans l'espace et leur manière de retomber à l'intérieur de soi avec cette douce facilité des choses difficiles à rendre, par leur sobriété et leur force, sait donner à une expérience individuelle, la sienne, une dimension universelle.

Il le faudrait bien. Surtout que nous voilà aux dernières années de sa vie, celles allant de 1940 à 1943.

Les derniers mots écrits par le poète, deux mois avant sa mort le 23 octobre 1943 sont très révélateurs: «Ne venez pas me voir.» Les adressaient-ils à ses amis de l'époque, à ses lecteurs, si peu nombreux, à sa famille ou les adressaient-ils à la postérité? Voulait-il, désirait-il que cette oeuvre fut détruite avec lui?

Et pourtant sa mort, autour de laquelle plusieurs hypothèses furent émises, allant de la crise cardiaque au suicide, fut l'occasion pour je ne sais trop combien de gens de découvrir chez Saint-Denys-Garneau, tout comme ils le firent pour Alain Grandbois, une poésie nouvelle, rafraîchissante, artistique car elle allie plusieurs éléments provenant de la peinture à la musique en passant par la littérature et la philosophie. La lumière et la nuit. La spiritualité également vers laquelle il tendait, ayant été fondamentalement insatisfait par le christianisme des années entre les deux guerres. Les années de la grande crise économique, également

Alain Grandbois dit de la poésie de Saint-Denys-Garneau qu'elle est « insaisissable... comme le vent, l'eau, la lumière, la nuit...» L'être aussi, mais le poète le dépasse et c'est certainement ce qu'il souhaitait nous indiquer en demandant de ne pas venir le voir, lui, mais le poète, certainement.



Sa cousine, Anne Hébert a écrit: « Le paysage d'eau et de feuillages avait fait un pacte avec lui. Le plus profond, et le plus cruel pour nous. Le paysage a accepté l'offrande consommée sur cette grève de glaise, près des sapins noirs. Nous sommes dépouillés du visage particulier de lumière qu'il avait et que la grande lumière a reconquis. Il s'était offert à la lumière et la lumière l'a repris. La nuit s'est faite sur le monde et sur notre coeur.»



Pour sa part, Robert Élie dans sa présentation des Poèmes Choisis (Fides) exprime le fait que Saint-Denys-Garneau « nous décrit les états multiples d'une solitude qui grandit. Au thème de l'accompagnement des choses se succède celui de l'absence: le temps et l'ombre nous poursuivent et nous prennent «au piège d'une solitude définitive»; l'ombre, aussi menaçante à midi qu'à minuit, l'emporte toujours sur la lumière; les chemins que l'on suit au fond de la vallée se rompent comme un mauvais fil...»

Dans un texté publié par la revue Liberté en 1982, Yvon Rivard parle de la poésie de Saint-Denys-Garneau en ces termes: « Poésie qui ne célèbre ni les dieux ni les hommes, poésie qui renonce au chant au profit d'une parole neutre, impersonnelle, qui ne dit plus que le désir de s'effacer dans le premier et le dernier mot, ce mot qui nous permettrait de tout dire, de tout voir, mais qu'on ne peut prononcer qu'en se taisant.»

De son côté, Jacques Blais ajoute: « Des choses apparaissent qui, subitement, s'occultent. Un mouvement s'arrête pour aussitôt reprendre, sitôt passé l'intervalle.»

Dans la postface de REGARDS ET JEUX DANS L'ESPACE (Boréal 1993) Réjean Beaudoin écrit: « Le mélange d'étrangeté et de proximité qu'on sent à le lire est neuf. Le don qu'il nous fait, on ne saurait jamais assez le désirer pour le mériter et on l'attendra toujours trop pour savoir y renoncer.»

Avant de vous offrir deux poèmes de Saint-Denys-Garneau et le saluer, voici ce que j'écrivais le 2 août 1995:

- Visite à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier. Impossible de monter au manoir qui appartient maintenant à un monsieur anglophone. Le manoir est situé au 4, Saint-Denys-Garneau. Nous voyons sa plaque collée à la croix en plein centre du cimetière face à l'église. Rien de spécial dans cette petite localité ne signale la présence de SDG. Un bonhomme nous raconte que le manoir a été vendu à un médecin qui l'a dépouillé de tous ses meubles d'époque. La maison de Anne Hébert tenue par son frère serait tout à côté du manoir. C'est derrière une masse d'arbres et surélevé par rapport à la route (chemin de Fossembault) que se cache le manoir Juchereau-Duchesnay qui appartenait aux Garneau. La rivière Jacques-Cartier coule au pied du manoir. En face de l'église, une grande croix de fer est installée. Il y a déjà plus de 50 ans que SDG est mort et son souvenir semble ne pas être exploité pour le jeu de touristes curieux qui y viennent. Voilà.


GLISSEMENT


Qu'est-ce que je machine à ce fil pendu
À ce fil une étoile à la lumière
Vais-je mourir là pendu
Ou mourir un noyé fatigué de l'épave

Glissement dans la mer qui vous enveloppe
Une véritable soeur enveloppante

Et qui transpose la lumière en descendant
La conserve à vos yeux pour les emplir

Souviens-toi de la mer qui t'a bercé
Vieux mort bercé au glissement de ce parcours
Accompagné de lumière verte
Qui trouble d'un remous l'ordonnance de ses réseaux
À travers les couches de l'onde innombrable
Et maintenant dans les fonds calmes caressé d'algues
Souviens-toi des vagues et leurs bercements
Vieux mort enfoui dans les silences sous-marins



Et j'achève avec UN POÈME A CHANTONNÉ TOUT LE JOUR

Un poème a chantonné tout le jour
Et n'est pas venu
On a senti sa présence tout le jour
Soulevante
Comme une eau qui se gonfle
Et cherche une issue
Mais cela s'est perdu dans la terre
Il n'y a plus rien

On a marché tout le jour comme des fous
Dans un pressentiment d'équilibre
Dans une prévoyance de lumière possible
Comme des fous tout à coup attentifs
À un démêlement qui se fait dans le cerveau
À une sorte de lumière qui veut se taire
Comme s'ils allaient retrouver
ce qui leur manque
La clef du jour et la clef de la nuit
Mais ils s'affolent de la lenteur
du jour à naître

Et voilà que la lueur s'en re-va
S'en retourne dans le soleil hors de vue
Et une porte d'ombre se referme
Sur la solitude plus abrupte et plus incompréhensible.

Le silence strident comme une note de musique
qui annihile le monde entier
La clef de lumière qui manque
au coffre de tous les trésors.

Le poète nous demande de ne pas venir le voir. Respectons son voeu. Mais ne cessons pas de revenir à son oeuvre qui aujourd'hui encore fait partie de ce qui aura été fait de mieux dans l'univers de la poésie québécoise.



Au prochain saut

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