jeudi 1 décembre 2005

Le quarante-huitième saut de crapaud

Les histoires de fantômes ont, de tout temps, à la fois fasciné et semé l’inquiétude dans l’imaginaire des gens. Les manifestations de leur passage laissent encore des frissons chez certains, de l’incrédulité chez d’autres. Les maisons qui les abritent, deviennent rapidement des lieux maudits. Elles sont isolées, défraîchies et porteuses de mauvais sorts. C’est du moins ce que l’on croit. Des légendes.

Mais un ou des fantômes qui logent dans le clocher d’une église, faisant hurler les carillons aussi bien le jour que la nuit; qui fréquentent les bateaux, faisant tomber l’ancre en des endroits précis, toujours les mêmes; qui déplacent les pierres tombales, y laissant des traces sanguinolentes; qui sèment sur les pas de portes des cadavres sanieux de coyotes… voilà assez pour répandre la terreur dans le village de notre grand-père.

Des fantômes, ces cauchemars basculés dans le réel, il y en eut au moins un à Anse-au-Griffon, voilà de cela plusieurs années. Dire quand il apparût et quand on a cessé d'en parler, c’est renouer avec de telles épouvantes, que personne encore, même aujourd’hui, n’ose déterrer de si désagréables souvenirs.

Ce que l’on sait, ce que l’on se rappelle et il est facile de noter bien des différences dans les racontars de celui-ci ou de celle-là, remonte à l’époque du changement de curé. À la mort du chanoine Boudreau, rappelons qu’il s’agit du curé qui avait découvert la lettre de Constant John et rencontré le pasteur anglican Montgommerey dans le cimetière situé tout juste à mi-chemin entre Anse-au-Griffon et Cap-des-Rosiers, à sa mort donc, on nomma un jeune abbé afin de le remplacer. Fraîchement sorti du Grand Séminaire, Joachin Archambeau ne s’attendait pas à cette nomination. Il l’accepta avec l’obéissance sacerdotale qui était à la base même de sa vocation.

Les ouailles de la paroisse s’aperçurent rapidement que le nouveau curé qui ne réussit jamais à se départir du titre de « jeune curé », manifestait une timidité, mais alors là comme il n’est pas possible de l’imaginer. Son premier sermon fut coupé par tellement de bafouillages, de reprises des mêmes mots, d’hésitations que l’on se mit à dire que le nouveau curé bégayait. Ce n’est pas sans parler des rougeurs mêlées aux sueurs inondant son visage, même en plein hiver.

Il avait aussi la fâcheuse habitude d’utiliser le mot « fantôme » à toutes les sauces. Les fantômes faisaient partie intégrante de sa liturgie. Cela exigeait des efforts manifestes pour comprendre que dans ceux-ci, le jeune curé voyait des esprits méchants rôdant parmi eux, ayant pour mandat de troubler leur âme.

L’abbé Archambeau arrosait tellement ses sermons, ses discours d’esprits maléfiques que la collectivité en arriva à se demander si, de son côté, cela ne l’autorisait pas à publiquement parler du fantôme de l’Anse. Sujet tabou, s’il en fut un.

Quand Léo, le maire du village, dit en public, au magasin général, que plusieurs fois il avait entendu les cloches de l’église se mettent à sonner sans que personne ne les active, eh! bien cette déclaration ouvrit la porte à toutes les autres histoires entourant le fameux fantôme de l’Anse-au-Griffon.

Il y en eut des vertes et des pas mûres. Chacun y allant à fond de train. Si le jeune curé et le maire prennent la permission de parler de fantômes, alors c’est que le sujet est ouvert. Revinrent les pierres tombales renversées, l’ancre tombant en mer au même endroit, toujours, les cadavres de coyotes…

Quelle ne fut pas la surprise lorsqu’Arthur, celui qui avait vu danser les étoiles lors de la célèbre saison où le temps a chaviré, raconta que la mort du chanoine Boudreau ne serait peut-être pas une mort naturelle!

Cela fit le tour du village. Plus vite encore qu’une traînée de poudre dans le vent. Pourtant le médecin s’était bien rendu au chevet du curé pour constater qu’un arrêt cardiaque l’avait terrassé et que rien d’anormal ne fut constaté dans le presbytère où on avait retrouvé le corps inanimé du vieil homme. Angèle, la servante, dernière personne à lui avoir parlé avant sa mort, déclara que celui-ci, après le souper, s’était enfermé dans son bureau comme il en avait l’habitude, pour travailler. Elle jura n’avoir rien entendu d’autre que le bruit d’un corps chutant au sol, s’être rendue auprès de lui, avoir immédiatement appelé le médecin qui arriva à peine une dizaine de minutes plus tard, impuissant à lui venir en aide.

Rien d’anormal, sauf les paroles d’Arthur.

…à suivre…

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

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