Ce poème, je l'offre à mes ami(e)s Jean Duguay, Réjean Céré, Dominique Chouinard, Daniel Cyr qui partagent le même amour, le même respect, j'ajouterais l'humilité, la circonspection devant notre matière première indispensable à nos écritures, les MOTS.
Jeu de mots
Nonchalamment, déambule un mot; on le voit de dos.
Négligemment, s’en approchent des quidams; le voient de face.
Si on lui enlève les voyelles ou l’ampute de ses consonnes,
Quel mot nous reste-t-il ? Est-il devenu sourd
Mimant le langage des signes
Ou aveugle pianotant du braille.
Dans ta majuscule démarche syllabique
Ralentie par une minuscule cadence boiteuse
Tu transportes, parfois à bout de phrases,
Autant l’amour éphémère que la haine délétère;
Tu charries tant de logiques, tant d’incohérences
Enfouies dans ton lourd baluchon dictionnaire.
Tu te fais, au gré de mille et une fantaisies,
Coureur de noms sans jupons ni crinolines
Souhaitant ranimer leurs sens engourdis,
Exalter leur envergure, louer leur beauté
Qui, depuis mille ans et plus encore,
Sans ton placide secours n’y parviennent.
De tes efforts soutenus, hardis, créatifs
Tu deviens cet étonnant adverbe rigoureux
Qui délicatement chatouille l’imprécis d’un verbe,
Fertilisant ses racines d’une nouvelle genèse,
Celle conservée au plus profond de ton grimoire
Et que, telle une chrysalide gigoteuse, tu libères.
Entre virgule et interrogation, tu t’exclames,
Toi, joyeux adjectif au contact d’un nom fade,
Masculin, féminin, ou invariable épicène
Hurlant impétueusement sur tous les pluriels
Complexes dans leurs multiples exceptions,
Emprisonnés, captifs de sévères règles.
Mot, tu nourris la vitale recherche de sens
Qu’au cours des siècles, d’intenses effeuillages
Toi, revampé ou brutalement relégué aux oubliettes
Tu n’auras cessé d’attiser nos abstraites papilles
Par tes couleurs, tes odeurs, timbres et sons
Qui grouillent en nous comme de juteux caprices.
Parfois, estropié ou infirme, tu titubes, te relèves
Tu chancelles et vacilles, tu tangues et zigzagues
Ne cessant de t’exposer devant toute situation
Qu’une certaine normalité académique exige,
Toi, au nom de l’immense confrérie polyglotte,
Arbores, en tout honneur, la banderole langagière.
Seul ou composé, invariablement variable,
Tu forges d’innombrables ensembles familiaux,
Cachés croisés fléchés ou mots de passe,
De la flexibilité de tes verticales, cercles et horizontales,
Tu voyages prudemment entre l’infime et l’infini
Conscient qu’un synonyme espion peut tout éclipser.
Et tu poursuis ton inépuisable marche vers les inconnus
Vers tout ce qui reste à dire ou à répéter ou à taire
Objectif créant le subjectif, ombres et lumières,
L’éternel duel entre jeux ludiques et corvées sévères
Tu traces le chemin bien avant que nos pas solitaires
Ne puissent, consciemment, s’installer dans le réel.