... la suite …
La pluie se transforma en orage. De longs éclairs striant le ciel illuminaient la demeure de madame Synnott. Les deux femmes, assises l’une près de l’autre, protégeaient un silence qui transportait d’écho en écho le tonnerre jusqu’à la mer. L’enfant s’était rendormi.
- Et tu penses quoi du curé ?
La sage-femme relançait la conversation comme s’il lui apparaissait essentiel qu’Élisabeth aille jusqu’au bout de sa pensée.
- Je… Les mots semblaient lui manquer.
Madame Synnott se leva, remplit les tasses de thé, indiquant par là qu’elle avait tout son temps, de toute façon la visiteuse ne pouvait quitter maintenant, l’orage se faisant trop menaçant.
- Ce n’est pas lui directement, mais ce qu’il représente. Je le vois comme un messager porteur des mêmes nouvelles et elles ne sont pas bonnes pour moi, ni pour toutes les femmes qui viennent dans ma maison.
Élisabeth but une gorgée du thé bouillant. Dans sa tête, bougeaient à un rythme effréné mille et une phrases, des siennes et de celles des autres. Elle ne savait trop comment mettre tout cela en ordre.
- Je n’aime pas qu’on vienne s’ingérer dans mes affaires. Qu’on me dise quoi faire sans dire pourquoi. Qu’on m’indique une seule voie, une seule route. Surtout que cette route est déjà tracée et, comme un troupeau de moutons dociles, on doive l’emprunter les yeux fermés.
- C’est un peu cela que les autres femmes te racontent ? questionna madame Synnott.
- Non. Elles parlent de leurs peurs.
- Et que craignent-elles ?
Élisabeth prenait de plus en plus l’habitude des conversations. Jamais avec son mari. Beaucoup avec son beau-père, portant sur l’avenir, sur l’urgence des changements et des transformations. Ces autres avec ses clientes, celles qui lui faisaient le plus mal ; recevoir les appréhensions qui étouffent l’existence de quelqu’un alors que pour soi ça n’a aucune racine dans son quotidien. Un réceptacle dans lequel on déposait des objets qu’Élisabeth ne connaissait pas.
- Elles sont soumises aux paroles du curé. Pas des paroles, mais des obligations à continuellement être au service de leur mari, de leurs enfants et de leur besogne. Elles le font mais ça semble être contre leur nature. Il me semble qu’elles n’ont pas d’armes face à tout ça. Même si elles en avaient, je ne sais pas si elles utiliseraient.
- Tu sais, Élisabeth, les guerres n’engendrent que d’autres guerres.
- Des gagnants et des perdants, aussi.
La jeune femme mesurait tout le poids de ces confidences. Des femmes qui vieillissaient trop rapidement, sans jamais connaître d’autres bonheurs que de petites joies insignifiantes vécues dans le plus total isolement personnel. Elles ne savaient être chose que des porteuses de continuité sur laquelle elles n’avaient que trop peu d’influence.
Élisabeth sentait que leur vie ressemblait à un mensonge dont elles perpétueraient la permanence. Ses fils, Herménégilde et les autres, ses filles à venir, ne verraient-ils en elle qu’une mère, pas la femme ? Était-ce son destin et celui de toutes les autres ? Son âme rageait devant cette éventualité.
- Vous, madame Synnott ?
- Que veux-tu dire ?
- Est-ce que les femmes que vous accouchez parlent des mêmes choses ?
Élisabeth ressentait un besoin de solidarité et souhaitait la retrouver chez cette femme si proche des choses de la vie. Si intimement proche.
- Tu es complètement mêlée, ma belle enfant. J’ai l’impression que tu regardes la situation à partir de la fin, tu remontes vers le début sans t’attarder à ce qui vit entre les deux. La vie, ce n’est pas seulement la naissance et la mort. Entre les deux, c’est long et compliqué.
Élisabeth dirigea son regard vers la fenêtre embuée. La pluie ne semblait pas vouloir s’adoucir. Comme son indignation. Elle se sentait bien à l’intérieur de cette maison, alors qu’à l’intérieur d’elle-même, ça grouillait sens dessus dessous.
- C’est comme si je ne pouvais pas donner du sens à tout cela, dit une Élisabeth songeuse.
- Est-ce que je me trompe en disant que tu souhaites que tout soit parfait, ordonné et claire ?
- C’est dans cela que je suis bien.
- Écoute bien ma fille ce que je vais te raconter…
Un éclair plus long que les autres embrasa la cuisine.
… à suivre …
La pluie se transforma en orage. De longs éclairs striant le ciel illuminaient la demeure de madame Synnott. Les deux femmes, assises l’une près de l’autre, protégeaient un silence qui transportait d’écho en écho le tonnerre jusqu’à la mer. L’enfant s’était rendormi.
- Et tu penses quoi du curé ?
La sage-femme relançait la conversation comme s’il lui apparaissait essentiel qu’Élisabeth aille jusqu’au bout de sa pensée.
- Je… Les mots semblaient lui manquer.
Madame Synnott se leva, remplit les tasses de thé, indiquant par là qu’elle avait tout son temps, de toute façon la visiteuse ne pouvait quitter maintenant, l’orage se faisant trop menaçant.
- Ce n’est pas lui directement, mais ce qu’il représente. Je le vois comme un messager porteur des mêmes nouvelles et elles ne sont pas bonnes pour moi, ni pour toutes les femmes qui viennent dans ma maison.
Élisabeth but une gorgée du thé bouillant. Dans sa tête, bougeaient à un rythme effréné mille et une phrases, des siennes et de celles des autres. Elle ne savait trop comment mettre tout cela en ordre.
- Je n’aime pas qu’on vienne s’ingérer dans mes affaires. Qu’on me dise quoi faire sans dire pourquoi. Qu’on m’indique une seule voie, une seule route. Surtout que cette route est déjà tracée et, comme un troupeau de moutons dociles, on doive l’emprunter les yeux fermés.
- C’est un peu cela que les autres femmes te racontent ? questionna madame Synnott.
- Non. Elles parlent de leurs peurs.
- Et que craignent-elles ?
Élisabeth prenait de plus en plus l’habitude des conversations. Jamais avec son mari. Beaucoup avec son beau-père, portant sur l’avenir, sur l’urgence des changements et des transformations. Ces autres avec ses clientes, celles qui lui faisaient le plus mal ; recevoir les appréhensions qui étouffent l’existence de quelqu’un alors que pour soi ça n’a aucune racine dans son quotidien. Un réceptacle dans lequel on déposait des objets qu’Élisabeth ne connaissait pas.
- Elles sont soumises aux paroles du curé. Pas des paroles, mais des obligations à continuellement être au service de leur mari, de leurs enfants et de leur besogne. Elles le font mais ça semble être contre leur nature. Il me semble qu’elles n’ont pas d’armes face à tout ça. Même si elles en avaient, je ne sais pas si elles utiliseraient.
- Tu sais, Élisabeth, les guerres n’engendrent que d’autres guerres.
- Des gagnants et des perdants, aussi.
La jeune femme mesurait tout le poids de ces confidences. Des femmes qui vieillissaient trop rapidement, sans jamais connaître d’autres bonheurs que de petites joies insignifiantes vécues dans le plus total isolement personnel. Elles ne savaient être chose que des porteuses de continuité sur laquelle elles n’avaient que trop peu d’influence.
Élisabeth sentait que leur vie ressemblait à un mensonge dont elles perpétueraient la permanence. Ses fils, Herménégilde et les autres, ses filles à venir, ne verraient-ils en elle qu’une mère, pas la femme ? Était-ce son destin et celui de toutes les autres ? Son âme rageait devant cette éventualité.
- Vous, madame Synnott ?
- Que veux-tu dire ?
- Est-ce que les femmes que vous accouchez parlent des mêmes choses ?
Élisabeth ressentait un besoin de solidarité et souhaitait la retrouver chez cette femme si proche des choses de la vie. Si intimement proche.
- Tu es complètement mêlée, ma belle enfant. J’ai l’impression que tu regardes la situation à partir de la fin, tu remontes vers le début sans t’attarder à ce qui vit entre les deux. La vie, ce n’est pas seulement la naissance et la mort. Entre les deux, c’est long et compliqué.
Élisabeth dirigea son regard vers la fenêtre embuée. La pluie ne semblait pas vouloir s’adoucir. Comme son indignation. Elle se sentait bien à l’intérieur de cette maison, alors qu’à l’intérieur d’elle-même, ça grouillait sens dessus dessous.
- C’est comme si je ne pouvais pas donner du sens à tout cela, dit une Élisabeth songeuse.
- Est-ce que je me trompe en disant que tu souhaites que tout soit parfait, ordonné et claire ?
- C’est dans cela que je suis bien.
- Écoute bien ma fille ce que je vais te raconter…
Un éclair plus long que les autres embrasa la cuisine.
… à suivre …