dimanche 19 octobre 2008

SAUT: 237

Yann Martel écrit dans L'histoire de Pi: « Pourquoi nos questions sont-elles si vastes et si petites les réponses que nous obtenons?»

Il a raison. Des questions, il me semble y en avoir plus que des réponses et par surcroît, certaines questions nous mènent non à des réponses mais à une autre question. Est-ce la vérité que l'on recherche? Benjamin Kunkel, dans Indécision, répond en disant: «Je veux dire, pourquoi aurait-on besoin d'un tas de vérités neuves? Il y en a sûrement plein qui traînent partout et dont personne ne se sert jamais.»

La vérité de l'un est le mensonge de l'autre. La réponse fournie par celui/celle-ci à la question de celui/celle-là, le début d'un éternel combat. De l'incompréhension.

Le crapaud a cherché dans ses cahiers des citations qui en fait, sont des questions. Si jamais vous avez des réponses ou si elles suscitent chez vous d'autres questions, faites-le moi savoir...


. Quel acharnement aveugle faut-il pour vêtir de dignité, tendre aux dimensions de l'éternel, juger à la barre de l'univers entier ce qui était périssable et a péri, ce qui était affreusement limité dans le temps et dans l'espace, ce qui n'avait aucune puissance, qui n'a pu commettre de crime que de connaître son impotence? Que signifient ce décor, ces mots, cette amertume que l'on nous promet pour lorsque plus rien n'existera? Qui, qui peut s'arroger le pouvoir de prononcer jugement sur la pourriture? Qui peut faire retentir des anathèmes à la face du monde pour un seul homme mort? Alors que le mot exister n'a plus de sens que celui d'une impasse: des gestes sans prolongements, sous mille contraintes, un poids sur les épaules et, à la fin de la boue, quand chaque parcelle de peau a été macérée à outrance, un abîme impensable, une virevolte dérisoire sur l'infini du cercle. Le giron paternel secoué de colère sur l'enfant sale parce qu'il est mort. Pourquoi le ciel se livrerait-il à des convulsions pour une tristesse si démunie?
André Langevin (Évadé de la nuit)


. Pourquoi cette petite voix obstinée dans nos têtes nous tourmente-t-elle à ce point?, a-t-il dit en nous regardant l'un après l'autre. Serait-ce qu'elle nous rappelle que nous sommes vivants - notre mortalité, notre âme individuelle, ce que nous avons trop peur, après tout, d'abandonner, et pourtant ce qui nous rend plus méprisables que n'importe quoi d'autre? Mais n'est-ce pas la souffrance qui nous rend le plus souvent conscients de notre soi? C'est une chose terrible que d'apprendre, dans l'enfance, que nous sommes un être séparé du monde, que nul être et nulle chose ne souffre de notre langue brûlée ou de nos genoux écorchés, que nos douleurs et soufffrances ne sont qu'à nous. Plus terrible encore, lorsque nous grandissons, d'apprendre qu'aucune personne, si bien aimée qu'elle soit, ne peut jamais nous comprendre vraiment. Notre soi est la cause de nos plus grands malheurs, et c'est pourquoi nous sommes si impatients de le perdre, ne pensez-vous pas? Vous vous souvenez des Érinyes? (...) Et comment rendaient-elles fous les gens? Elles augmentaient le volume de leur monologue intérieur, magnifiaient excessivement des qualités déjà présentes, rendaient les gens tellement eux-mêmes qu'ils ne pouvaient pas le supporter.
Et comment pouvons-nous perdre ce soi affolant, le perdre entièrement? L'amour? Oui, mais comme le vieux Apholus l'entendit dire à Sophocle, le plus humble d'entre nous sait que l'amour est un maître terrible et cruel. On se perd soi-même pour un autre, mais ce faisant on devient un misérable esclave. La guerre? On peut se perdre dans la joie de la bataille, en se battant pour une cause glorieuse, mais il n'y a pas tant de causes glorieuses, ces temps-ci, pour lesquelles se battre.
Donna Tart (Le Maître des illusions)


. Est-ce que tu peux savoir, par exemple, de quelle façon la fourmi envisage le monde? Qu'est-ce qu'elle voit? Imagines-tu une fourmi, par exemple, entrant ici? Elle va se promener sur ces tapis, entre les pieds de ces messieurs, de ces dames, de toi et des miens. Elle va monter le long de ces rayons de la bibliothèque, et elle va se promener sur cet exemplaire de Shakespeare. Qu'est-ce qu'elle a vu de tout cela? Qu'est-ce qu'elle sait de ce que nous sommes? Qu'est-ce qu'elle sait de ce qu'il y a dans Shakespeare? Hein? Rien! Ça ne la regarde pas. Elle a un monde particulier à elle, et qui sait si nous ne sommes pas dans un monde de fourmis aussi? Et si à côté de nous il n'y a pas quelque chose que nous frôlons constamment sans le connaître...
Jean Giono


. N'est-ce pas une forme d'orgueil que de condamner cette vie, avec toutes ses joies terrestres, au profit d'une existence qui n'est peut-être qu'une abstraction?
Jostein Gaarder (Vita Brevis)


. Toutes ces questions qui interrogent l'amour, le jaugent, le scrutent, l'examinent, est-ce qu'elles ne risquent pas de le détruire dans l'oeuf? Si nous sommes incapables d'aimer, c'est peut-être parce que nous désirons être aimés, c'est-à-dire que nous voulons quelque chose de l'autre (l'amour), au lieu de venir à lui sans revendications et de ne vouloir que sa simple présence.
Milan Kendura (L'insoutenable légèreté de l'être)


. Quel est l'objet de l'homme qui jouit? N'est-il pas de donner à ses sens toute l'irritation dont ils sont susceptibles, afin d'arriver mieux et plus chaudement, au moyen de cela, à la dernière crise (...) crise précieuse qui caractérise la jouissance de bonne ou mauvaise, en raison du plus ou moins d'activités dont s'est trouvée cette crise?
Marquis de Sade


. Étrange contradiction: ce qui s'en va constitue une vie mortelle, ce qui reste constitue une mort éternelle! Se pourrait-il que l'être exige la contradiction, l'ambivalence, l'incohérence, le mélange et la confusion? Se pourrait-il que la vérité n'ait de réalité que dans la mesure où elle se cache? Que la beauté n'ait de charme que mélangée à quelque laideur? Se pourrait-il que tout soit entrelacé: le pire et le meilleur, la mort et la vie, l'instant et le cours du temps? Se pourrait-il que nous nagions contre la vie toutes les fois que nous tentons de dissocier ces deux partenaires intraitables que sont le devenir et l'être, ces deux amants qui replongent dans le néant dès qu'on ose les isoler l'un de l'autre?
Jean Bédard (La valse des immortels)


. À quel moment est-on obligé de s'avouer qu'une dispute n'est pas une simple dispute? Qu'elle n'est pas un orage après lequel le soleil brille à nouveau, ni une saison pluvieuse à laquelle succèdera le beau temps, mais le mauvais temps normal? Que se réconcilier ne résout rien, ne règle rien et ne fait que traduire l'épuisement et instaurer un répit plus ou moins long, au terme duquel la dispute reprendra?
Bernhard Schlink (La circoncision)

Au prochain saut

Un être dépressif - 14 -

  Un être dépressif - 14 - C’est à partir du poème de Jean DUGUAY, mon ami psychologue-poète, que je lance ce billet.                      ...