jeudi 15 février 2024

Un être dépressif - 9 -

 


Un être dépressif
 
- 9 -
 
Une flamme vacille autour de son porteur
sans l‘éclairer...

                                                                                           



    Il y aurait, semble-t-il, une lumière au bout du tunnel... Au bout du couloir, une salle de bain avec fenêtre ouverte et une chaise adossée au mur. C’est moi, péniblement, qui l’y ait installée. À l’extérieur, au pied du troisième étage de cet hôpital situé en plein cœur de Da Nang, s’affairent des excavateurs ; le bruit assourdissant circule dans la verrière. Lorsque les infirmières achèveront de se pencher sur les lits des patients pour ensuite retourner au poste de contrôle, le chemin sera libre. Personne ne remarquera cet étranger qui, péniblement, marche vers les WC. Y entre. Grimpe sur la chaise. Lui manque quelques centimètres pour empoigner l’appui fenêtre. Piaffe péniblement sur le mur. Ce travail l’essouffle. Il n’aura pas la force de s’accrocher, s’y maintenir, de se soulever, s’y déposer la moitié du corps, de se tenir en équilibre avant de basculer vers l’extérieur. Il pleure. Constate sa dégénérescence. Péniblement, retourne à son lit.

 

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    Comme une toile qui s’abaisse, la noirceur emplit les fenêtres de la verrière devenue miroir. Les bruits, dehors, se sont tus. L’infirmière ne me connaît pas, ne sait pas que me proposer à manger est une vaine opération. Elle jette un regard furtif, puis quitte le couloir, me laissant seul avec ma pénible frustration.

Est-ce que je revois le 401 ou l’imagine ? Je ne veux plus demeurer ici. Il faut que Phuoc le sache. Me ramène à l’appartement. Le seul moyen efficace pour y arriver, c’est d’exiger de rencontrer l’administratrice et lui signifier que je dois quitter l’hôpital. 

Je réussirai à me faire comprendre, le lendemain, et pour réponse on me dit - toujours dans un anglais sommaire - que je suis libre de partir, personne ne me retient, qu’il suffit simplement de régler la note, tout comme on le fait au restaurant. On communiquera avec mon répondant qui se présentera en début d’après-midi. 

C’est plus tard que j’apprendrai de sa part qu’il a communiqué avec ma famille au Québec ainsi qu’avec mon ami Piero à Saïgon afin de ramasser la somme nécessaire pour régler les honoraires dus à l’hôpital Général de Da Nang.

Le type qui monte sur le siège arrière de la moto de Phuoc, lorsque je serai face à lui devant le miroir de la salle de bain du 401, a les cheveux en bataille, une barbe de dix jours et l’allure d’un revenant de guerre. Le silence de la propriétaire du building m’anéantit par son ahurissement. Sans doute ne s’attendait-elle pas à ce que je revienne et si cela allait se réaliser, dans un tel état.

Grimper les escaliers fut un supplice. Phuoc m’a expliqué que pour les descendre, il y a plus de dix jours, il aura fallu m’envelopper dans un drap car la civière ne pouvait atteindre l’étage. Ils étaient six hommes. Et un linceul...

La réaction de CaCao, le chien de mon voisin de palier, lorsque, péniblement, je pus entrer, retrouver les lieux que je souhaitais quitter définitivement, a été de renifler mes pieds, comme s’il voulait s’assurer que c’était bien celui qui vivait ici... avant.

Je me suis étendu sur le lit...

 

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    Phuoc pela une orange. Me l’offrit. Un verre d’eau suffira. Il me raconta le 13 avril comme il l’avait vécu, et cela à partir de 17 heures. Il n’avait aucune idée de ce qui se passait à l’intérieur du 401. “ J’ai frappé à ta porte. Pas de réponse. Une deuxième et une troisième fois. Rien. Je suis descendu chez la propriétaire afin de récupérer la clé de secours. Son mari m’a accompagné. Une fois entrés, nous t’avons trouvé sur le lit, inconscient, respirant péniblement. Par intermittence. Tu avais vomi, ton t-shirt sali en témoignait ; uriné aussi. Il fallait rejoindre une ambulance pour te conduire aux urgences. Rapidement on a constaté qu’il serait impossible de te transporter sur un brancard. Je t’ai changé. Nous t’avons enroulé dans le drap du lit et à six hommes, péniblement, nous t’avons glissé dans l’ambulance et filé en direction de l’hôpital Général de Da Nang. Je suis monté à côté de toi. Une fois arrivés, devant ce qui semblait être une situation critique, on a oublié les procédures habituelles d’inscription et immédiatement tu t’es retrouvé dans l’aile des urgences. On s’est occupé de toi alors que je remplissais les formulaires d’enregistrement. J’ai laissé mes coordonnées et j’ai dû quitter les lieux en raison des restrictions liées à la covid-19.”

Je comprenais le déroulement de cette opération sauvetage et pus mettre, péniblement, bout à bout les événements du 13 avril jusqu’à maintenant, convaincu toutefois que rien encore n’était réglé.

L’après-midi de mon retour au 401 fut consacré à la douche et à une visite indispensable chez le coiffeur. En fin de journée, l’adorable Bim, l’amie de cœur de Phuoc, débarquait à Da Nang. Elle me proposa des massages de tête. C’est à ce moment, étendu sur le lit qui devait être mon cercueil, que mon voisin de palier a rejoint au téléphone mon frère Pierre et ma belle-sœur Claire, au Québec. Nous nous sommes vus. Je crois qu’ils ne m’ont pas reconnu. Je parlais difficilement, péniblement... Je me souviens toutefois que c’est à ce moment-là que j’ai réalisé physiquement ne pas être mort...

Alors que Phuoc et Bim partaient pour la soirée à Hoi An - 20 kilomètres de Da Nang - je demeurai seul dans le 401, après avoir refusé de manger - ce qui agaça les deux amoureux - j’ai alors réalisé que mes tentatives de suicide, celle des médicaments, et l’autre, dans la salle de bain au bout du couloir de l’hôpital, en lien direct avec mes maux de tête, mes cauchemars, mes hallucinations, tout cela n’était pas réglé.

Il aura fallu deux jours d’insistance à Phuoc avant que j’accepte de monter dans une voiture taxi nous menant à une nouvelle clinique afin de rencontrer un autre médecin pouvant m’aider. L’infirmière qui nous y a reçus déclara que ma situation exigeait des soins psychiatriques et me recommanda un endroit pouvant répondre à mes besoins. Je ne pourrai jamais oublier le regard funeste dirigé au patient cacochyme étendu devant elle ; ses derniers mots furent... “bonne chance”.

En ambulance et péniblement nous sommes arrivés à cet hôpital situé tout près du pont Son Ang et à flanc de montagnes. Au cours du trajet, j’ai expliqué à Phuoc ce qui m’avait amené aux urgences. Aucun jugement de sa part, mais il saisit mieux la prescription de l’infirmière que nous venions de laisser.

Rencontre avec le médecin en charge des entrées. Je me souviens m’être étendu sur une civière dans le bureau, complètement épuisé. Une seule condition à mon admission, je devais m’engager à manger. Phuoc acquiesça.

 

À la prochaine  



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