…la suite…
Le vent n’entretient aucune rancune. Durant les jours qui suivirent l’extinction de l’incendie, à la laquelle il avait participé d’alpha à omega, il se fit discret. Tous les villageois retinrent ce mot micmac, sans doute le seul que la mémoire collective inscrivit en eux, «apiknajit», signifiant la neige abondante, et que les «sauvages» utilisaient pour désigner le mois de février. Car elle tomba sur l’Anse-au-Griffon de la mi-janvier jusqu’à la fin de février. Début mars, en fait. Linceul recouvrant les maisons brûlées. Immense douceur sur leurs plaies vives. Personne ne lui reprochait rien. Le vent, comme pour se faire pardonner, s’amusait avec la neige, la soulevant dans de grands gestes d’une douceur infinie.
Émile fit installer à la porte de l’église, sur un poteau qu’il planta aussi creux qu’il le put, un fanal qui demeura allumé pendant tout le reste de la saison hivernale. La petite flamme sautillante rappelait l’incendie mais devint le symbole de leur croyance en la solidarité humaine.
Le curé reçut les paroissiens dans l’église qui sentait bon le café fort et le thé chaud. C’est la tête haute, et il faudrait tous les nommer, un après l’autre, une après l’autre, ces héros modestes qui durant plus de vingt-quatre heures, des heures claires et sans nuit, combattirent un fléau avec pour seules armes, leurs mains soudées.
Lorsque la guerre prend fin, il serait plus juste de dire… lorsqu’une guerre prend fin car les hommes sont des amnésiques en puissance, lorsque la peur se rétracte et retourne se cacher quelque part en eux, prête à rebondir à la moindre alerte, il y a tant à faire. À refaire. Et les hommes se donnent un temps et un espace d’une relative paix, une trêve entre le moment présent et celui qui, sans avertir, rejaillira et, férocement, relancera leurs élans guerriers. Nous, ces ainsi mal faits. Des vivants qui exposent leurs secrets dans des silences tonitruants. Des équilibristes imprudents traversant la vie sans filets de sécurité. Des insécures chroniques qui espèrent que rien ne peut leur arriver. Des gaspilleurs d’avoirs et des chercheurs d’êtres. Des étoiles tombées d’un ciel fixant un autre ciel. Des complexités entières. Des humains. D’innommables substantifs, de frêles épithètes, des adverbes imprécis, des verbes incohérents, des mots de liaison invariables dans leurs recherches du bonheur. Une phrase inachevée!
Le vent n’entretient aucune rancune. Durant les jours qui suivirent l’extinction de l’incendie, à la laquelle il avait participé d’alpha à omega, il se fit discret. Tous les villageois retinrent ce mot micmac, sans doute le seul que la mémoire collective inscrivit en eux, «apiknajit», signifiant la neige abondante, et que les «sauvages» utilisaient pour désigner le mois de février. Car elle tomba sur l’Anse-au-Griffon de la mi-janvier jusqu’à la fin de février. Début mars, en fait. Linceul recouvrant les maisons brûlées. Immense douceur sur leurs plaies vives. Personne ne lui reprochait rien. Le vent, comme pour se faire pardonner, s’amusait avec la neige, la soulevant dans de grands gestes d’une douceur infinie.
Émile fit installer à la porte de l’église, sur un poteau qu’il planta aussi creux qu’il le put, un fanal qui demeura allumé pendant tout le reste de la saison hivernale. La petite flamme sautillante rappelait l’incendie mais devint le symbole de leur croyance en la solidarité humaine.
Le curé reçut les paroissiens dans l’église qui sentait bon le café fort et le thé chaud. C’est la tête haute, et il faudrait tous les nommer, un après l’autre, une après l’autre, ces héros modestes qui durant plus de vingt-quatre heures, des heures claires et sans nuit, combattirent un fléau avec pour seules armes, leurs mains soudées.
Lorsque la guerre prend fin, il serait plus juste de dire… lorsqu’une guerre prend fin car les hommes sont des amnésiques en puissance, lorsque la peur se rétracte et retourne se cacher quelque part en eux, prête à rebondir à la moindre alerte, il y a tant à faire. À refaire. Et les hommes se donnent un temps et un espace d’une relative paix, une trêve entre le moment présent et celui qui, sans avertir, rejaillira et, férocement, relancera leurs élans guerriers. Nous, ces ainsi mal faits. Des vivants qui exposent leurs secrets dans des silences tonitruants. Des équilibristes imprudents traversant la vie sans filets de sécurité. Des insécures chroniques qui espèrent que rien ne peut leur arriver. Des gaspilleurs d’avoirs et des chercheurs d’êtres. Des étoiles tombées d’un ciel fixant un autre ciel. Des complexités entières. Des humains. D’innommables substantifs, de frêles épithètes, des adverbes imprécis, des verbes incohérents, des mots de liaison invariables dans leurs recherches du bonheur. Une phrase inachevée!
Grand-père retourna auprès de l’institutrice qui chantonnait des comptines pour les enfants épuisés. Ève Gaudreau, fière et belle, une tasse de thé à la main, distribuait des biscuits au gingembre tout en gardant près d’elle, comme un précieux cadeau, deux petites filles micmacs, d’une beauté à la fois sauvage et à l’odeur d’épinette.
- Tu as grandi, Jean. Dans sa voix magnifique, dans son regard pénétrant, grand-père sut ce qu’elle voulait dire.
Plusieurs, malgré qu’ils fussent voisins, ne s’étaient à peu près jamais parlé, partageaient un morceau de gâteau. D’éternels ennemis de piquets de clôture projetaient d’abattre les frontières. Celui-ci, celle-là qui ne firent auparavant que s’échanger un salut de la main, une tasse de sucre, troquaient des projets d’avenirs. Des rêves frappaient à la porte comme si, ayant été oubliés dans cette nuit occupée à se mesurer à la réalité, les rêves développaient leurs impossibles songes devant des hommes et des femmes, des enfants aussi, qui se mirent à y croire.
On évoqua la fin tragique de la famille Lacasse. Le curé, cela n’était pas son accoutumance de prendre des décisions rapides, dit qu’on allait, immédiatement, en ce début de soirée de la mi-janvier, les cendres encore chaudes, leur rendre hommage et chanter le service funèbre.
La cérémonie, brève et solennelle, ne dura que quelques minutes. Tous y virent une invitation à ne pas chercher dans les restes calcinés de leur maison, quelque trace que ce soit de leur mort. Ils passaient directement vers l'au-delà.
Pour l’homélie, le chanoine Boudreau, à la surprise générale, proposa qu’elle soit prononcée par Émile. Qui se leva. Lentement. Ses deux mains entourant le cierge pascal, projetant ses yeux autant vers ce qui s’était passé que ce qui allait advenir, le marchand général prit la parole. Arthur, le bedeau, délicatement, un coup puis une seconde après un autre, fit retentir les cloches de l’église.
- Le vent, ce vent que nous connaissons si bien, celui qui amène les bateaux au large et les ramène, celui qui nous apporte les odeurs de la mer, de la forêt et de la montagne, nous dit ce que pourrait être demain et après-demain, ce vent qui était là avant nous, qui y sera toujours, qui a été pour la famille Lacasse les derniers sons que la côté leur a glissés dans les oreilles, le vent s’est associé à un autre élément, aussi essentiel, le feu. Tous les deux, réunis et formant un implacable vacarme de bruits et de couleurs, nous a fait mal. Tous, qui que nous soyons. Sans aucune distinction. Il n’a pas choisi parce que s’il avait pu choisir, ce n’est pas cela qu’il aurait fait. Il a plutôt, déchaîné comme rarement, permis que nous nous liions ensemble. Je demande qu’on ouvre les portes de l’église pour le laisser entrer afin que nous scellions avec lui un pacte dans lequel tous, sans restriction, lui tendant la main, s’engagent à respecter le message qu’il aura imprimé dans son cœur.
Les gens pleuraient alors que notre grand-père, d’une main à l’autre, faisait passer son talisman.
…Fin…