lundi 14 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (10)


Chapitre 28

Les portières du camion de la compagnie de transport McCrimmon se refermèrent derrière Joe et un chauffeur soulagés de repartir... la vessie vide. Le mastodonte n'avait pas encore franchi cent mètres que Rock entendit siffler dans ses oreilles le bruit d'une canette que l'on ouvrait. Il jeta un regard vers monsieur McCrimmon qui avait déjà presque la moitié du contenant dans la gorge. Puis, du côté de l'autre buveur, il vit que la tête de Joe glissait vers l'arrière. Ce mouvement dérangea Raccoon qui se replaça mais cette fois-ci carrément dans la chevelure du grand. On l'aurait cru coiffé d'un beau casque de poils.

Rock sentit battre son coeur. Il voulait que ses yeux reviennent vers le pare-brise du camion, mais une force intérieure, jamais ressentie auparavant, le poussa à regarder de nouveau du côté de Joe. Tout allait vite en lui, tellement qu'il craignit que les coups lui martelant le cour et les tempes ne deviennent si bruyants, alertant le chauffeur et réveillant le dormeur.

Rock s'était aperçu que la fermeture-éclair du jean de Joe n'était pas remontée. Celui-ci, lorsqu'il dut courir après son raton laveur qui se sauvait devant le camion, avait tout juste eu le temps de finir d'uriner mais pas de rajuster la fermeture de son jean. Remontant dans le camion, il s'était rassis, placé Raccoon derrière lui, croisé les bras, envoyé la tête sur la fenêtre de la portière et... endormi.

Le petit était mal à l'aise. Il avait regardé et vu, se demandant s'il allait regarder une autre fois. Aux coups qu'il ressentait lui monter du coeur et des tempes, s'ajoutaient une profonde confusion. Jamais il ne l'avait dit, jamais il ne se l'était avoué également, mais Joe avait toujours eu sur lui une grande attirance. Lui si petit, fragile devant ce grand musclé, fort et surtout tellement au-dessus de tout, que rien ne semblait atteindre, d'une indépendance comme Rock aurait toujours voulue posséder, Joe était l'image de ce que voulait être Rock, de ce que n'était pas le petit garçon de madame Béliveau.

Sans s'en rendre compte, son coude frappa les côtes de Joe qui se réveilla. Il remarqua l'état dans lequel il était et s'adressant à Rock, dit:
- J'ai les affaires à l'air, puis il remonta sa fermeture-éclair. D'un même élan, se retourna vers la fenêtre après avoir vérifié si Raccoon était toujours là.

La souffrance de Rock s'en trouva multipliée. Il se demandait quel était exactement ce sentiment qu'il éprouvait pour Joe. Entièrement troublé par cet événement, il s'adresse à monsieur McCrimmon:
- Combien de temps encore?
- Moins de dix minutes. Ton grand s'est endormi? Va falloir qu'il apprenne à boire. C'est pas pareil la bière en plein jour dans un camion pis celle du soir bien assis tranquille dans son salon. Tu sais, moi... quand...

Monsieur McCrimmon parlait, buvait et conduisait. Rock ne l'écoutait plus, tout à ses pensées. Il constatait que vieillir n'était pas facile, changer encore plus; tout cela, sans en parler à personne, encore moins à sa mère.

Il avait comme la vague impression que Joe venait de prendre une autre dimension, se disant que parfois les gens se doivent de garder leur secret s'ils ne veulent pas devenir moins magiques. Joe, pour lui, devint tout d'un coup une personne comme les autres, ni plus ni moins. Il n'était pas déçu, mais surpris. Son coeur se remit à battre normalement, ses tempes cessèrent de se faire aller et il se tourna vers Joe. Pour une première fois, il le regarda - le grand dormait - et se dit que lui aussi il pourrait peut-être avoir cette allure dégagée.

Raccoon se réveilla et se mit à bailler. Rock approcha ses mains vers le raton laveur pour le prendre. Au même moment, Joe ouvrit les yeux:
- Pas touche!

Le camion s'immobilisa tout juste devant l'entrée du parc national. Rock et Joe eurent à peine le temps de mettre un pied à terre qu'Annie se retrouva devant eux, le sourire fendu jusqu'aux oreilles:
- Tu sens la tonne, Joe. As-tu fumé?
- Moé oui... Raccoon, non.

Rock sortit le repère blanc, celui de la troisième équipe, l'installa à l'arbre même si cela n'avait comme plus de sens maintenant que tout le groupe était reconstitué. Se retournant vers Annie et Joe, il demanda:
- Où sont les autres?

Caro sortit de l'ombre, s'approcha d'un Rock complètement épuisé par le brassage en règle subi dans le camion. Raccoon, par terre, se tenait entre Joe et sa fournisseuse officielle de cigarettes. Il devait trouver le monde bien grand vu de si bas. Il ne se trompa pas alors qu'affectueusement il rejoignit son maître, sa mère ou son frère, ce Joe qui lui jetait un regard attendri.

Annie aimerait bien s'entretenir avec Joe de ce qu'elle ressentait et surtout de son comportement depuis que ce bébé raton laveur était dans ses pattes. Elle se dit que le temps était venu.
- Pourquoi tu m'r'gardes de même? J'ai tu encore la « flye » descendue?
- J'ai lu dans le tunnel derrière l'école un grafitti qui disait: «J'trompe pas ma blonde, J'me trompe de blonde.», dit Annie avec sa plus belle voix.
- Pis, ça veut dire quoi au juste, reprit Joe, la regardant sans trop saisir ce qu'elle voulait dire.
- Ça veut dire que je me demande si je ne pourrais pas être... ta blonde.

Joe fut comme paralysé de surprise par cette demande et encore plus par l'allure qu'avait prise Annie pour s'adresser à lui: yeux mouillés dans une figure où tout le sérieux du monde se retrouvait réuni au même instant.
- En plein bois? Joe la regardait puis tourna la tête vers Raccoon.
- Oui, en plein bois...
- Tu sais, j'ai déjà Raccoon, j'sais pas si j'vas pouvoir m'occuper de deux femelles en même temps. Il tentait de tourner cette histoire en drôlerie mais sentit très bien qu'Annie ne riait pas.

- C'est pas le temps de niaiser, il faut absolument prendre la route si on ne veut pas coucher n'importe où, cria Mario revenant d'une courte promenade de reconnaissance avec Bob.
- J'pensa qu'en camp sauvage, on coucha n'import'y où, lança Joe en ramassant Raccoon et courant vers les autres.

Annie, toute seule de ce côté-ci de la route, se mordit la lèvre inférieure si fort qu'on aurait cru qu'elle venait tout juste d'y mettre du rouge. S'allumant une cigarette, elle rejoignit le groupe en frappant quelques cailloux du pied.
- Saint binne!

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...