…la suite… …siawa’si…
Février ne cessait pas de draper la côte gaspésienne de neige. Le froid l’immobilisait. Le vent arrivait difficilement à la balayer vers la forêt ou vers la mer. D’énormes congères entassés les uns près des autres cachaient aux yeux encore inquiets de ses habitants, le triste spectacle des ruines de l’incendie. Les nuages, parfois, confondus à ces amoncellements blancs, s’y fondaient comme sur un tableau que la nature, sans autre inspiration, aurait laissé devant elle.
Grand-père reconnut au loin la silhouette de son ami Paq’sima. L’ombre du jeune mik’maw se profilait à côté de lui en cette fin d’après-midi qui depuis quelques jours rallongeait son temps de soleil.
- Me’ tegig gisgug, dit Paq’sima lorsque grand-père fut en mesure de l’entendre. - Cela signifie « C’est encore froid aujourd’hui. » -
Difficile d’expliquer comment une langue parfaitement inconnue, ressemblant à un bête alignement de sons, puisse devenir intelligible alors qu’elle se colle à la réalité. Paq’sima avait dit cela dans un soubresaut grelottant et d’un geste qui emplit une portion de son espace.
Grand-père lui répondit avec les mots de sa langue. L’autre saisit qu’il avait compris. Parler d’immersion serait un peu cruel étant donné les températures qui oscillaient sous le zéro (l’ancien zéro qui est encore plus froid que le nouveau), mais le fait de se retrouver sans autre support linguistique que les gestes, les mouvements de la physionomie et la situation ambiante, favorise cette indispensable connexion entre le réel et la façon de le nommer.
Ils arrivèrent au wikuom. Rien ne changeait à chacune de ses visites. Même organisation, même atmosphère. Sauf que ce jour-là, grand-père se souvient que c’était un vendredi (kweltamultimk), il fut témoin d’une tradition propre à la grande famille Épelgiag à laquelle il assista, spectateur abasourdi et grava dans son cœur et son corps des traces qu’encore aujourd’hui, en plein février d’hivers de moins en moins froids, il se rappelle.
C’était l’anniversaire de son jeune ami. Il aurait neuf (pesqunatek) ans. Son père et sa mère, autour d’un bivouac qui lançait très haut dans les airs une fumée encore plus blanche que la neige, fumaient à une même pipe. L’odeur qui s’en dégageait, n’était pas celle à laquelle grand-père s’était habitué. On eut dit un mélange de tabac et de racines. Âcre et doux à la fois.
Les jumelles et le bébé étaient sous la grande tente. On ne les entendait pas mais leur présence était perceptible.
Une fois arrivés, les deux amis furent séparés l’un de l’autre. À grand-père, on assigna une place derrière un baril de chêne contenant de la viande de gibier. Il demeura debout tout au long du rite qui fut dirigé, un moment par monsieur Épelgiag, puis par la mère de Paq’sima. Celui-ci sortit de la tente quelques minutes plus tard, accompagné par ses sœurs, A’selik portant Sulian dans ses bras.
Monsieur Épelgigiag, appelant l’aîné de ses fils, d'une voix que le tabac enrouait, avait déclaré :
- Ta’n te’sit sqapantiej amujpa gegina’mut.
(Tout débutant doit être enseigné.)
Paq’sima sortit alors de la tente, encadré par les autres membres de la famille. Il était complètement nu. Sur sa tête, trois plumes d’aigle; à sa main droite, quelques branches d’épinette; et ce regard fier, droit vers les yeux de son père, puis dans ceux de sa mère, une infinie tendresse.
Il ne bronchait pas. Feignait-il ne pas tenir compte de cette vive froidure qui fit apparaître sur ses épaules quelques flocons de neige? Quelques pas en direction du feu. À la demande de sa mère, il le franchit d’un bond rapide pour se retrouver devant eux. Madame Épelgiag, recevant de son fils les branches d’épinette dit :
- Ji’nmu’qamigsit.
(Fais un homme de toi.)
C’est alors que Paq’sima, retirant les trois plumes d’aigle de sa chevelure qui luisait plus noire que noire, jeta un regard assuré sur tout le groupe, sourit à grand-père et se dirigea d’un pas lent vers la forêt. Il ne reviendrait que le lendemain matin.
Était-ce le rite d’initiation qui troubla grand-père ou encore, d’être pour la première fois de sa vie en présence de la nudité, autant physique que celle de l’âme?
Février ne cessait pas de draper la côte gaspésienne de neige. Le froid l’immobilisait. Le vent arrivait difficilement à la balayer vers la forêt ou vers la mer. D’énormes congères entassés les uns près des autres cachaient aux yeux encore inquiets de ses habitants, le triste spectacle des ruines de l’incendie. Les nuages, parfois, confondus à ces amoncellements blancs, s’y fondaient comme sur un tableau que la nature, sans autre inspiration, aurait laissé devant elle.
Grand-père reconnut au loin la silhouette de son ami Paq’sima. L’ombre du jeune mik’maw se profilait à côté de lui en cette fin d’après-midi qui depuis quelques jours rallongeait son temps de soleil.
- Me’ tegig gisgug, dit Paq’sima lorsque grand-père fut en mesure de l’entendre. - Cela signifie « C’est encore froid aujourd’hui. » -
Difficile d’expliquer comment une langue parfaitement inconnue, ressemblant à un bête alignement de sons, puisse devenir intelligible alors qu’elle se colle à la réalité. Paq’sima avait dit cela dans un soubresaut grelottant et d’un geste qui emplit une portion de son espace.
Grand-père lui répondit avec les mots de sa langue. L’autre saisit qu’il avait compris. Parler d’immersion serait un peu cruel étant donné les températures qui oscillaient sous le zéro (l’ancien zéro qui est encore plus froid que le nouveau), mais le fait de se retrouver sans autre support linguistique que les gestes, les mouvements de la physionomie et la situation ambiante, favorise cette indispensable connexion entre le réel et la façon de le nommer.
Ils arrivèrent au wikuom. Rien ne changeait à chacune de ses visites. Même organisation, même atmosphère. Sauf que ce jour-là, grand-père se souvient que c’était un vendredi (kweltamultimk), il fut témoin d’une tradition propre à la grande famille Épelgiag à laquelle il assista, spectateur abasourdi et grava dans son cœur et son corps des traces qu’encore aujourd’hui, en plein février d’hivers de moins en moins froids, il se rappelle.
C’était l’anniversaire de son jeune ami. Il aurait neuf (pesqunatek) ans. Son père et sa mère, autour d’un bivouac qui lançait très haut dans les airs une fumée encore plus blanche que la neige, fumaient à une même pipe. L’odeur qui s’en dégageait, n’était pas celle à laquelle grand-père s’était habitué. On eut dit un mélange de tabac et de racines. Âcre et doux à la fois.
Les jumelles et le bébé étaient sous la grande tente. On ne les entendait pas mais leur présence était perceptible.
Une fois arrivés, les deux amis furent séparés l’un de l’autre. À grand-père, on assigna une place derrière un baril de chêne contenant de la viande de gibier. Il demeura debout tout au long du rite qui fut dirigé, un moment par monsieur Épelgiag, puis par la mère de Paq’sima. Celui-ci sortit de la tente quelques minutes plus tard, accompagné par ses sœurs, A’selik portant Sulian dans ses bras.
Monsieur Épelgigiag, appelant l’aîné de ses fils, d'une voix que le tabac enrouait, avait déclaré :
- Ta’n te’sit sqapantiej amujpa gegina’mut.
(Tout débutant doit être enseigné.)
Paq’sima sortit alors de la tente, encadré par les autres membres de la famille. Il était complètement nu. Sur sa tête, trois plumes d’aigle; à sa main droite, quelques branches d’épinette; et ce regard fier, droit vers les yeux de son père, puis dans ceux de sa mère, une infinie tendresse.
Il ne bronchait pas. Feignait-il ne pas tenir compte de cette vive froidure qui fit apparaître sur ses épaules quelques flocons de neige? Quelques pas en direction du feu. À la demande de sa mère, il le franchit d’un bond rapide pour se retrouver devant eux. Madame Épelgiag, recevant de son fils les branches d’épinette dit :
- Ji’nmu’qamigsit.
(Fais un homme de toi.)
C’est alors que Paq’sima, retirant les trois plumes d’aigle de sa chevelure qui luisait plus noire que noire, jeta un regard assuré sur tout le groupe, sourit à grand-père et se dirigea d’un pas lent vers la forêt. Il ne reviendrait que le lendemain matin.
Était-ce le rite d’initiation qui troubla grand-père ou encore, d’être pour la première fois de sa vie en présence de la nudité, autant physique que celle de l’âme?
La route le ramenant chez lui fut bien longue.
…à suivre… …nmu’ltes…