lundi 5 février 2007

Le cent cinquantième saut de crapaud



Le crapaud arrive à son cent cinquantième saut. En fait, l'avoue-il fort humblement, ceci lui apparaît comme une étape qui aurait très bien pu de jamais advenir. Aux archives, entre le mois de juin 2006 et maintenant, très peu de sauts. En août, septembre, octobre et novembre: rien. Bon, il faut dire que le voyage en France s'est quand même étendu sur plus d'un mois. Autrement rien. Peut-on parler d'inquiétude devant la page blanche quand celle-ci est un clavier? Ou le prodrome du rien à écrire qui risque de faire tache d'huile?


En entreprenant ces sauts, le crapaud s'était fixé deux objectifs. Le premier étant d'écrire et le deuxième, écrire régulièrement. Le contenu allait davantage puiser à l'inspiration du moment. Aussi, l'obliger - car il le faut souvent - à revenir aux poèmes qui dormaient dans ses vieux cahiers, les revoir, les retoucher et surtout - car il le faut finalement - les achever. LE CRAPAUD GÉANT DE FORILLON deviendrait pour eux l'endroit où finirait leur élan, atterrissant sur cette grande toile anonyme qui nous enveloppe.


Le crapaud ne lit presque plus de poésie. C'est faux. Il relit des poèmes d'une autre époque, celle d'avant celle-ci où, lui semble-t-il du moins, les poèmes deviennent des journaux personnels, des florilèges d'émotions, d'impressions, de lieux où se dire voyage entre des vers, des strophes et des prescriptions à l'introspection afin de mieux-être. Il n'y a plus d'images. Ces métaphores qu'un poète lance, les ayant aperçues au détour d'une imaginaire collision entre deux ou trois mots. Chaque mot déposé dans un contexte imagier devient couleur, odeur... voilà du moins ce que recherche le crapaud.




trop de je dans nos poèmes
beaucoup trop
pas assez de ces images
mutant le je en un autre




Voilà ce qu'écrivait le crapaud, il y a un certain temps, résumant bien sa pensée par rapport à la poésie actuelle. C'est rimbaldien, diriez-vous! Sans doute. Il ne le renie pas.


Il serait difficile au crapaud de vous nommer les porte-étendards de la poésie actuelle. Miron est mort. Giguère, aussi. On a oublié Saint-Denys-Garneau et on met Nelligan aux enchères, presque sur eBay... Rimbaud marche ailleurs pendant que Beaudelaire n'est plus à la mode et que Verlaine, c'est de la nostalgie. Les anthologies sont d'une formidable disponibilité dans les bibliothèques...


Mais il n'y a pas que la poésie dans l'élan du crapaud. Quelques histoires, aussi, s'étendant sur quelques jours par lesquelles sont nés des personnages, pour la plupart gaspésiens de l'Anse-au-Griffon où le crapaud a bien failli s'installer à demeure, il y a maintenant plus d'un an. Elles lui auront permis - sans doute souhaite-t-il y revenir bientôt - de fouiller au fond de l'âme humaine, là où se trouve, parfois se cachant, parfois se donnant au grand jour, toutes les motivations essentielles de la vie. Sans motivation, rien ne nous oblige le matin à nous lever, le jour à travailler, le reste du temps à courir après l'amour de soi et des autres. En y jetant un coup d'oeil, c'est ce que le crapaud remarque: cette profonde recherche de soi-même et des autres. Les autres étant des êtres humains, des êtres symboliques aussi, mythiques parfois, ou surnaturels puisque trop de choses encore demeurent fondamentalement inconnues à notre pauvre intelligence si souvent tournée vers l'économie et le progrès.


Ces histoires dans lesquelles le crapaud y a déposé un peu de lui-même ainsi que des bouts de vie de ces autres autour de lui, ont le privilège, au-delà de l'imagination ou de la création, de former de nouveaux êtres qui, il faut bien le constater, ne sont souvent qu'un pastiche de nos illusions ou de nos rêves. Ou de nos déceptions. Étrange de constater à quel point nous sommes inondés de déceptions et parfois, pour des peccadilles, des bourreaux sans merci s'accordant difficilement le pardon ou d'aveugles tortionnaires pour les égarements des autres qui calquent nos propres errements. Certains personnages des histoires du crapaud peuvent aisément répondre à ces critères.


Puis, il y a eu ces quelques mots pour ceux qui vivent ou ont vécu près de lui. Des occasions précieuses pour mesurer leur importance et leur essentielle présence dans la vie d'un crapaud, fussent-t-ils de Forillon ou même géant. Ce mot est important. On le donne à ceux que l'on aime. Il est nom et adjectif. Imaginez si l'on pouvait dire de quelqu'un: ce géant Géant... Ça serait gigantesque, le moins que l'on puisse dire! Nous sommes tous des géants. Certains s'ignorent, d'autres s'imagient que c'est par le reflet de leur ombre qu'ils le deviennent. Absolument pas. Nous sommes "géants" parce que d'autres nous perçoivent ainsi. Le plus grand malheur d'un homme serait que personne ne puisse lui offrir un qualificatif. Sans adjectif - sans ajout à ce qu'il est - sans nom - sans ce mot qui dit ce qu'il est pour l'autre - l'homme est en enfer.


Le cent cinquantième suit les derniers petits nouveaux. Dans ceux-ci, le crapaud s'offre le plaisir de dépoussiérer ses vieux cahiers de lecture, y retrouvant cette phrase, cette citation, cet extrait d'une lecture ancienne - il faudrait toujours, comme on le fait pour la musique, revenir à nos lectures anciennes, on ne devrait lire un livre qu'à la condition d'accepter de le relire par après - qui l'ont fait s'arrêter un instant, plus étiré qu'un autre, et les noter. Y revenir, c'est revivre un plaisir d'une certaine époque ou encore se poser les questions suivantes: pourquoi avoir consigné ces mots? que signifiaient-ils à ce moment-là? et maintenant? C'est tout à fait magique. Non, unique.


Il y en aura d'autres, de ces auteurs qui pendant un certain temps auront influencé le crapaud, et que ce dernier vous offrira en souhaitant qu'ils puissent vous rappeler une de vos propres lectures ou vous arrêter pour étirer un instant, juste un instant, entre ces obligatoires sauts dans chacun de ces jours qui se succèdent trop rapidement. Et qu'ils vous parlent. Du moins, un peu.


Jusqu'où le crapaud se rendra-t-il? Il ne saurait lui-même le dire, mais ce qui est génial dans l'écriture, c'est le droit que l'on se donne de placer une main sur la porte de l'éternité.

À bientôt

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